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À quand un césar non genré de la meilleure interprétation ?

Dans les céré­monies de récom­pens­es ciné­matographiques ou musi­cales, les prix d’interprétation hon­orent les acteurs ou chanteurs d’un côté, les actri­ces ou chanteuses de l’autre, repro­duisant l’ordre binaire du genre sans le ques­tion­ner. « Et si on met­tait fin aux caté­gories sex­uées ? » sug­gère la jour­nal­iste et écrivaine Nora Bouaz­zouni
Publié le 17/01/2023

Modifié le 16/01/2025

mock-up chronique « À Quand un césar non genré de la meilleure interprétation ? » LA Déferlante 9

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)

En octo­bre dernier, Annie Ernaux a rem­porté le prix Nobel de lit­téra­ture. Avant cela, Claire Math­on avait reçu le césar de la meilleure pho­togra­phie pour Por­trait de la jeune fille en feu, et Blanche Gardin le molière de l’humour.

Leur point com­mun ? Elles ont con­cou­ru à un prix ou dans une caté­gorie mixte – en tout cas non déter­minée par le sexe des nommé·es. Cette neu­tral­i­sa­tion du genre vaut pour la majorité des récom­pens­es décernées dans les indus­tries cul­turelles : les cos­tumes, la réal­i­sa­tion, la musique orig­i­nale, le clip ou l’album rock de l’année sont salués sans souci du genre des artistes. Au sein des arts appliqués, il n’existe pas non plus de dis­tinc­tion pour la « meilleure archi­tecte » ou la « meilleure designeuse ». Même la mode se passe du genre : les Fash­ion Awards organ­isés chaque année en Angleterre ne com­por­tent aucune caté­gorie de sexe pour les man­nequins.

Alors pourquoi les stat­uettes remis­es aux acteurs et actri­ces ou chanteurs et chanteuses obéis­sent-elles à une logique de ségré­ga­tion, qu’il s’agisse des césars, des oscars, des prix au fes­ti­val de Cannes, des goyas du ciné­ma espag­nol ou des vic­toires de la musique ?

Dans le ciné­ma, la rai­son invo­quée, ce sont les iné­gales oppor­tu­nités entre actri­ces et acteurs : les pre­mières se voient pro­pos­er moins de rôles prin­ci­paux, moins de rôles de qual­ité, et par­ticipent à des films moins dif­fusés. Dégen­r­er les prix d’interprétation abouti­rait d’office à une sur­représen­ta­tion des acteurs, au détri­ment de leurs con­sœurs.

Une parité de façade, une illusion d’égalité

Allons au bout de ce raison­nement fal­lac­i­eux : puisque, selon le Cen­tre nation­al du ciné­ma et de l’image ani­mée, 30,6 % seule­ment des films français pro­duits en 2021 ont été réal­isés ou coréal­isés par des femmes, et que Tonie Mar­shall demeure à ce jour la seule femme à avoir obtenu le césar de la meilleure réal­i­sa­tion, il faudrait aus­si songer à dédou­bler cette caté­gorie – et toutes celles où les femmes peinent à s’imposer – pour met­tre en avant les réal­isatri­ces ! Il faudrait aus­si pren­dre en compte les autres dis­crim­i­na­tions sys­témiques man­i­festes dans le milieu du ciné­ma : puisqu’on y compte très peu d’acteurs et actri­ces racisé·es, LGBT+, auto­di­dactes, pourquoi ne pas récom­penser le « meilleur acteur non blanc », la « révéla­tion fémi­nine non cisgenre*-hétéro » ou la « meilleure actrice hors sérail »… ?

Les prix gen­rés ne ser­vent en réal­ité qu’une par­ité de façade, une illu­sion d’égalité pour éviter le sujet qui dérange : la misog­y­nie qui règne au sein de ces insti­tu­tions du monde de la cul­ture qui, de longue date, ont con­tribué à façon­ner le si bien nom­mé « pat­ri­moine ». Si neu­tralis­er le genre dans les prix d’interprétation risque d’avoir pour con­séquence l’invisibilisation des per­for­mances féminines, c’est parce que les votant·es de ces académies illus­tres nom­meraient et récom­penseraient majori­taire­ment des hommes. Sans doute craig­nent-elles que leur con­ser­vatisme mal assumé appa­raisse au grand jour : après tout, c’est ce qui était arrivé en 2015 aux Oscars. Sur les réseaux soci­aux, le hash­tag #OscarsSoWhite, lancé par l’experte états-uni­enne en stratégie média April Reign, avait servi à point­er du doigt la sur­représen­ta­tion des Blanc·hes par­mi les lauréat·es. À la suite de quoi l’institution avait enfin entamé sa mue : depuis plusieurs années, les votant·es et les candidat·es inclu­ent davan­tage de per­son­nes racisées.

Les non-binaires invisibilisé·es au nom de la cause des femmes

Dans les récom­pens­es créées plus récem­ment et davan­tage tournées vers des publics jeunes, le choix de dégen­r­er les caté­gories n’a pas eu pour effet de dis­crim­in­er les femmes. Créés en 1984 pour dis­tinguer les meilleurs vidéo-clips, les MTV Video Music Awards ont fon­du à par­tir de 2017 les deux caté­gories « meilleure vidéo fémi­nine » et « meilleure vidéo mas­cu­line » de l’année en une seule : « artiste de l’année ». En six ans s’y sont suc­cédé trois femmes, puis trois hommes, sans que soit pour­tant édic­tée la moin­dre règle de par­ité.

Per­sis­ter à gen­r­er les récom­pens­es ne résout en rien les phénomènes dis­crim­i­na­toires intrin­sèques aux indus­tries cul­turelles. Mais cela pose une ques­tion essen­tielle : sur quels critères juge-t-on un·e artiste ? Que com­pare-t-on : cinq hommes, cinq femmes ou cinq per­for­mances ? C’est la ques­tion posée en 2017 par l’acteurice non binaire Asia Kate Dil­lion : forcé·e de choisir entre les cas­es « homme » et « femme » pour soumet­tre sa can­di­da­ture aux Emmy Awards (le prix qui récom­pense le meilleur des fic­tions de la télévi­sion états-uni­enne), iel inter­ro­geait la Tele­vi­sion Acad­e­my dans une let­tre ouverte : « J’aimerais savoir si, à vos yeux, les mots “acteur” et “actrice” désig­nent l’anatomie ou bien l’identité, et en quoi cette dis­tinc­tion serait néces­saire ? »

Dans les pays anglo­phones, où le sub­stan­tif épicène « actor » est bien plus usité que le féminin « actress » qui fut inven­té pour dis­tinguer les actri­ces des acteurs, de plus en plus d’artistes s’identifient comme non-binaires : Emma Cor­rin, Carl Clemons-Hop­kins, Demi Lova­to, Sara Ramírez, etc. Ce sont elleux qui font bouger les lignes. En 2019, une semaine après le com­ing-out non binaire de la pop star Sam Smith, les Brit Awards, qui l’avaient nommé·e dans la caté­gorie « meilleur artiste mas­culin solo », ont annon­cé entamer une réflex­ion sur le sujet. Deux ans plus tard, la céré­monie neu­tral­i­sait les caté­gories con­cernées.

Pen­dant ce temps, nom­bre d’institutions pat­ri­mo­ni­ales résis­tent, au pré­texte que dégen­r­er les prix desservi­rait les femmes. À croire que les per­son­nes non binaires ou gen­der­flu­id sont trop peu nom­breuses pour avoir le droit d’être traitées avec respect. Iels se retrou­vent à pay­er le prix du sex­isme sys­témique de cer­taines insti­tu­tions cul­turelles, et à devoir tro­quer la pos­si­ble recon­nais­sance artis­tique de leurs pairs con­tre une iden­tité qui ne leur cor­re­spond pas. La (pré­ten­due) vis­i­bil­ité des femmes ne doit plus être le pré­texte à l’invisibilisation des per­son­nes non binaires. L’inclusion des unes ne doit pas se faire au prix de l’exclusion des autres. Aux céré­monies de s’adapter aux artistes, pas l’inverse. •

Mem­bre du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante, Nora Bouaz­zouni, jour­nal­iste cul­ture et ali­men­ta­tion, est égale­ment tra­duc­trice et écrivaine, autrice de Fai­min­isme, quand le sex­isme passe à table (2017) et Steak­sisme, en finir avec le mythe de la végé et du vian­dard (2021), édi­tions Nourit­ur­fu.

Cette chronique est la pre­mière d’une série de qua­tre sur la pop cul­ture.


* Cis­genre : per­son­ne dont l’identité de genre cor­re­spond au sexe qu’on lui a assigné à la nais­sance.

Nora Bouazzouni

Journaliste indépendante, écrivaine et traductrice, elle écrit sur les questions d’alimentation, le genre et la pop culture. Elle est membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

Baiser : pour une sexualité qui libère

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)


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