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Rima Hassan « Nous sommes un peuple dont l’existence est niée »

Depuis les mas­sacres com­mis par le Hamas le 7 octo­bre, Israël bom­barde sans relâche la bande de Gaza. Com­ment par­ler fémin­isme et genre dans ce con­texte de guerre ? Nous avons choisi de don­ner la parole à Rima Has­san, fon­da­trice de l’Observatoire des camps de réfugiés qui se bat pour faire enten­dre les voix des Palestinien·nes. La ques­tion du fémin­isme n’est pas cen­trale dans cet entre­tien mais dans le con­texte actuel, il nous parait impor­tant d’élargir notre grille de lec­ture. Nous con­tin­uerons dans les semaines qui vien­nent à ten­ter d’analyser cette actu­al­ité dra­ma­tique et com­plexe.
Publié le 10/11/2023

Modifié le 16/01/2025

Rima Hassan dans le camp de réfugiés de Mar Elias à Beyrouth, en octobre 2023. Crédit photo : Aline Deschamps.
Rima Has­san dans le camp de réfugiés de Mar Elias à Bey­routh, en octo­bre 2023. Crédit pho­to : Aline Deschamps.

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Rima Has­san a gran­di dans le camp de réfugié·es palestinien·nes de Neirab, en Syrie, avant de rejoin­dre la France à l’âge de 10 ans. Aujourd’hui juriste experte en droit inter­na­tion­al, elle a répon­du à nos ques­tions depuis la Jor­danie, où elle col­lecte des don­nées au sein de camps de réfugié·es.

Que pensez-vous du traite­ment de l’actualité au Proche-Ori­ent depuis les mas­sacres du Hamas, début octo­bre ?

On a tourné en rond sur des débats séman­tiques pen­dant trois semaines alors qu’on était tous et toutes poten­tielle­ment en deuil. C’est révéla­teur d’un prob­lème. Après les mas­sacres com­mis par le Hamas, je me suis dit : « Ce niveau-là de vio­lence, je ne l’accepte pas, c’est une ligne rouge. » Depuis, la riposte de l’État d’Israël relève du géno­cide, et je pense que per­son­ne, non plus, ne devrait l’accepter.

Le prob­lème, c’est qu’on nous a demandé d’être pro-israélien·nes, ce qui a con­fisqué mon empathie naturelle. « Soit vous êtes pour Israël, soit vous êtes pour le ter­ror­isme », dis­ait la man­i­fes­ta­tion du 9 octo­bre à Paris. Je com­bats l’apartheid : il est hors de ques­tion que je man­i­feste pour soutenir un État qui le pra­tique.

En France, depuis la fin de la prési­dence de Chirac [2007], la ques­tion israé­lo-pales­tini­enne a été glob­ale­ment occultée, dans les analy­ses poli­tiques et dans les médias. Cela fait longtemps qu’on est entré·es dans la spi­rale qui met l’humain au sec­ond plan. C’est un échec col­lec­tif. Ce manque d’espaces de débat nous a empêché·es de nous pré­par­er à gér­er une crise comme celle-là. Pour­tant, c’est une con­di­tion pour nous per­me­t­tre d’être en deuil ensem­ble. Ce ne serait pas un prob­lème qu’il y ait des voix pro-israéli­ennes dans un espace comme celui-ci. On peut ne pas être d’accord et dire l’humanité com­mune.

Quel est votre regard sur ce qui se passe sur place ? 

Il faut pou­voir dire claire­ment l’intention géno­cidaire de la riposte israéli­enne actuelle con­tre Gaza. Bridant toute empathie, l’exclusion des Palestinien·nes de la com­mu­nauté humaine par l’animalisation est la pre­mière étape. Par le passé, les Palestinien·nes ont déjà été qualifié·es de cafards, croc­o­diles ou sauterelles à écras­er. Vient ensuite l’essentialisation : on ne con­sid­ère plus les mem­bres du groupe comme des sujets avec des indi­vid­u­al­ités, mais comme une masse à qui on va accol­er une idéolo­gie com­mune. Comme aujourd’hui : il n’y aurait pas d’innocent·es à Gaza, que des ter­ror­istes, des mon­stres. Cela jus­ti­fie les mas­sacres.
L’intention géno­cidaire se voit égale­ment dans le nom­bre de mort·es pales­tinien·nes, jamais atteint en si peu de temps, et dans la pro­por­tion d’enfants tué·es.

Un plan de net­toy­age eth­nique révélé par la presse israéli­enne à la mi-octo­bre – les deux pre­mières étapes ont déjà été observées – prévoit de déplac­er de force une pop­u­la­tion pour ce qu’elle est, et on voit que cela se fait, quitte à la détru­ire par les bombes. Hommes, femmes et enfants sont ciblé·es de façon indis­crim­inée, et les infra­struc­tures de soin et de survie sont détru­ites : hôpi­taux, écoles, citernes d’eau ou de car­bu­rant, camps de réfugié·es.


« L’ ÉTAT D’ISRAËL NOUS INTERDIT DE FAIRE CORPS EN TANT QUE PEUPLE »


Ce géno­cide ne tombe pas du ciel. Il est la con­séquence de décen­nies de lâcheté poli­tique à l’échelle inter­na­tionale. Le Hamas non plus ne tombe pas du ciel. Il faut rap­pel­er le cynisme de l’État d’Israël, qui a nour­ri un mon­stre sans s’attendre à ce qu’il se retourne con­tre lui.

Nous, Palestinien·nes, sommes un peu­ple dont l’existence est niée. L’État d’Israël nous inter­dit de faire corps en tant que peu­ple et nous dilue dans l’identité régionale « arabe » : depuis 1948, les gou­verne­ments israéliens nient le droit des Palestinien·nes à avoir des reven­di­ca­tions nationales.

Vous êtes une réfugiée, comme près de six mil­lions de Palestinien·nes. Qu’est-ce que cette expéri­ence per­met de saisir dans la sit­u­a­tion actuelle, en quoi per­met-elle d’agir ?

Tant qu’on n’aura pas résolu la ques­tion [des réfugié·es] de 1948, tout nous y ramèn­era. Dans sa pro­pa­gande lors des mas­sacres du 7 octo­bre, le Hamas a dit : « On a récupéré des ter­ri­toires occupés », en par­lant de la zone des kib­boutz. De nom­breuses familles de Gaza vien­nent de vil­lages situés à quelques kilo­mètres. Même si des vil­lages ont dis­paru, rien n’est effacé : la mémoire de l’expulsion et de l’exil de 1948 [la Nak­ba, « cat­a­stro­phe » en arabe] est vivante, les plaies tou­jours pas soignées.

Dans le plan de partage de la Pales­tine voté par la com­mu­nauté inter­na­tionale en 1947, la Pales­tine a été divisée sans que l’on ne demande rien aux Palestinien·nes parce qu’elles et ils étaient, alors, des sujets colo­ni­aux du man­dat bri­tan­nique. Ce partage nous a été imposé. 532 vil­lages pales­tiniens ont été détru­its, lit­térale­ment rasés de la carte, en 1948 : c’est un trau­ma­tisme très fort pour nous. C’est la man­i­fes­ta­tion d’une volon­té de nous effac­er, de nier notre exis­tence. L’actualité est chargée de toute cette his­toire. Le racisme de l’État d’Israël n’est pas une dérive tar­dive : Israël s’est fon­da­men­tale­ment con­stru­it par la néga­tion du sujet pales­tinien, colonisé, dont il faudrait se débar­rass­er ou, à défaut se sépar­er. L’apartheid com­mence là.

Ma reven­di­ca­tion, et celle de l’ensemble des réfugié·es, c’est un droit recon­nu par l’ONU depuis 1949 : pou­voir retourn­er vivre dans les vil­lages de nos grands-par­ents et libér­er les Palestinien·nes, quels que soient leur statut ou leur lieu de rési­dence. Pour me situer dans le monde, j’ai besoin de me rat­tach­er à ce pays : je ne suis pas réfugiée de la planète Mars, je viens de quelque part.

Quelle sor­tie de crise, à long terme, envis­agez-vous ?

Pour lut­ter con­tre la logique de sépa­ra­tion, il faut des intérêts com­muns à défendre sans nier que nos com­bats sont poli­tiques et ne peu­vent être menés en met­tant l’État d’Israël et les Palestinien·nes en symétrie. La néga­tion du vécu et des droits des Palestinien·nes, qui n’ont ni État ni armée, ne peut pas être une con­di­tion de la lutte com­mune parce que cela con­stitue une nou­velle vio­lence pour nous. Il faut avoir le courage de dire les injus­tices, ne pas refuser de nom­mer l’apartheid, par exem­ple.

Jusqu’à présent, toutes les poli­tiques israéli­ennes ont con­sisté à se débar­rass­er des Palestinien·nes de dif­férentes manières : coloni­sa­tion, occu­pa­tion, blo­cus, expul­sions, trans­ferts de pop­u­la­tion. Mais plus on refusera des droits aux Palestinien·nes, plus il y aura de ressen­ti­ment et de résis­tance. La garantie de sécu­rité pour les Juifs et Juives israéli­ennes ne peut repos­er sur une injus­tice. La sépa­ra­tion et la frag­men­ta­tion con­sacrées par la solu­tion des deux États se trou­vent, aujourd’hui, à leur parox­ysme et se matéri­alisent dans un apartheid, très doc­u­men­té, qu’il faut déman­tel­er. La suite ne peut être que l’égalité des droits.


« LES FEMMES PALESTINIENNES SONT EXTRÊMEMENT POLITISÉES »


Si Israël con­tin­ue de se définir comme un État juif, il ne peut pas être démoc­ra­tique parce que la dichotomie entre Juif·ves et non-Juif·ves implique soit la dis­pari­tion de la présence non-juive soit la con­sol­i­da­tion de l’État d’apartheid. Pour devenir démoc­ra­tique, l’État ne peut plus être juif : c’est la lim­ite de l’État d’Israël en lui-même.

Les Palestinien·nes revendiquent toute la Pales­tine. Cela n’implique pas de chas­s­er celles et ceux qui y vivent actuelle­ment, il s’agit de pou­voir cir­culer libre­ment sans être persécuté·es, enfermé·es dans des enclaves, der­rière des bar­belés, encerclé·es de colonies, contrôlé·es, emprisonné·es, tenu·es sous le joug mil­i­taire parce que Palestinien·nes. Pour cela, il faut l’égalité des droits, soit dans un État bina­tion­al, soit dans une fédéra­tion d’États avec Jérusalem comme cap­i­tale, sous statut inter­na­tion­al.

En ce moment, les Palestinien·nes de Cisjor­danie se pren­nent des balles alors qu’elles et ils récoltent les olives sur leurs ter­res. Me dire qu’il va fal­loir cohab­iter avec des gens comme ces colons qui veu­lent nous exé­cuter, c’est com­pliqué… C’est pour­tant la seule véri­ta­ble solu­tion, car on ne délogera pas 800 000 per­son­nes.

Vous êtes une femme, Pales­tini­enne et réfugiée. Votre genre a‑t-il joué un rôle impor­tant dans vos engage­ments et votre expéri­ence ?

Comme beau­coup de femmes mil­i­tantes, je subis du har­cèle­ment en ligne, majori­taire­ment de la part d’hommes. Je reçois des men­aces de viol. On me ren­voie aus­si très facile­ment à mon physique. On me dit que je me maquille et ne porte pas le voile et qu’avec le Hamas je me la ramèn­erais moins… On me dit sous influ­ence, sans envis­ager que je par­le sans tuteur. Oui, je suis regardée spé­ci­fique­ment comme une femme.

Les femmes pales­tini­ennes sont extrême­ment poli­tisées. J’ai beau­coup hérité de ma mère. On est un peu comme les femmes kur­des : notre place est impor­tante mal­gré des sché­mas famil­i­aux ou com­mu­nau­taires par­fois un peu « tra­di ». Ma famille m’a beau­coup trans­mis et je pense que c’est pareil dans toutes les familles pales­tini­ennes : dans les camps de réfugié·es, la con­science poli­tique est néces­saire.

Femme ou pas, je me sens tou­jours en manque de lien. Cet apartheid est très con­cret. Depuis la France, on m’interdit de ren­tr­er chez moi parce qu’il y a une com­mu­nauté juive israéli­enne qui veut rester majori­taire. C’est-à-dire que, par mon exis­tence et la reven­di­ca­tion de mes droits, je représente une men­ace. Mal­gré mon impli­ca­tion, je me sens tou­jours spec­ta­trice. C’est comme si je regar­dais une grande famille qui est la mienne, mais que j’étais der­rière une vit­re. Qu’est-ce qui jus­ti­fie que je ne vive pas avec mon peu­ple ?

Pour aller plus loin : 

🖊️Le bil­let de blog de Mona Chol­let Le con­flit qui rend fou (27 octo­bre 2023).
🔎 Lanalyse de lapartheid par Amnesty Inter­na­tion­al.
📜Le site Zochrot, créé par des Israélien·nes juif·ves et palestinien·nes et qui recensent les don­nées col­lec­tées et l’histoire des vil­lages détru­its lors de la Nak­ba, en 1948.
📻En qua­tre épisodes, « Les Pales­tiniens et la ques­tion pales­tini­enne » dans l’émission de radio « LSD, la série doc­u­men­taire », sur France Cul­ture.

Sarah Benichou

Historienne et politiste de formation, Sarah Benichou se passionne pour l’enquête historique. En tant que journaliste indépendante, elle s’intéresse en particulier à l’extrême droite, au colonialisme, aux expériences juives et aux liens qu’entretiennent les femmes avec les instances de pouvoir. Elle est membre du collectif Youpress. Voir tous ses articles

Rêver : la révolte des imaginaires

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