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Le mariage pour tous et toutes

En 2013 était pro­mul­guée la loi ouvrant le droit au mariage et à l’adoption aux cou­ples de même sexe, après des mois d’atermoiements de la part du gou­verne­ment social­iste. Retour sur ce moment de bas­cule de notre his­toire poli­tique, creuset d’une pen­sée réac­tion­naire qui con­tin­ue d’irriguer la droite et l’extrême droite français­es.
Publié le 20/10/2023

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°12 Rêver, paru en novem­bre 2023. Con­sul­tez le som­maire.

22 jan­vi­er 2012, Le Bour­get (Seine-Saint-Denis). Le can­di­dat à l’élection prési­den­tielle François Hol­lande lance au milieu d’un dis­cours : « L’égalité, ce sont les mêmes droits pour tous, quels que soient son sexe et son ori­en­ta­tion.

C’est le droit de pou­voir se mari­er, d’adopter, pour les cou­ples qui en déci­dent ain­si. » C’est par ces mots large­ment acclamés que le futur prési­dent social­iste for­mule l’une de ses promess­es de cam­pagne : l’ouverture aux cou­ples homo­sex­uels du droit au mariage et à l’adoption.

Le 6 mai, François Hol­lande est élu prési­dent de la République ; le 17 juin, le Par­ti social­iste (PS) obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale – la gauche l’avait au Sénat depuis 2011. Le nou­veau prési­dent ayant le Par­lement de son côté, l’adoption du mariage pour tous et toutes aurait dû être, en toute logique, une sim­ple for­mal­ité, d’autant que les Français·es y étaient favor­ables. Pour­tant, c’est l’inverse qui va se pass­er. Présen­té en con­seil des min­istres le 7 novem­bre 2012, le pro­jet de loi sera dis­cuté pour la pre­mière fois à l’Assemblée le 29 jan­vi­er 2013 après une série d’auditions en com­mis­sion des lois, puis débat­tu dans la plus grande vio­lence pen­dant près de trois mois, tant par les poli­tiques que par un mou­ve­ment d’opposition – La Manif pour tous – que per­son­ne n’avait vu venir.

Au PS, « ça les met mal à l’aise »

 

« Ça n’a pas été un grand chemin de ros­es sans épines », se sou­vient la min­istre de la Famille de l’époque, Dominique Bertinot­ti, cosig­nataire du texte de loi avec la garde des Sceaux Chris­tiane Taubi­ra. His­torique­ment, le sujet est loin de faire con­sen­sus au sein du Par­ti social­iste. Le pacte civ­il de sol­i­dar­ité (pacs) a été arraché à la gauche en 1999, à la suite d’une mobil­i­sa­tion sans précé­dent de la com­mu­nauté gay décimée par l’épidémie du sida : « [Le pacs] n’avait jamais été conçu comme un point de départ vers l’égalité totale, mais comme le seul com­pro­mis pos­si­ble pour met­tre fin aux dis­crim­i­na­tions », écrivait en 2015 Daniel Bor­ril­lo, ancien respon­s­able de la sec­tion juridique de l’association de lutte con­tre le VIH et les hépatites virales Aides (1). « Le pacs est rad­i­cale­ment dif­férent du mariage parce qu’il n’est pas ques­tion, ni aujourd’hui ni demain, que deux per­son­nes physiques du même sexe, quel que soit leur sexe, puis­sent se mari­er », assé­nait d’ailleurs en 1998 la min­istre de la Jus­tice social­iste Élis­a­beth Guigou, devant l’Assemblée nationale.

En réal­ité, en 2012, cela fait près de dix ans que les activistes œuvrent pour impos­er cette reven­di­ca­tion à l’agenda des par­tis de gauche. Dès mars 2004, Le Monde pub­lie un « Man­i­feste pour l’égalité des droits », dans lequel plus de 120 sig­nataires (artistes, intellectuel·les, chercheur·euses…) appel­lent les maires de France à mari­er des per­son­nes de même sexe. Trois mois plus tard, le 5 juin, l’écologiste Noël Mamère unit – sym­bol­ique­ment, car c’est illé­gal – deux hommes dans sa mairie de Bègles, pous­sant les autres par­tis à pren­dre posi­tion.

En par­al­lèle, une cam­pagne de lob­by­ing auprès du PS s’organise au sein de l’association de lutte con­tre le sida Act Up-Paris. Les débuts sont peu encour­ageants : les social­istes « jouent la mon­tre, noient le pois­son, ce n’est pas leur pri­or­ité et ça les met mal à l’aise », résume Pauline Lon­deix, qui coor­don­nait le pôle de l’association sur l’égalité des droits. En sep­tem­bre 2005, dans une motion interne à son par­ti, François Hol­lande, alors secré­taire général, s’engage finale­ment pour l’ouverture du mariage aux cou­ples de même sexe. Mais les désac­cords entre social­istes per­sis­tent, et plus encore sur la ques­tion de l’adoption.


« Le pacs est rad­i­cale­ment dif­férent du mariage parce qu’il n’est pas ques­tion, ni aujourd’hui ni demain, que deux per­son­nes physiques du même sexe puis­sent se mari­er. »
Élis­a­beth Guigou, min­istre de la Jus­tice, devant l’Assemblée nationale, en 1998


« À l’époque, nos enne­mis étaient ceux de l’intérieur », accuse aujourd’hui Daniel Bor­ril­lo. Dans un ouvrage paru en 2017 (2), il expli­quait  : « Tous les argu­ments mobil­isés par La Manif pour tous en 2013 avaient été élaborés par les experts du gou­verne­ment social­iste en 1999. » Des intellectuel·les sont chargé·es de pro­duire des rap­ports sur les muta­tions de la famille ; elles et ils aler­tent sur le risque de « mariages polyg­a­miques » ou sur le fait que « la struc­ture même de la société serait men­acée par des familles trop anor­males, des fil­i­a­tions trop atyp­iques ». On trou­ve les professeur·es de droit Jean Hauser et Françoise Dekeuw­er-Défos­sez, mais aus­si la soci­o­logue Irène Théry – rev­enue depuis sur ses posi­tions –, qui, en 1998, définit la par­en­té comme étant « l’institution qui artic­ule la dif­férence des sex­es et la dif­férence des généra­tions ». Des argu­ments qui s’inscrivent eux-mêmes dans le pro­longe­ment d’une rhé­torique catholique « anti-genre », venue tout droit du Vat­i­can, engagé depuis les années 1990 dans un « com­bat moral » con­tre l’homosexualité.

La stratégie hol­lan­diste sur le « mariage pour tous » va hérit­er de ces analy­ses et désac­cords. Le 10 sep­tem­bre 2012 – qua­tre mois après l’arrivée de François Hol­lande à l’Élysée –, Chris­tiane Taubi­ra, min­istre de la Jus­tice, chargée du pro­jet de loi, accorde un entre­tien au jour­nal catholique La Croix – elle avait promis une exclu­siv­ité au men­su­el gay Têtu. Elle insiste sur les con­sul­ta­tions prévues avec « de nom­breux acteurs de la société », y com­pris des per­son­nes « hos­tiles au mariage pour tous, des insti­tu­tions, des représen­tants des cultes » et enterre dans le même temps la pos­si­bil­ité d’une pro­créa­tion médi­cale­ment assistée (PMA) pour toutes. Le ton est don­né, celui d’un « con­sen­sus mou », selon les ter­mes employés alors par Dominique Bertinot­ti. Elle est plusieurs fois recadrée par le cab­i­net du Pre­mier min­istre Jean-Marc Ayrault et par le prési­dent lui-même.

Alors que le PS peine à définir sa ligne, les oppo­si­tions com­men­cent à s’organiser. Le 15 août 2012, alors que les catholiques célèbrent la mon­tée au ciel de la vierge Marie, le car­di­nal André Vingt-Trois, prési­dent de la Con­férence des évêques de France, lance les hos­til­ités dans une « prière pour la France » reprise dans de nom­breuses paroiss­es. Il appelle les élu·es à priv­ilégi­er « le bien com­mun » et à ne pas céder à « des deman­des par­ti­c­ulières », ajoutant que les enfants doivent pou­voir « béné­fici­er pleine­ment de l’amour d’un père et d’une mère ». Trois semaines plus tard, le 5 sep­tem­bre, une cinquan­taine de per­son­nes se retrou­vent au local de l’association Pour l’unité du monde par l’Église catholique, à Paris. En marge des asso­ci­a­tions catholiques inté­gristes Alliance Vita et Civ­i­tas, le mou­ve­ment de La Manif pour tous (LMPT) vient de se con­stituer, et va rapi­de­ment pren­dre de l’ampleur. À sa tête, une fig­ure émer­gente de « catho branchée », comme elle se définit elle-même : Frigide Bar­jot, de son vrai nom Vir­ginie Tel­lenne.

Les vannes de l’homophobie ouvertes en grand

 

Autour d’elle se fédèrent de nom­breuses asso­ci­a­tions famil­iales catholiques et des groupes tra­di­tion­al­istes plus ou moins rad­i­caux qui dis­posent de ressources organ­i­sa­tion­nelles impor­tantes. Le 17 novem­bre, dix jours après que le pro­jet de loi est passé en con­seil des min­istres, LMPT organ­ise ses pre­miers rassem­ble­ments à Paris et dans plusieurs villes de France, qui réu­nis­sent plus de 100 000 per­son­nes selon les chiffres offi­ciels. Cette mobil­i­sa­tion con­forte le gou­verne­ment dans sa frilosité. Le 20 novem­bre, lors du 95e con­grès des maires de France, François Hol­lande assure que les édiles pour­ront invo­quer leur « lib­erté de con­science » pour refuser de célébr­er les mariages entre per­son­nes de même sexe – déc­la­ra­tion qu’il réfutera dès le lende­main. Mais le mou­ve­ment est lancé, et les man­i­fes­ta­tions s’enchaînent. « On vivait au rythme des “man­i­fs pour tous”, et ce qui est dra­ma­tique, c’est que le PS, d’une cer­taine façon, a ren­for­cé ce mou­ve­ment », déplore aujourd’hui Dominique Bertinot­ti.

Les opposant·es catholiques se sont entre-temps fait des allié·es en nom­bre. Des per­son­nal­ités de droite par­ticipent aux man­i­fes­ta­tions : Jean-François Copé, alors secré­taire général de l’Union pour un mou­ve­ment pop­u­laire (UMP, ancêtre des Répub­li­cains), Michèle Alliot-Marie, Xavier Bertrand, Lau­rent Wauquiez, mais aus­si l’actuel min­istre de l’Intérieur, Gérald Dar­manin, qui s’engage à ne pas célébr­er de mariage entre per­son­nes de même sexe s’il est élu maire de Tour­co­ing (Nord). À l’extrême droite, Mar­i­on Maréchal, Gilbert Col­lard, Nico­las Dupont-Aig­nan et Robert Ménard bat­tent égale­ment le pavé. À l’hiver 2012–2013, La Manif pour tous appa­raît, au-delà de la seule sphère catholique, comme un oppor­tun mou­ve­ment d’opposition à une gauche qui n’avait plus été au pou­voir depuis vingt ans.

Con­traire­ment à l’image qu’il en reste, et comme l’explique le soci­o­logue du catholi­cisme Yann Rai­son du Cleuziou, « la “manif pour tous” n’est pas le sur­gisse­ment spon­tané d’une par­tie de la pop­u­la­tion dans la rue en oppo­si­tion à un pro­jet de loi (3) ». Elle est portée par des finance­ments impor­tants, la vente de pro­duits dérivés, et des communicant·es hors pair, qui font de ce mou­ve­ment une mar­que à part entière. « Comme nous le con­fie Émile Duport, l’un des maîtres d’œuvre de la com­mu­ni­ca­tion du mou­ve­ment, “c’est une manif de pub­ards” », écrit le chercheur. LMPT redou­ble d’ingéniosité pour ten­ter de mas­quer la réelle iden­tité des manifestant·es. Des con­signes ves­ti­men­taires sont don­nées sur Inter­net par Frigide Bar­jot : « Pour madame, cheveux lâchés nég­ligem­ment chif­fon­nés, sou­tien-gorge pigeon­nant, car­ré Her­mès et serre-tête pro­hibés. Pour mon­sieur, barbe nais­sante oblig­a­toire, raie sur le côté et pochette Sul­ka oubliées ». Le dress code ? « Décon­trac­té ++++, bleu-blanc-rose, avec sweats ven­dus à cet effet. »

S’inspirant d’événements comme la Tech­no Parade ou même la Marche des fiertés, LMPT ne cesse de détourn­er et de s’approprier codes et logos des mou­ve­ments soci­aux. Les slo­gans des rassem­ble­ments de gauche et antiracistes sont repris et détournés : « Taubi­ra, t’es foutue, les Français sont dans la rue », « Pre­mière, deux­ième, troisième généra­tion, nous sommes tous des enfants d’hétéros » ou « Pas touche à nos stéréo­types de genre ». Ceux de la com­mu­nauté LGBT+ égale­ment, alors qu’on peut aus­si apercevoir des manifestant·es de LMTP se dandin­er sur les tubes du groupe Abba, icône gay. C’est ce que le soci­o­logue Éric Fassin nomme, non sans ironie, « l’homophobie trav­es­tie ». Les Hom­men, grou­pus­cule mas­culin­iste né dans le giron de LMPT en 2012 et qui par­o­die les Femen, « illus­trent par­faite­ment ce côté trav­es­tisse­ment », ajoute-t-il. Le mou­ve­ment va jusqu’à créer le néol­o­gisme « famili­pho­bie » pour con­tr­er les accu­sa­tions d’homophobie.

La man­i­fes­ta­tion d’opposition du 13 jan­vi­er 2013 rassem­ble, selon la police, 340 000 per­son­nes (un mil­lion selon les organisateur·ices) ; les vannes de l’homophobie s’ouvrent en grand, dans la rue comme au Par­lement, où les débats se dur­cis­sent. Des per­son­nal­ités poli­tiques – pour la plu­part issues de l’UMP – met­tent en garde con­tre « l’arrêt de la famille », la « déca­dence », « un dan­ger énorme pour l’ensemble de la nation » (Serge Das­sault, séna­teur de l’Essonne), « le déni de la dif­férence des sex­es » (Nico­las Dhuicq, député de l’Aube) ou encore le risque d’ouvrir la voie au « mariage avec des objets » (Colette Giu­di­cel­li, séna­trice des Alpes-Mar­itimes) et à la créa­tion d’« enfants Play­mo­bil » (Jacques-Alain Bénisti, député du Val-de-Marne)… Le tout avec la com­plic­ité pas­sive des médias qui déroulent un tapis rose et bleu à LMPT et aux représentant·es de l’Église catholique.

La Manif pour tous occupe l’antenne

 

Dans une inter­view don­née le 13 sep­tem­bre 2012 à la radio chré­ti­enne RCF, le car­di­nal Philippe Bar­barin, archevêque de Lyon – qui sera quelques années plus tard accusé d’avoir caché les agisse­ments pédocrim­inels du prêtre Prey­nat – lâche : « Après, ils vont vouloir faire des cou­ples à trois ou à qua­tre. Après, un jour peut-être, qui sait, l’interdiction de l’inceste tombera. » Dans une dépêche, l’Agence France-Presse trans­met ses pro­pos tels quels, vio­lents et out­ranciers. De grands quo­ti­di­ens, comme Le Monde ou Libéra­tion, la repren­nent sans dis­tance, ain­si qu’un reportage du « 20 heures » de France 2 deux jours plus tard. Pub­liée en 2021, une étude (4) sur le traite­ment de l’homosexualité dans les médias affirme que, pen­dant cette péri­ode, « les médias trait­ent et dif­fusent majori­taire­ment les images et témoignages des anti-mariage pour tous, notam­ment lors des man­i­fes­ta­tions ». Sur les chaînes d’information en con­tinu, les asso­ci­a­tions LGBT+ et les défenseur·euses du mariage pour tous et toutes sont très rarement invité·es. En revanche, Frigide Bar­jot et ses acolytes occu­pent l’antenne : le dimanche 13 jan­vi­er 2013, BFM-TV et I‑Télé, aujourd’hui CNews, dif­fusent en direct et pen­dant des heures le défilé de LMPT, allant jusqu’à utilis­er les images offi­cielles des organisateur·ices et à repren­dre dans le ban­deau au bas de l’écran le logo offi­ciel du mou­ve­ment.

Au terme de plus de 170 heures de dis­cus­sions par­lemen­taires – l’un des dix textes les plus longue­ment débat­tus de la Ve République – la loi légal­isant le mariage et l’adoption pour les cou­ples de même sexe est finale­ment adop­tée le 23 avril 2013, par 331 voix con­tre 225. Mal­gré ce vote his­torique, et le dis­cours puis­sant de Chris­tiane Taubi­ra (lire l’encadré ci-dessous), la pilule est amère : la ques­tion de la PMA pour toutes est pure­ment et sim­ple­ment enter­rée. Dominique Bertinot­ti sera remer­ciée moins d’un an plus tard par François Hol­lande, faisant, selon elle, les frais de son posi­tion­nement en faveur de la PMA pour toutes (5).

Discours de Christiane Taubira le 23 avril 2013 à l’Assemblée nationale (extrait)

« Nous voulons dire en par­ti­c­uli­er aux ado­les­centes, aux ado­les­cents de ce pays qui ont été blessé·es, qui ont été désemparé·es ces derniers jours, qui ont été dans un désar­roi pro­fond, immense, qui ont décou­vert une société où une sub­li­ma­tion des égoïsmes per­me­t­tait à cer­tains de pro­test­er bruyam­ment con­tre les droits des autres, nous voulons leur dire sim­ple­ment qu’ils ont leur place dans la société […]. Si vous êtes pris de dés­espérance, bal­ayez tout cela. Ce sont des paroles qui vont s’envoler. Restez avec nous. Et gardez la tête haute, vous n’avez rien à vous reprocher. Nous le dis­ons haut et clair, à voix puis­sante, parce que, comme dis­ait Niet­zsche, “les vérités tuent. Celles que l’on tait devi­en­nent vénéneuses.
Mer­ci à vous tous. »

 

Le col­lec­tif Oui oui oui remonte au créneau. Créé en 2012 dans le sil­lage du mou­ve­ment pour le mariage des per­son­nes de même sexe, le groupe défend l’accès à la PMA pour tous et toutes et com­bat l’invisibilisation des les­bi­ennes dans les médias. À l’issue du vote, il mul­ti­plie les actions et les man­i­fes­ta­tions pour rap­pel­er François Hol­lande à ses engage­ments de 2012. « Mais ce qu’on n’avait pas prévu, pré­cise le social­iste Erwann Binet, rap­por­teur du pro­jet de loi, qui souhaitait, lui aus­si, y inclure la PMA, c’est qu’il y aurait un change­ment de gou­verne­ment, que Bertinot­ti ne serait plus là et qu’il n’y aurait pas de loi famille. On s’est fait enfler là-dessus. » Car après l’adoption de la loi, le prési­dent social­iste « ne voulait plus enten­dre par­ler de la moin­dre ques­tion dite de société. Et il est clair qu’il ne voulait pas de la PMA », racon­te Dominique Bertinot­ti. Un renon­ce­ment qui fera per­dre huit ans aux les­bi­ennes et aux femmes céli­bataires souhai­tant y recourir, la « PMA pour toutes » n’ayant été ren­due pos­si­ble en France qu’en août 2021, au prix de nou­veaux débats houleux et de l’exclusion des per­son­nes trans de l’accès à ce droit.

Les personnes trans dans le viseur

 

Du fait des ater­moiements social­istes, la péri­ode 2012–2013 con­stitue un moment de bas­cule poli­tique dont les forces con­ser­va­tri­ces sor­tent – et demeurent encore aujourd’hui – grandes gag­nantes. Alors que la France célèbre, en 2023, les 10 ans du Mariage pour tous et toutes, 68 % des per­son­nes LGBT+ gar­dent de cette péri­ode des sou­venirs « plutôt désagréables (6) ». Et pour cause : en 2013, l’association SOS homo­pho­bie enreg­is­trait une aug­men­ta­tion inédite de 78 % des vio­lences LGBT­phobes (7), sans que cette explo­sion de vio­lence ne con­stitue, à l’époque, une préoc­cu­pa­tion poli­tique ou médi­a­tique de pre­mier plan.

C’est à ce même moment, puis durant tout le man­dat de François Hol­lande (2012–2017), que s’épanouissent, dans le paysage poli­tique, la droite con­ser­va­trice et l’extrême droite. Au pre­mier tour de l’élection prési­den­tielle de 2017, Marine Le Pen (Front nation­al, devenu en 2018 Rassem­ble­ment nation­al) arrive tout juste der­rière Emmanuel Macron, avec 21,30 % des suf­frages exprimés, tan­dis que François Fil­lon (Les Répub­li­cains), soutenu par l’association Sens com­mun, directe­ment issue de La Manif pour tous, arrive troisième avec 20 %. En 2020, Sens com­mun devient Le Mou­ve­ment con­ser­va­teur et apporte son sou­tien à Éric Zem­mour. « Les mou­ve­ments “anti-genre” se sont ren­du compte que la droite tra­di­tion­nelle n’était pas suff­isam­ment ambitieuse, qu’elle était d’accord pour blo­quer cer­taines inno­va­tions, mais n’était pas source d’initiatives, tan­dis qu’ils ont trou­vé de nou­veaux parte­naires dans l’extrême droite », explique Neil Dat­ta, directeur exé­cu­tif du Forum par­lemen­taire européen pour les droits sex­uels et repro­duc­tifs (EPF) (8).

Ces dix dernières années, les idées d’extrême droite ont égale­ment gag­né du ter­rain dans les médias. En 2014, l’homme d’affaires con­ser­va­teur Vin­cent Bol­loré prend le con­trôle du groupe Viven­di, pro­prié­taire de Canal+. Trois ans plus tard, mal­gré un mou­ve­ment de grève des jour­nal­istes sans précé­dent, il trans­forme la chaîne d’info I‑télé en CNews, qui devient rapi­de­ment la caisse de réso­nance des idées les plus réac­tion­naires. La chaîne ren­force l’éditorialiste et futur can­di­dat d’extrême droite à la prési­den­tielle Éric Zem­mour et offre une émis­sion au jour­nal­iste catholique d’extrême droite Aymer­ic Pour­baix. Depuis dix ans, ce fer­vent sou­tien de La Manif pour tous propage à l’antenne les thès­es des catholiques conservateur·ices et invite régulière­ment des représentant·es de la Fon­da­tion Jérôme-Leje­une, qui com­bat le droit à l’avortement et finance les prin­ci­pales asso­ci­a­tions « anti-genre » en Europe  (9).

Dans un rap­port pub­lié au print­emps 2023, l’association des jour­nal­istes gay, les­bi­ennes, bi·es et trans (AJL), créée au lende­main des débats sur le mariage pour tous et toutes, affirme que les « paniques morales » actuelle­ment propagées par les jour­naux et chaînes d’extrême droite trou­vent leurs sources dans les pra­tiques médi­a­tiques de 2013 : « fake news, “débats” en l’absence des concerné·es et micros ten­dus aux militant·es homo­phobes ». Selon l’association, « les mêmes mécan­ismes médi­a­tiques sont tou­jours en place, désor­mais dirigés con­tre les per­son­nes trans ». Car dix ans après le vote de la loi et alors que le mariage homo­sex­uel est aujourd’hui large­ment accep­té par l’opinion, les héri­tiers et héri­tières de LMPT se sont choisi une nou­velle cible : les per­son­nes trans. « La suite de leur stratégie – parce que, finale­ment, ils n’ont jamais dis­paru –, con­clut la soci­o­logue Karine Espineira, c’est de dire : “Si la bataille con­tre le mariage n’a pas marché, c’est pas grave, il nous reste à com­bat­tre le genre.” » Alors que dix ans plus tard ressur­gis­sent les soupçons por­tant sur une pré­ten­due « théorie du genre », la boucle sem­ble bouclée.

Rozenn Le CarboulecRozenn Le Car­boulec
Jour­nal­iste indépen­dante. Créa­trice du pod­cast Quouïr pour Nou­velles Écoutes, elle tra­vaille aujourd’hui prin­ci­pale­ment avec Medi­a­part. Elle est l’autrice de Les Humilié·es. Dix ans après le mariage pour tous : l’heure du bilan (Équa­teurs, 2023).

 


(1) Daniel Bor­ril­lo, « Mariage pour tous et fil­i­a­tion pour cer­tains : les résis­tances à l’égalité des droits pour les cou­ples de même sexe », Droit et Cul­tures, 2015.
(2) Daniel Bor­ril­lo, « Mariage pour tous et homo­parental­ité. Les péripéties du con­ser­vatisme de gauche », dans Bruno Per­reau et Joan W. Scott (dir.), Les Défis de la République, Press­es de Sci­ences po, 2017.
(3) Yann Rai­son du Cleuziou, Une con­tre-révo­lu­tion catholique. Aux orig­ines de La Manif pour tous, Seuil, 2019.
(4) Camille Claver­ie, Mouna El Bouhali, Capucine Mil­cent, Marie-Sarah Pouyau, Emma Prunel, Alexan­dra Renard, « Les représen­ta­tions du corps à la télévi­sion : le traite­ment de l’homosexualité dans les pro­grammes d’actualité (1964–2019) », INAthèque, 4 août 2021.
(5) À l’époque, la reven­di­ca­tion « pour toutes » con­cerne les femmes céli­bataires et les les­bi­ennes. Dans la décen­nie qui suit, elle s’élargit aux hommes trans.
(6) Arnaud Alessan­drin, Flo­ra Bolter, Denis Quin­que­ton, Mariage pour tous. La vio­lence d’une con­quête, Le Bord de l’eau – Fon­da­tion Jean-Jau­rès, 2023.
(7) Les témoignages reçus par SOS homo­pho­bie se con­cen­trent prin­ci­pale­ment sur le pre­mier semes­tre 2013 (61 % des témoignages de l’année).
(8) Réseau de par­lemen­taires à tra­vers l’Europe engagé·es dans la pro­tec­tion des droits sex­uels et repro­duc­tifs dans le monde.
(9) La par­tie émergée de l’iceberg. Des finance­ments issus de l’extrémisme religieux visent à faire reculer les droits humains en matière de san­té sex­uelle et repro­duc­tive en Europe, 2009–2018, EPF, juin 2021.

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Rozenn Le Carboulec

Journaliste indépendante, elle est passée par L’Obs et la rédaction en chef de Têtu. Créatrice du podcast Quouïr pour Nouvelles écoutes, elle travaille aujourd’hui principalement avec Mediapart. Elle est l’autrice de Les Humilié·es. Dix ans après le mariage pour tous : l’heure du bilan (Équateurs, mai 2023). Voir tous ses articles

Rêver : la révolte des imaginaires

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°12 Rêver, paru en novem­bre 2023. Con­sul­tez le som­maire.


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