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« Fais un vœu », une poème de Luz Volckmann

À quoi aspirent les per­son­nes trans ? Acheter une baguette de pain, marcher dans la rue la nuit, aller à la plage. Sous la plume de la poétesse Luz Vol­ck­mann, ces rêves de quo­ti­di­en sèment les graines d’une révo­lu­tion.
Publié le 17/10/2023

Modifié le 16/01/2025

Mock-up Poésie « Fais un vœu » signée Luz Volckmann

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°12 Rêver, paru en novem­bre 2023. Con­sul­tez le som­maire.

L’esprit de la fiole a promis d’exaucer trois de nos vœux. Alors après chaque injec­tion, les trans se frot­tent la fesse et deman­dent :

Je souhaite aller au restau­rant.
Je souhaite aller à la plage.
Je souhaite marcher seule dans la rue.

Ça ne vole pas haut, les rêves de trans. Ça ressem­ble à des rêves de goss­es qui s’imaginent c’est quoi la vie d’adulte. Mais ici per­son­ne ne fini­ra astro­naute et on aura du mal à trou­ver les étoiles dans nos yeux. La banal­ité d’une vie, c’est quelque chose qu’on regarde du mau­vais côté de la vit­rine, en faisant sem­blant de ne pas enten­dre les insultes des pas­sants. Le banal, c’est la seule chose que vous trou­verez mutilée chez les trans.

Je ne sais pas dire cor­recte­ment la phrase : « Une baguette, s’il vous plaît. »
Je me trompe de mot, j’oublie la fin, je glisse dans un ton trop grave et je n’ai pas le temps de me repren­dre. Je trem­ble avec ma voix, je trem­ble avec mes mains, je ren­verse l’intégralité de mon porte-mon­naie sur le sol, je me ren­verse en excus­es. Et tout le monde attend et tout le monde sait. Tout ça pour une banale baguette de pain bien cuite.
En revanche, je sais par­faite­ment pronon­cer la for­mule :
« Elle s’est pen­due »
À force
Main­tenant
Ça glisse tout seul
C’est enfan­tin
Je pour­rais jon­gler avec
Te déclin­er toutes les rimes
De l’autre côté de la vit­rine.

De l’autre côté de la vit­rine, là où vivent les trans, il n’y a pas le temps de se rap­pel­er du par­fum des glaces qu’elles ont déjà fon­du sous le soleil des moqueries. Nous n’avons pas le droit de traîn­er trop tard le soir et celles que tu ver­ras se sont déjà égarées dans la nuit. Elles n’ont peut-être pas d’appartement sur Uranus mais elles ont mis dans leur seringue de quoi s’offrir un pent­house sur Vénus. Dans nos cimetières, les fleurs sont tou­jours fraîch­es et nous n’avons pas le droit d’être lass­es d’écrire de nou­velles épi­taphes.

De l’autre côté de la vit­rine, là où vivent les trans, c’est Nécrop­o­lis
La cité des poli­tiques mor­tifères.
On ne fait pas de vœux à Nécrop­o­lis, la loi l’interdit. Ils appel­lent ça « délir­er ».
Au restau­rant ou à la plage, les trans voudraient y aller entières.
Entières d’elles-mêmes et de leurs amours
Mais voilà le mot du crime
Le terme du délire.
Dans les rues de Nécrop­o­lis, va, vaque mais vole bas
Émi­ette-toi en ras­ant les murs
Baisse les épaules d’une voix à demi-teinte
Et casse ton amour à demi-mot.
Devant l’esprit de la fiole, il ne nous reste que des mur­mures
Enfer­mées dans nos maisons, oubliées dans nos caves ou mortes dans la came.
Dans les rues de Nécrop­o­lis, les trans au regard haut sont appelées déli­rantes
Alors les trans rêvent bas.

On ne fait pas de vœux à Nécrop­o­lis. La loi l’interdit. Rêver est une han­tise pour les poli­tiques de la mort. Une fausse note dans ce refrain mor­tifère, un glitch dans le cauchemar.
Les rues de Nécrop­o­lis se répè­tent comme une ter­reur noc­turne où des groupes de nazis sor­tent des croix gam­mées et des fusils d’assaut pour dis­pers­er un goûter de drag-queens.
Nécrop­o­lis est un cauchemar qui pro­gramme l’équation :

1 pique-nique = 1 fusil d’assaut

Le rêve des trans, c’est un anti-pro­gramme. Nous écrivons des par­ti­tions math­é­mati­co-oniriques, les stim­uli hyper-pop entraî­nent des répons­es affec­tives et sen­sorielles qui induisent à leur tour des com­porte­ments spé­ci­fique­ment déli­rants. Pour défaire l’équation, il faut repro­gram­mer le cauchemar.

1 pique-nique = rêve = 1 pique-nique

Les rêves de trans, ça n’a pas besoin de vol­er très haut. Puisqu’il se pro­gramme con­tre la loi, le rêve des trans est une langue per­for­ma­tive. Il réécrit les équa­tions qui pren­nent vie depuis le cauchemar jusqu’à en faire une matière vivante.
On ne fait pas de vœux à Nécrop­o­lis. Alors les trans font de leur vie la matière même de leurs rêves. Pour marcher dans les rues, pour hack­er les pro­grammes, nous créons une langue. C’est un code où les fan­tômes de nos mortes con­tin­u­ent de par­ler.
Et con­tin­u­ent d’y croire.

Dans ce code

Si nous allons au restau­rant, c’est pour manger le monde.
Si nous posons une servi­ette à la plage, c’est pour sub­merg­er Nécrop­o­lis de nos larmes et de nos joies.
Si je fais le vœu de marcher seule, c’est pour peu­pler la rue d’espoir. •

Luz Volckmann

Écrivaine et poétesse trans, elle a pub­lié aux édi­tions Blast deux ouvrages (Les Chants du plac­ard, en 2020, et Aller la riv­ière, en 2021). Elle est égale­ment coautrice, avec la per­formeuse Jen­ny Char­reton, du spec­ta­cle Dans Mon Dessin. Elle tra­vaille actuelle­ment à l’écriture d’un roman.

Rêver : La révolte des imaginaires

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°12 Rêver, paru en novem­bre 2023. Con­sul­tez le som­maire.


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