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Le sport selon Netflix : misogyne et viriliste

Suc­cès d’audience, le docu-série For­mu­la 1 promeut une vision vir­iliste et abu­sive de la For­mule 1, affirme dans cette chronique la jour­nal­iste Nora Bouaz­zouni. Une souf­france et un entre-soi mas­culin glo­ri­fiés et jamais ques­tion­nés.
Publié le 17/10/2023

Modifié le 16/01/2025

Mock-up chronique Nora Bouazzouni « Le sport selon netflix : souffrance et mâle » - La Déferlante 12

Depuis 2019, un pro­gramme a causé le désar­roi – sinon la rup­ture – de cou­ples dans le monde entier, quand les un·es ou les autres ne s’attendaient pas à voir leur parte­naire dévelop­per une pas­sion pour la com­péti­tion auto­mo­bile.

Com­man­dité par For­mu­la One Group, l’entité qui cha­peaute la pro­mo­tion, la dif­fu­sion et le man­age­ment de la F1 dans le monde, afin de recruter de nou­veaux fans, raje­u­nir son pub­lic et le féminis­er, le docu-série For­mu­la 1 : Pilotes de leur des­tin (5 saisons de 10 épisodes) nous plonge dans les couliss­es pal­pi­tantes de ce sport ultra-com­péti­tif et dan­gereux.Dri­ve to Sur­vive (le titre orig­i­nal, lit­térale­ment « con­duire pour sur­vivre », un brin para­dox­al compte tenu des acci­dents mor­tels en F1) tient en haleine jusqu’aux plus réfrac­taires. Une gageure pour ce type de com­péti­tions qui pour­rait se résumer à des voitures qui font 45 fois le tour du même cir­cuit. C’est que la série Net­flix, en plus de mon­tr­er « l’homme » sous le casque, ne fait pas l’économie des clashs, voire des crashs, le tout dans une ambiance élec­trique, ten­due à l’extrême. L’homme avec un petit « h », car les deux seules femmes qui se sont qual­i­fiées pour courir un Grand Prix sont Maria Tere­sa de Fil­ip­pis en 1958 et Lel­la Lom­bar­di en 1975… Pour­tant l’une des rares dis­ci­plines sportives théorique­ment mixtes (avec la voile ou l’équitation), la F1 n’échappe pas aux biais sex­istes (décourager sa fille de pra­ti­quer un sport dan­gereux et perçu comme « mas­culin ») ni aux obsta­cles sys­témiques liés au genre (misog­y­nie ou peine à trou­ver un sou­tien financier, cru­cial dans ce sport). Les rares femmes présentes dans la série Net­flix sont d’ailleurs can­ton­nées aux rôles de mères ou d’épouses, à l’instar de l’ex-Spice Girl Geri Hal­li­well, mar­iée au directeur de Red Bull Rac­ing Chris­t­ian Horner, ou encore Susie Wolff, ex-pilote auto­mo­bile (désor­mais direc­trice exéc­u­tive de la F1 Acad­e­my, toute nou­velle com­péti­tion exclu­sive­ment fémi­nine lancée en avril dernier) et épouse de Toto Wolff, patron de l’écurie Mer­cedes Grand Prix.La F1, c’est donc une poignée non mixte d’élus (une ving­taine à ce niveau) écrasés par une logique pro­duc­tiviste, dans l’obligation per­ma­nente de rap­porter des points à leur écurie, sous peine de se voir virés sans ménage­ment en cours de sai­son. Les patrons, forts en gueule, ne ména­gent pas leurs recrues, qui se livrent régulière­ment des guer­res frat­ri­cides au sein de la même écurie. Ces coureurs, sou­vent très jeunes, sont mon­trés comme des héros roman­tiques cour­tisés par les spon­sors et prêts à tout – même à mourir – pour réalis­er leur rêve : devenir le numéro 1. Les risques inhérents au fait d’être lancé à 250 km/h sur un cir­cuit passent pour des shoots d’adrénaline surex­ci­tants, et le trau­ma lié aux acci­dents des col­lègues est vite évac­ué. À chaque épisode, la ten­sion dra­ma­tique est à son comble, pour le plus grand bon­heur des spectateur·ices scotché·es à l’écran et d’une indus­trie qui compte sur « l’effet Net­flix » pour dop­er ses audi­ences télé et ses ventes de bil­lets.

Lire aus­si : Chronique n°2 de Nora Bouaz­zouni : « Pourquoi tant de femmes psy­chopathes dans les séries ? »

Mais, sous le ver­nis glam­our, l’opération séduc­tion menée par la F1 promeut une vision vir­iliste, abu­sive et inique du sport. Dri­ve to Sur­vive fait l’apologie d’une vio­lence subie, infligée aux autres ou à soi-même, et de com­porte­ments agres­sifs, voire ouverte­ment dan­gereux, jus­ti­fiés (et val­orisés) par la recherche de l’excellence. Cela n’est pas sans rap­pel­er un autre milieu très mas­culin, celui du restau­rant gas­tronomique. La dére­spon­s­abil­i­sa­tion des man­agers et de l’entourage pro­fes­sion­nel des coureurs est acca­blante, dans ce pro­gramme qui nor­malise la vio­lence psy­chologique au tra­vail, à tra­vers l’idéalisation exac­er­bée du méti­er et une spec­tac­u­lar­i­sa­tion de la prise de risque. Les titres de cer­tains épisodes sont d’ailleurs sans équiv­oque : « L’art de la guerre », « Le mâle alpha », « L’argent est roi », « Le sang, la sueur et les larmes » ou encore « Nice Guys Fin­ish Last » (les gen­tils garçons finis­sent derniers).

Le corps n’est plus qu’une machine à gagner

 

Impos­si­ble d’occulter une autre car­ac­téris­tique de la F1 qui, con­traire­ment à la forme d’égalitarisme et de méri­to­cratie revendiquée dans le foot­ball, est sidérante d’entre-soi : la qua­si-
total­ité des coureurs sont des fils d’anciens pilotes ou d’entrepreneurs aux poches bien rem­plies. Lewis Hamil­ton, le seul homme noir à ce niveau de com­péti­tion (et acces­soire­ment le pilote le plus titré de l’histoire), est l’un des rares (le seul ?) issus d’une famille ouvrière. On décou­vre aus­si que cer­tains pilotes sont recrutés parce que fils du nou­veau pro­prié­taire de l’écurie ou de son spon­sor prin­ci­pal, mal­gré un niveau insuff­isant et des per­for­mances médiocres.

Les pro­duc­teurs de la série, sol­lic­ités par l’organisateur de la Grande Boucle, ont ten­té d’appliquer la même recette au cyclisme avec Tour de France : Au cœur du pelo­ton, sor­ti sur Net­flix en juin 2023, quelques semaines avant la com­péti­tion. Sus­pense et dépasse­ment extrême de soi sont les ingré­di­ents-clés de ce nou­veau docu-série où la souf­france est glo­ri­fiée, nor­mal­isée, jamais ques­tion­née. On y entend des phras­es comme : « La souf­france c’est le cœur du cyclisme, on devient leader en faisant mal aux autres » ou « Savoir encaiss­er la douleur, c’est l’un des tal­ents les plus impor­tants chez un coureur pro­fes­sion­nel. Par chance, j’aime me faire du mal. » Une épaule dis­lo­quée ou une frac­ture du bassin n’empêchent pas les cyclistes de finir une étape. Le corps n’est plus qu’une machine à gag­n­er – et à per­fec­tion­ner –, en con­cur­rence per­ma­nente avec d’autres corps-machines. Le philosophe Raphaël Ver­chère rap­pelle que le sport com­péti­tif mod­erne « naît en Angleterre dans le con­texte de la pre­mière indus­tri­al­i­sa­tion du XIXe siè­cle, et donc d’une forme de cap­i­tal­isme (1) ». Pas éton­nant, donc, que leurs valeurs et idéolo­gies se con­fondent, et que l’un comme l’autre demeurent des piliers civil­i­sa­tion­nels intouch­ables. Mais avec ces con­tenus de mar­que déguisés en doc­u­men­taires, le sport-busi­ness s’offre aujourd’hui une caisse de réso­nance inédite, à tra­vers la pro­mo­tion d’un indi­vid­u­al­isme belliqueux, la défense d’une forme de stakhanovisme sportif et l’institutionnalisation de la douleur comme principe imma­nent de la pra­tique sportive. N’y a‑t-il pas d’horizon plus désir­able pour le sport de haut niveau ?

 

Mem­bre du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante, Nora Bouaz­zouni est jour­nal­iste, spé­cial­isée en cul­ture et ali­men­ta­tion. Elle est égale­ment tra­duc­trice et autrice. Son nou­veau livre, Mangez les rich­es ! La lutte des class­es passe par l’assiette, est paru en octo­bre 2023 aux édi­tions Nourit­ur­fu. Cette chronique est la dernière d’une série de qua­tre sur la pop cul­ture.

 

 


(1) Raphaël Ver­chère, « Le sport de haut niveau n’est pas qu’une affaire de mérite », La Croix, 5 sep­tem­bre 2022.

Nora Bouazzouni

Journaliste indépendante, écrivaine et traductrice, elle écrit sur les questions d’alimentation, le genre et la pop culture. Elle est membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

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