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L’amour est un oignon

Après plusieurs années à ten­ter de se con­former au script amoureux hétéro­sex­uel et validiste, l’artiste et mil­i­tante No Anger s’est inter­rogée sur la réal­ité de ses désirs et a fini par inven­ter sa pro­pre déf­i­ni­tion de l’amour.

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Publié le 27/07/2023

Modifié le 16/01/2025

L'amour est un oignon

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°11 Habiter, paru en août 2023. Con­sul­tez le som­maire.

Dans cette chronique, je veux vous par­ler d’amour. Mais pas de l’amour trop rose de la Saint-Valentin. Je ne l’ai jamais vécu. Il m’a tou­jours été refusé.

Quand j’étais à l’école, les mamans de mes amoureux inter­di­s­aient à leurs fils de me par­ler : elles me fai­saient com­pren­dre que je n’étais pas la princesse idéale pour un prince char­mant. Mon corps hand­i­capé fai­sait tache dans leurs imag­i­naires liss­es et bien ordonnés.Moi je me dis­ais : « Quand je serai grande, je porterai une robe de mar­iée et j’aurai beau­coup d’enfants. » C’était le seul hori­zon qui comp­tait. Mais je sai­sis­sais en même temps que je ne pour­rais jamais l’atteindre. C’est ain­si que j’ai été évincée des nar­ra­tions de l’amour.

Ado­les­cente, j’ai essayé mal­gré tout de ressem­bler à la femme idéale qu’on allait aimer : souri­ante, sexy, coquette, séduc­trice. Mais les silences de mon entourage me fai­saient enten­dre mon exclu­sion implicite du marché de l’amour. Presque jamais on ne m’a demandé : « T’as quelqu’un en ce moment ? » Désavouée par ce silence, j’ai cru mon corps et mes ten­dress­es inadéquates. Plus tard, lorsque j’étais amoureuse de plusieurs per­son­nes en même temps, cela m’apparaissait comme con­traire au bon sens: j’ai ten­té de façon­ner ces ten­dress­es mul­ti­ples en un amour docile.

J’ai ensuite essayé d’être en cou­ple. Je me suis effor­cée d’être con­forme au mar­quage amoureux des corps, je me suis for­cée à per­former ces signes d’affection, ces mains entrelacées et ces balades côte à côte qui peu­plent l’imaginaire roman­tique. Être deux et fonder un foy­er sem­blait enfin à ma portée. Si j’abdiquais, ce serait don­ner rai­son aux regards con­de­scen­dants et à ces sales petites voix dans ma tête qui me promet­taient un avenir trag­ique et soli­taire. J’ai cru y arriv­er. Mais l’amour est devenu vio­lence. Je suis restée, alors que j’aurais dû par­tir. Piégée par l’attrait de cet hori­zon roman­tique qui parais­sait chaque jour plus loin­tain. Enfin, j’ai fui.

Représentations verrouillées

Sur ce champ de ruines, j’ai exam­iné de plus près les éter­nelles images de couch­ers de soleil et de cade­nas qui fleuris­sent sur le gril­lage des ponts pour sym­bol­is­er l’éternité du sen­ti­ment amoureux. Je me suis sen­tie à l’étroit dans ces représen­ta­tions ver­rouil­lées. Enfer­mée dans des his­toires rejouées à l’infini et dans lesquelles je peine à me racon­ter. J’aime sou­vent d’une façon trop ample pour être con­tenue dans ce type d’amour. Il n’est pas celui que dessi­nent mes ami­tiés et mes ten­dress­es, durables ou pas­sagères. Dépos­sédée de mes rela­tions par ces habi­tudes étrangères, je ne me recon­nais­sais pas dans ces images grandil­o­quentes. Sûre­ment le temps était-il venu de ne plus imiter l’amour des comédies roman­tiques, pour inven­ter mes pro­pres métaphores.

Coup d’œil de côté

Pour moi, l’amour est un oignon. Non parce qu’il fait pleur­er, mais parce que c’est un sen­ti­ment que j’ai effeuil­lé.

Que reste-t-il, si je lui enlève la mis­sion de me valid­er auprès des autres et de soign­er mes insécu­rités ? Si j’ôte à l’idée du cou­ple sa fonc­tion hétéro­nor­ma­tive ? Si je dégage cet amour des attentes cap­i­tal­istes et natal­istes aux­quelles j’ai longtemps voulu répon­dre ? Que reste-t-il après avoir épluché les dernières couch­es de l’amour ?

Il reste une inten­sité émer­veil­lée face à mes aimé·es et l’assurance de rela­tions inébran­lables qui, mécon­nais­sant la ten­sion des sen­ti­ments exclusifs, me font me sen­tir chez moi. Pourquoi con­tin­uer à don­ner tant d’importance au sen­ti­ment amoureux alors que j’ai fondé mon foy­er sur d’autres ten­dress­es pri­mor­diales ? Je veux célébr­er ces présences intens­es qui me peu­plent : ces per­son­nes sont mes indéboulonnables, mon cocon, ma com­mu­nauté, avec qui je veux fab­ri­quer mon avenir.

Et puis, il y a cette énergie qui me donne de l’élan, ampli­fie mes gestes et peut per­dur­er en moi, même si l’amour n’est pas partagé, même s’il n’existe qu’à tra­vers moi. Loin des his­toires trag­iques véhiculées par la cul­ture dom­i­nante, je veux un amour qui, à dis­tance des logiques de séduc­tion et de con­quête, tend vers la joie, qu’elle soit réciproque ou non. Je veux un amour qui, au lieu de dessin­er une symétrie par­faite et illu­soire, esquisse un équili­bre entre toi et moi. Même s’ils sont sociale­ment impro­duc­tifs, mes crushs tenaces, mes émer­veille­ments mul­ti­ples, mes affec­tions bis­cor­nues exis­tent, au-delà du rougeoiement omniprésent de l’horizon roman­tique.

Je ne veux plus lut­ter ni par­ticiper au jeu des espoirs con­tra­dic­toires de mon ado­les­cence. J’ai été exclue du marché de l’amour roman­tique : mon corps est jugé indigne d’être aimé et de se repro­duire. Con­trainte de regarder de loin cet idéal, j’ai lancé un coup d’œil de côté.

J’y ai vu la solid­ité de mes ami­tiés, le four­mille­ment de mes atti­rances, la mul­ti­tude de mes ten­dress­es. Moi qui croy­ais mes rela­tions lim­itées ou impos­si­bles… Les voici démul­ti­pliées dans d’autres pos­si­bles. J’ai court-cir­cuité l’anathème. J’en ai fait une aubaine.

 

Doc­teure en sci­ence poli­tique, No Anger est une artiste et mil­i­tante queer et anti­va­lidiste. Elle s’intéresse aux mou­ve­ments soci­aux et aux ques­tions liées au genre, au corps et à la sex­u­al­ité. Elle livre ici sa deux­ième chronique d’une série de qua­tre.

No Anger

(photo en attente ) Docteure en science politique, No Anger est une artiste et militante queer et antivalidiste. Elle s’intéresse aux mouvements sociaux et aux questions liées au genre, au corps et à la sexualité. Elle signe ici sa première chronique d’une série de quatre. Voir tous ses articles

Habiter : brisons les murs !

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°11 Habiter, paru en août 2023. Con­sul­tez le som­maire.


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