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Wittig et Lorde : une rencontre manquée

En sep­tem­bre 1979, Monique Wit­tig et Audre Lorde, fig­ures majeures de la deux­ième vague fémin­iste, par­ticipent toutes deux à un col­loque à New York. Les traces de leur inter­ac­tion sem­blent inex­is­tantes, les archives muettes. L’écrivaine Émi­lie Notéris enquête sur ce ren­dez-vous improb­a­ble, occa­sion de par­courir un moment fort de l’histoire du fémin­isme.
Publié le 26/07/2023

Modifié le 16/01/2025

Illustration de Maya Mihindou pour La Déferlante
Illus­tra­tion de Maya Mihin­dou pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°11 Habiter, parue en août 2023. Con­sul­tez le som­maire.

En 1979, Le Deux­ième Sexe de Simone de Beau­voir a trente ans. À New York, la célèbre psy­ch­an­a­lyste fémin­iste états-uni­enne Jes­si­ca Ben­jamin décide d’organiser un col­loque pour inter­roger l’actualité de ce qui est devenu un clas­sique de la pen­sée fémin­iste.

Il se tien­dra du 27 au 29 sep­tem­bre au New York Insti­tute for the Human­i­ties, et s’intitulera sobre­ment The Sec­ond Sex: Thir­ty Years Lat­er. Simone de Beau­voir n’y par­ticipera pas, son com­pagnon Jean-Paul Sartre étant alors mourant.

Mais quelques mois aupar­a­vant, au print­emps de cette année-là, Jes­si­ca Ben­jamin et l’écrivaine Mar­garet Sim­mons, qui va égale­ment par­ticiper à l’organisation du col­loque, réalisent une inter­view de l’intellectuelle française désor­mais sep­tu­agé­naire. Simone de Beau­voir y clar­i­fie son posi­tion­nement dans le champ fémin­iste. Elle qual­i­fie notam­ment de « séparatisme » ce que l’on nomme alors fémin­isme dif­féren­tial­iste ou néoféminité, duquel se récla­ment les écrivaines Antoinette Fouque et Hélène Cixous (1). À ses yeux, si les dif­férences biologiques exis­tent, elles ne doivent pas fonder les dif­férences sociales exis­tant entre femmes et hommes.

Simone de Beau­voir s’inscrit ain­si dans le courant matéri­al­iste du fémin­isme : celui-ci, à qui la revue Ques­tions fémin­istes sert alors de porte-voix, revendique une analyse marx­iste des rap­ports soci­aux de sexe, con­sid­érant les femmes et les hommes non comme des entités par nature dif­férentes, mais comme des class­es sociales dis­tinctes et hiérar­chisées.

Mais dans cet entre­tien qui tient lieu de préam­bule à l’organisation du col­loque The Sec­ond Sex: Thir­ty Years Later, deux ques­tions sont absentes : celle de la place des les­bi­ennes dans le fémin­isme et celle des femmes racisées. Elles seront tout de même soulevées dans le cadre du col­loque de sep­tem­bre, auquel par­ticipent deux fig­ures incon­tourn­ables du fémin­isme : Audre Lorde et Monique Wit­tig (2). Dans le pro­gramme, il est indiqué que Monique Wit­tig inter­vient lors de la troisième ses­sion du 28 sep­tem­bre. Quant à Audre Lorde, présen­tée comme « con­sul­tante », il est prévu qu’elle lise ses poèmes et prenne la parole en tant que « com­men­ta­trice », dans le cadre d’une ses­sion qui porte sur le per­son­nel et le poli­tique.

Autant de similitudes que de différences

Dans les archives, rien n’indique que Monique Wit­tig et Audre Lorde aient jamais eu d’échange pro­longé, ni même pris un verre ensem­ble. Pour­tant, leurs inter­ven­tions respec­tives – « On ne naît pas femme (3) » pour la pre­mière, et « Les out­ils du maître ne détru­iront jamais la mai­son du maître (4) » pour la deux­ième – vont faire date dans l’histoire intel­lectuelle du fémin­isme.

Issues de la même généra­tion, décédées à dix ans d’écart, Audre Lorde (1934–1992) et Monique Wit­tig (1935–2003) parta­gent autant de simil­i­tudes que de dif­férences. Audre Lorde se définis­sait comme « noire les­bi­enne fémin­iste poétesse mère et guer­rière », Monique Wit­tig comme « écrivain ». Je vois une grande prox­im­ité entre celles que Lorde, dans Zami : une nou­velle façon d’écrire mon nom (5), appelle les Zami (reprenant le nom don­né sur l’île de Car­ri­a­cou, en mer des Caraïbes, aux femmes qui sont amies et amantes) et la com­mu­nauté des « guéril­lères » à qui Wit­tig (6), dans son roman éponyme mar­quée par une grande inven­tiv­ité formelle, donne le statut de sujet col­lec­tif les­bi­en. Peu avant sa mort, Lorde se rebap­tise Gam­ba Adisa, qui sig­ni­fie « guer­rière : celle qui sait se faire com­pren­dre ».

Des liens exis­tent entre la pra­tique de la « bio­mythogra­phie », revendiquée par Lorde dans l’écriture de Zami…, qui mélange mythe, his­toire et biogra­phie, et le « si tu ne te sou­viens pas, invente » de Wit­tig dans Les Guéril­lères. Ce sont leurs manières de ren­dre explicites la sub­jec­tiv­ité inhérente à tout réc­it et la néces­sité de repren­dre le pou­voir par les mots. Ou encore leurs allers-retours con­stants entre théorie et littérature/poésie, avec la croy­ance qu’elles accor­dent aux pou­voirs de la langue : « Red­outez la dis­per­sion. Restez jointes comme les car­ac­tères d’un livre. Ne quit­tez pas le recueil », écrit Monique Wit­tig dans Les Guéril­lères. Dans leur con­cep­tion de la poli­tique comme une activ­ité qui engage le corps autant que l’esprit : « La mode est main­tenant à la sépa­ra­tion du spir­ituel (psy­chique et émo­tif) et du poli­tique, à les con­sid­ér­er comme con­tra­dic­toires et antithé­tiques. “Qu’est-ce que vous voulez dire, une poétesse révo­lu­tion­naire, une trafi­quante d’armes con­tem­pla­tive ?” » raille Audre Lorde (7).

Ce qui les sépare cepen­dant, c’est la dif­fi­culté ou l’impossibilité pour les fémin­istes blanch­es de pren­dre en compte la spé­ci­ficité de l’expérience noire. Toutes les femmes ne subis­sent pas l’oppression à parts égales. Employ­er la métaphore de la race ou de l’esclavage comme décalque par­fait de l’expérience faite par toutes les femmes du sex­isme ou de la les­bo­pho­bie, c’est invis­i­bilis­er dou­ble­ment les femmes de couleur.

Un colloque féministe sans femmes noires ?

Revenons au col­loque de 1979. Dans les archives de la célèbre his­to­ri­enne fémin­iste améri­caine Joan W. Scott, j’en ai retrou­vé le pro­gramme ain­si qu’un livret com­prenant l’ensemble des textes des inter­ven­tions. Il avait été envoyé quelques semaines avant aux per­son­nes inscrites, afin d’éviter « les longues péri­odes pen­dant lesquelles la vaste audi­ence écoute assise et pas­sive la lec­ture des inter­ven­tions », ain­si que le pré­cise en intro­duc­tion le comité d’organisation. Il s’agissait de pou­voir pass­er rapi­de­ment à la dis­cus­sion entre le pub­lic, l’intervenante et les com­men­ta­tri­ces, de plonger dans le vif du sujet.

Vers la fin de leur texte, les organ­isatri­ces aver­tis­sent : « Les plus grands prob­lèmes aux­quels nous nous sommes con­fron­tées furent la simil­i­tude de notre milieu et de nos réseaux, ain­si que celle de nos points de vue. Que nous tra­vail­lions ou non à l’université, nous avons toutes passé une grande par­tie de notre vie dans des envi­ron­nements uni­ver­si­taires, et la plu­part des femmes que nous con­nais­sions y tra­vail­laient. Ain­si, mal­gré nos con­vic­tions rebelles et révo­lu­tion­naires, il nous était ter­ri­ble­ment dif­fi­cile de sor­tir d’une ori­en­ta­tion de classe moyenne. Et nous étions toutes blanch­es. En essayant d’attirer des femmes d’origines dif­férentes, nous avons appris à quel point il était prob­lé­ma­tique de ne pas les avoir inclus­es dans le proces­sus même de plan­i­fi­ca­tion. »


« L’autre aspect impor­tant de la con­férence, c’est le con­stat une fois de plus douloureux de la coupure entre les fémin­istes blanch­es et noires. »

MONIQUE WITTIG


À ce stade de l’envoi du pro­gramme et de l’ensemble des arti­cles auprès des per­son­nes inscrites, la tra­jec­toire de la con­férence était déjà dess­inée. Une unique inter­ven­tion, « Both and », don­nait la parole à deux femmes noires uni­ver­si­taires : Camille Bris­tow et Bon­nie John­son. Dans le livret du col­loque, l’écrivaine et chercheuse Car­ol Asch­er racon­te com­ment les organ­isatri­ces y ont inté­gré Bon­nie John­son : « Je suis assise autour de la table avec toutes les femmes (blanch­es) organ­isant la con­férence de Beau­voir. Nous n’avons pas trou­vé les femmes noires dont nous avions besoin. […] Cela fait des semaines que je me retiens, que je ne veux pas faire jouer mon ami­tié avec Bon­nie. Mais finale­ment, je décide de le faire, je dis : “J’ai une amie, Bon­nie, elle pour­rait inter­venir”. Tout le monde est soulagé. » C’est prob­a­ble­ment Bon­nie John­son qui sug­gère ensuite Camille Bris­tow.

Des effets de marginalisation multiples

L’avertissement for­mulé par le comité d’organisation dans l’introduction du pro­gramme sonne davan­tage comme une excuse que comme un objet de réflex­ion, puisqu’il leur restait encore du temps pour tra­vailler à répar­er cette absence. La présence de Bon­nie John­son et Camille Bris­tow a procuré à ces uni­ver­si­taires blanch­es un soulage­ment qui a dû leur sem­bler momen­tané­ment suff­isant.

Une fois sur place, rien ne sem­ble avoir été imag­iné pour pal­li­er les prob­lèmes évo­qués en amont, ain­si qu’en témoigne la célèbre inter­ven­tion d’Audre Lorde qui vient clore le col­loque. Dans un enreg­istrement audio de la con­férence disponible en ligne sur Les­bian His­to­ry Archives, elle explique d’une voix ferme et posée : « J’ai accep­té […] de par­ticiper à cette con­férence, étant enten­du que je com­menterai les arti­cles trai­tant du rôle de la dif­férence dans la vie des femmes améri­caines ; dif­férences de race, de classe, de sex­u­al­ité. […] L’absence de toute prise en con­sid­éra­tion de la con­science les­bi­enne ou de celle des femmes du tiers-monde crée un vide dans nom­bre de ces arti­cles, un vide dans le traite­ment que nous infli­geons au per­son­nel et au poli­tique. » Seule con­sul­tante noire du col­loque, elle s’insurge : « Est-ce que deux coups de fil équiv­a­lent à une con­sul­ta­tion ? Suis-je la seule source sus­cep­ti­ble de nom­mer des fémin­istes noires de notre pays ? » Dire qu’on ne sait pas vers qui se tourn­er, souligne Audre Lorde, est un geste d’esquive sim­i­laire à celui qui referme toutes les portes au nez des femmes noires, qu’il s’agisse d’un col­loque, d’un mag­a­zine ou d’une salle d’exposition.

Au pre­mier jour du col­loque, une autre femme noire prend néan­moins la parole. Susan McHen­ry, qui tra­vaille alors à la rédac­tion du mag­a­zine fémin­iste Ms., n’était pas prévue au pro­gramme, mais la jour­nal­iste et théorici­enne fémin­iste Robin Mor­gan, autrice de la célèbre antholo­gie Sis­ter­hood is Pow­er­ful (8) et mod­éra­trice d’une des ses­sions du col­loque, exige qu’elle monte sur scène. Dans son inter­ven­tion, Susan McHen­ry reproche à Simone de Beau­voir de s’être con­tentée de pass­er par l’analogie dans Le Deux­ième Sexe, c’est-à-dire de men­tion­ner, mais sans la dévelop­per, la sit­u­a­tion des per­son­nes de couleur. Robin Mor­gan va quant à elle dénon­cer à la fois l’absence des femmes noires, la sur­représen­ta­tion des uni­ver­si­taires, qui laisse dans l’ombre l’apport théorique des activistes, et la mise au plac­ard des les­bi­ennes au sein du col­loque. De fait, la mar­gin­al­i­sa­tion des enjeux pro­pres aux femmes noires et aux femmes les­bi­ennes est man­i­feste dès que l’on par­court les vingt-trois inter­ven­tions retran­scrites dans le livret : six d’entre elles évo­quent la con­di­tion des les­bi­ennes, trois celle des femmes noires, et deux celle des les­bi­ennes noires.

Comme Robin Mor­gan et Susan McHen­ry, Monique Wit­tig et Audre Lorde con­tribuent à met­tre en lumière les dynamiques d’invisibilisation.

Des minorités silenciées

Dans son arti­cle « On ne naît pas femme » pub­lié dans le livret du col­loque, Monique Wit­tig cite la soci­o­logue Colette Guil­lau­min (9) et rap­pelle que la race, au même titre que le genre, est une inven­tion : « Ce que nous croyons être une per­cep­tion directe et physique n’est qu’une con­struc­tion mythique et sophis­tiquée, une “for­ma­tion imag­i­naire” qui réin­ter­prète des traits physiques à tra­vers le réseau de rela­tions dans lequel ils sont perçus. (Ils/elles sont vus noirs, par con­séquent ils/elles sont noirs ; elles sont vues femmes, par con­séquent elles sont femmes. Mais avant d’être vu(e)s de cette façon, il a bien fal­lu qu’ils/elles soient fait(e)s ain­si.) » Après avoir dénon­cé cette fab­rique imag­i­naire de la caté­gorie « femmes », Monique Wit­tig affirme que les les­bi­ennes ne sont pas des femmes. Elles ne peu­vent s’en sor­tir qu’en tuant le mythe de « la femme » véhiculé par la société patri­ar­cale.

Voilà une manière de répon­dre frontale­ment au fémin­isme dif­féren­tial­iste qui sur­val­orise le féminin en pas­sant sous silence le rôle poli­tique du les­bian­isme et qui, à ce col­loque, est notam­ment représen­té par l’écrivaine Hélène Cixous.

Dans un compte ren­du de l’événement, on trou­ve trace de la vivac­ité de cette con­fronta­tion : « Le mot “fémin­isme” est négatif, a déclaré [Hélène Cixous] au cours de la dis­cus­sion. […] “Je crains qu’en nous débar­ras­sant de la femme faite par l’homme, nous nous débar­ras­sions de la femme faite par la femme”, a déclaré Mme Cixous. Elle a égale­ment déclaré que les femmes français­es pou­vaient aimer des femmes, mais qu’elles ne devaient pas employ­er le mot “les­bi­enne”, qui porte des con­no­ta­tions néga­tives en France. “Quelle France ?!”, s’est exclamée Monique Wit­tig, sautant de son siège au fond de la salle. “C’est un scan­dale” (10). »


« L’absence de toute prise en con­sid­éra­tion de la con­science les­bi­enne ou de celle des femmes du tiers-monde crée un vide dans le traite­ment que nous infli­geons au per­son­nel et au poli­tique. »

AUDRE LORDE


Mais si la faible prise en compte du les­bian­isme comme posi­tion stratégique du fémin­isme indigne Monique Wit­tig, il est un autre scan­dale sur lequel elle ne s’attarde pas au cours de son inter­ven­tion : la non-représen­ta­tion des femmes de couleur. Comme entre par­en­thès­es, ce col­loque s’est ouvert et refer­mé sur les mêmes ques­tions, Susan McHen­ry et Audre Lorde ont pointé les mêmes absences, les mêmes efface­ments par la vio­lence. Les deux inter­ven­tions les plus cri­tiques ont émané le pre­mier jour d’une femme noire qui n’avait pas été invitée et le dernier jour d’une femme noire les­bi­enne qui n’avait qu’un rôle de com­men­ta­trice à tenir. Elles ne s’en sont pas tenues au script, elles n’ont pas tenu leur langue, elles se sont tenues droites face à un parterre com­posé de 800 à 1 000 femmes majori­taire­ment blanch­es pour leur deman­der de réfléchir autrement.

Dans une let­tre pub­liée bien plus tard, en 2000, par l’organisatrice du col­loque Jes­si­ca Ben­jamin, celle-ci se sou­vient : « Pen­dant et après le dis­cours d’Audre, Monique Wit­tig est allée se plac­er juste en dessous de l’estrade (qui était assez haute) et, en se tor­dant les mains, elle a sup­plié Audre de chang­er de tac­tique et d’user de son influ­ence pour faire égale­ment évoluer le pub­lic (11). » C’est là l’unique trace d’interaction que j’ai pu ren­con­tr­er dans le cadre de mes recherch­es.

Faire passer le message

Le 1er octo­bre 1979, Monique Wit­tig adresse une let­tre à Simone de Beau­voir pour lui racon­ter ce col­loque auquel la philosophe n’a pu assis­ter. Voici la cor­re­spon­dance de Wit­tig, que m’a trans­mise Marine Rouch, chercheuse en his­toire con­tem­po­raine et spé­cial­iste de Simone de Beau­voir : « Ce qu’on appelle “cul­tur­al fem­i­nism” ici [aux États-Unis, où Monique Wit­tig vit depuis 1976] et “néoféminité” en France a été attaqué pour la pre­mière fois ouverte­ment. L’autre aspect impor­tant de la con­férence : le con­stat une fois de plus douloureux de la coupure entre les fémin­istes blanch­es et noires, avec de la part de ces dernières, des dis­cours vio­lents, urgeant les fémin­istes blanch­es de pren­dre posi­tion sur le racisme. »

Cette let­tre sig­nale qu’un mes­sage a bien été passé mais aus­si qu’il a sem­blé avoir été délivré dans la vio­lence. La vio­lence n’est pas celle des mots de Susan McHen­ry ou d’Audre Lorde mais plutôt l’amplitude néces­saire pour que ce mes­sage soit enten­du. Mes­sage dont les échos n’ont pas fini de reten­tir et qui doit être répété sans cesse, aujourd’hui encore, puisque comme l’écrit la dra­maturge afro-fémin­iste Rébec­ca Chail­lon, qui tra­vaille notam­ment sur les représen­ta­tions des femmes noires : « Tout prend du temps. Tout se meut lente­ment (12). » •

Hormis l’extrait de l’intervention de Monique Wit­tig, toutes les cita­tions extraites du livret ou du col­loque sont traduites par l’autrice de l’article.

 

WITTIG, UNE ENQUÊTE LITTÉRAIRE

Vingt ans après sa mort, l’intérêt sus­cité par l’œuvre de Monique Wit­tig va crois­sant. Pour par­ler de l’écrivaine et mil­i­tante fémin­iste, Émi­lie Notéris, dans un ouvrage sobre­ment inti­t­ulé Wit­tig (Les Péré­grines, 2022), s’est livrée à une véri­ta­ble enquête lit­téraire, amas­sant un matéri­au d’archives con­sid­érable. Elle pointe, avec d’autres, l’un des aspects prob­lé­ma­tiques de l’œuvre wit­tigi­en­ne, qui dresse une analo­gie entre la fig­ure de la les­bi­enne et celle de l’esclave mar­ronne, celle qui est par­v­enue à échap­per à son maître et à con­quérir sa lib­erté. L’image neu­tralise les enjeux raci­aux et la spé­ci­ficité du vécu des femmes afro-descen­dantes, dont l’histoire, con­traire­ment à celle des femmes blanch­es, est mar­quée par l’expérience esclavagiste et l’oppression raciste.

Aux yeux d’Émilie Notéris, le col­loque de 1979 est représen­tatif d’une telle invis­i­bil­i­sa­tion des femmes noires. Out­re le réc­it qu’elle en fait dans nos pages, elle en a tiré la matière d’une per­for­mance, Zam­i­cale­ment vôtre, présen­tée au Cen­tre Pom­pi­dou (Paris) en sep­tem­bre 2023, et dans laque­lle les comé­di­ennes Tah­nee et Héloïse Bel­hôte endossent respec­tive­ment les rôles d’Audre Lorde et Monique Wit­tig. L’illustration de Maya Mihin­dou page 143 a été réal­isée dans le cadre de cette per­for­mance.

 

Émilie NotérisTra­vailleuse du texte, Émi­lie Notéris est tra­duc­trice et autrice. Elle a entre autres pub­lié Macronique. Les choses qui n’existent pas exis­tent quand même (Cam­bourakis, 2020) et Wit­tig(Les Péré­grines, 2022).

 

 

 

Maya MihindouDessi­na­trice, graphiste et pho­tographe, Maya Mihin­dou a notam­ment illus­tré Con­trechant, une antholo­gie de poèmes d’Audre Lorde (trad. col­lec­tif Cételle, édi­tions Les Prouess­es, 2023).

 

 


(1) Essay­iste, éditrice, Antoinette Fouque (1936–2014) est la fig­ure cen­trale du fémin­isme dif­féren­tial­iste (dit aus­si essen­tial­iste) français, qui défend l’existence de deux sex­es intrin­sèque­ment dif­férents. Née en 1937, Hélène Cixous s’inscrit dans ce courant en défen­dant l’idée d’un mode spé­ci­fique­ment féminin d’écriture.

(2) Lire dans La Défer­lante n°1, mars 2021, la présen­ta­tion de l’œuvre d’Audre Lorde, et dans La Défer­lante no 2, juin 2021, le por­trait con­sacré à Monique Wit­tig par Ilana Eloit.

(3) Lire le recueil La Pen­sée straight (éd. Ams­ter­dam, 2018).

(4) Voir le recueil Sis­ter Out­sider, trad. Mag­a­li C. Calise, Mamamélis, 2003.

(5) Zami, une nou­velle façon d’écrire mon nom (Zami: A New Spelling of my Name), trad. Frédérique Press­mann, Mamamélis, 1re éd. 1998, rééd. 2001.

(6) Les Guéril­lères, Minu­it, 1969.

(7) « Les usages de l’érotique, l’érotique comme puis­sance » (trad. Mag­a­li C. Calise), Sis­ter Out­sider, Mamélis, 2003. L’autrice de l’article mod­i­fie ici légère­ment la tra­duc­tion orig­i­nale, préférant « poétesse » et « trafi­quante » à « poète » et « trafi­quant ».

(8) Pub­lié en 1970 chez Ran­dom House, non traduit en français, ce recueil rassem­ble des textes car­ac­téris­tiques de la vague fémin­iste des années 1960.

(9) Soci­o­logue française, Colette Guil­lau­min (1934–2017) a livré des analy­ses qui ont fait date sur le genre et la race comme con­struc­tions sociales. Lire La Défer­lante n° 3, sep­tem­bre 2021.

(10) Car­ol Ann Dou­glas, « 2nd Sex 30 Years Lat­er: Fem­i­nist The­o­ry Con­fer­ence », Off Our Backs, déc. 1979. Tra­duc­tion de l’autrice, Émi­lie Notéris.

(11) Jes­si­ca Ben­jamin, « Let­ter to Lester Olson », Phi­los­o­phy & Rhetoric, vol. 33, no 3, Penn State Uni­ver­si­ty Press, 2000.

(12) Rébec­ca Chail­lon, Boudin Bigu­ine Best Of Banane, L’Arche, 2023.

Émilie Notéris

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Habiter : brisons les murs

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