Flyers de Darmanin : beaucoup de bruit pour rien ?

Mi-mai, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonçait la dis­tri­bu­tion durant l’été de cinq millions de flyers pour favoriser « la sécurité des femmes dans l’espace public ». Deux mois après cette annonce en fanfare, les pros­pec­tus sont dif­fi­ci­le­ment trou­vables. Les expert·es des violences de genre expliquent, par ailleurs, que cette campagne se trompe de cible.

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Publié le 20/07/2023

Modifié le 16/01/2025

Ici dans le Nord, sur le parvis de la gare Lille Flandres. Les flyers s’a­dressent uni­que­ment aux femmes victimes et aux éventuels témoins. Crédit photo : Hermeline Pernoud

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Ils auraient été aperçus fin juin, lors d’une dis­tri­bu­tion par des policiers devant la gare Lille Flandres (Nord). Mais à Paris, malgré nos recherches, aucune trace de ces fameux pros­pec­tus édités par le ministère de l’Intérieur. À défaut d’être dis­po­nibles, les flyers adressés aux victimes et aux témoins de har­cè­le­ment font parler d’eux. Plutôt négativement.

Sur son compte Instagram, le groupe Collages fémi­ni­cides Paris publiait fin juin un message mural ironique : « Tremblez ! Les flyers sont arrivés ! », assorti d’un com­men­taire sur le « ridicule » de l’opération. Même sarcasme du côté de l’association Osez le féminisme !, où les mili­tantes dénoncent « une mesure gadget ». Maëlle Lenoir, membre de la coor­di­na­tion nationale du collectif Nous toutes, s’étonne « Je ne connais aucun mouvement ayant suggéré que les forces de l’ordre éditent cinq millions de papiers contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) cela montre la décon­nexion entre les pouvoirs publics et les asso­cia­tions ». Pire, relève cette dernière, le contenu est «culpa­bi­li­sant pour les victimes », car les conseils sont délivrés sur le ton de l’injonction : « Faites du bruit », ou « Mettez-vous en sécurité pour prévenir au plus vite les forces de l’ordre ». Pour l’activiste, c’est le signe d’une « complète mécon­nais­sance des méca­nismes de sidé­ra­tion », qui anni­hilent les pos­si­bi­li­tés de réagir sur le vif.

« Pour résoudre le problème [des violences], il faut s’adresser aux hommes », renchérit le socio­logue Mischa Dekker, qui déplore que le flyer ne cible pas les agres­seurs poten­tiels. Ce chercheur, qui a consacré sa thèse à la poli­ti­sa­tion du har­cè­le­ment misogyne dans l’espace public, retrace l’origine du débat au début des années 2000, avec la parution de la première enquête comp­ta­bi­li­sant sur le plan national les violences envers les femmes (Enveff) par l’Ined. Ce rapport affirme que les violences sexistes et sexuelles (VSS) sont, dans leur immense majorité, per­pé­trées par des membres de l’entourage des victimes. Pour exemple, 91 % des 94 000 femmes violées chaque année connais­saient leur agresseur.


« Dans les campagnes de pré­ven­tion, les agres­seurs ne sont jamais nommés, encore moins montrés.»


Le phénomène dit « du har­cè­le­ment de rue », bien que massif, n’inverse pas ce ratio. Et qu’importe le contexte dans lequel elles sont commises, les violences sont souvent reléguées, par des sub­ter­fuges du langage courant, à la sphère du sentiment amoureux ou du désir libidinal : on parle encore souvent de « crime pas­sion­nel » pour un meurtre fémi­ni­ci­daire, ou de « promotion canapé » pour désigner du har­cè­le­ment au travail. L’espace public n’échappe pas à cette règle avec l’emploi fréquent de l’expression « drague de rue ». Mischa Dekker souligne que, dans les visuels de pré­ven­tion, les agres­seurs sont très rarement nommés, et encore moins montrés. Lors de pré­cé­dentes campagnes, « les hommes ont été repré­sen­tés sous forme d’animaux – requins, cro­co­diles – ou alors figurés par des ombres ». Et le chercheur de conclure : « C’est plutôt pour le volet répressif que les poli­tiques publiques s’intéressent aux responsables. »

Un accueil catastrophique dans les commissariats

Créé en 2018 sous la houlette de Marlène Schiappa, le délit « d’outrage sexiste » punit les infrac­tions telles que les sif­fle­ments, les com­men­taires sur le physique ou encore les insultes d’une amende oscillant entre 90 euros et 1 500 euros. Une loi pro­mul­guée le 24 janvier 2023 prévoit une aggra­va­tion de la peine jusqu’à 3 750 euros si le délit est commis à l’encontre d’une personne de moins de 15 ans, en raison de son orien­ta­tion sexuelle ou de son identité de genre réelle ou supposée, mais également si l’infraction a lieu dans un véhicule affecté au transport collectif (comme le métro) ou par­ti­cu­lier (les taxis ou les VTC). Mais la portée de ce texte est avant tout sym­bo­lique seuls 3700 outrages sexistes ont été enre­gis­trés par les services de sécurité de 2020 à 2021, les plus récentes données disponibles.

« Avant de dire aux victimes de porter plainte, il faut créer les condi­tions exem­plaires pour les accueillir ! », s’insurge Maëlle Noir du collectif Nous toutes. La militante cite le rapport sur l’accueil en com­mis­sa­riat, commandé par la pré­fec­ture de police de Paris au Centre Hubertine Auclert et diffusé en janvier 2019, qui révélait une prise en charge catas­tro­phique.

« Deux milliards pour nous protéger vraiment »

Pour le moment, les flyers se contentent d’afficher un QR Code qui redirige vers le site Internet minis­té­riel « Ma sécurité », pla­te­forme per­met­tant en théorie de « tchatter » 24 h/24 avec un policier ou un gendarme. Les équipes de la Maison des femmes de Saint-Denis ont testé le dis­po­si­tif. « On a dû attendre un long moment et relancer à plusieurs reprises avant d’avoir un retour des services de police », regrette la gyné­co­logue Ghada Hatem, qui salue malgré tout « un outil qui a le mérite d’exister ».

En réaction à l’opération lancée par la place Beauvau, le collectif Nous toutes s’apprête, d’ici quelques jours, à partager en ligne sa propre brochure traitant de « la sécurité des femmes et personnes LGBT+ dans l’espace public et privé ». Leur tract revu et corrigé s’adresse en priorité aux forces de l’ordre, qu’il enjoint à suivre des for­ma­tions sur les violences sexistes et sexuelles, mais aussi à écouter les victimes et à faire preuve d’empathie. Si aucune asso­cia­tion n’a jamais exigé cinq millions de pros­pec­tus, la plupart en revanche espèrent « deux milliards pour nous protéger vraiment ».

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