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« Nos désirs font désordre »

Dans les années 1970, en affir­mant « Nos désirs font désor­dre », les militant·es fémin­istes, les­bi­ennes et gay cla­ment la dimen­sion révo­lu­tion­naire des sex­u­al­ités minori­taires. Et ébran­lent l’ordre hétéropa­tri­ar­cal. Retour sur un slo­gan qui, d’une mobil­i­sa­tion à l’autre, ne cesse de cir­culer depuis cinquante ans.
Publié le 29/06/2023

Modifié le 01/05/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°9, Bais­er de févri­er 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.

«Nos désirs font désor­dre »: l’allitération est aus­si séduisante et créa­tive que le pro­pos est sub­ver­sif. Il nous ramène au cœur de l’histoire de la révo­lu­tion sex­uelle des années 1970–1980. Un moment où les femmes et les les­bi­ennes revendiquent l’autonomie quant à leur sex­u­al­ité, leur accès à la jouis­sance, leurs choix de vie. Où cer­taines mil­i­tantes cherchent à boule­vers­er rad­i­cale­ment les normes dis­crim­i­nantes de l’hétérosexualité et de la bina­rité de genre. Un moment où la dimen­sion éminem­ment poli­tique des désirs des femmes et des per­son­nes LGBT+ appa­raît en pleine lumière.

Au début des années 1970, on assiste en effet à un développe­ment simul­tané du Mou­ve­ment de libéra­tion des femmes (MLF) et des mou­ve­ments de libéra­tion homo­sex­uelle. Une poli­ti­sa­tion de la sex­u­al­ité s’opère: elle trans­gresse la fron­tière d’ordinaire établie entre la sphère privée et la sphère publique. Façon­née par les rap­ports col­lec­tifs de dom­i­na­tion, perçue comme une déviance ou vécue clan­des­tine­ment lorsqu’elle ne répond pas à la norme, la sex­u­al­ité ne peut être con­sid­érée comme rel­e­vant unique­ment de l’ordre du privé. « Le privé est poli­tique », comme le résume un autre slo­gan clé forgé à la même époque par les pre­miers groupes fémin­istes et homo­sex­uels.

L’hétérosexualité analysée comme un régime politique

Les groupes du MLF met­tent alors au cœur de leurs reven­di­ca­tions le droit à l’avortement libre et gra­tu­it, les luttes con­tre les vio­lences faites aux femmes, ain­si que la (re)découverte et l’apprentissage d’une sex­u­al­ité par et pour les femmes, avec une con­cep­tion nova­trice de la jouis­sance fémi­nine. Il s’agit de détourn­er la sex­u­al­ité de sa dimen­sion unique­ment repro­duc­tive comme de celle d’outil au ser­vice de la jouis­sance mas­cu­line. Cela amène à replac­er au cœur des débats publics le plaisir des femmes, leur choix de vivre ou pas la mater­nité, ain­si que d’autres désirs sub­ver­tis­sant les normes patri­ar­cales.

Dans des cer­cles plus restreints, dont la poli­tiste Ilana Eloit a mon­tré qu’ils avaient par­fois été invis­i­bil­isés par les fémin­istes hétéros, des dis­cus­sions autour des vécus les­bi­ens appa­rais­sent. Au sein du MLF, où, dès l’origine, les les­bi­ennes sont nom­breuses, cer­taines entre­pren­nent d’analyser l’hétérosexualité comme un régime poli­tique : Monique Wit­tig théoris­era l’idée dans un arti­cle fon­da­teur, « La pen­sée straight», qui paraît en 1980 dans la revue Ques­tions fémin­istes. L’hétérosexualité est en effet une norme juridique, poli­tique et cul­turelle dont l’acceptation sociale est si forte qu’elle n’est jamais ques­tion­née. En tant que telle, elle déter­mine les nom­breuses dis­crim­i­na­tions dont sont vic­times les homo­sex­uels, les les­bi­ennes, mais aus­si les femmes : celles-ci sont en effet som­mées de se con­former au régime de la famille hétéro­sex­uelle, qui implique l’aliénation de leur corps, de leur temps et de leur force de tra­vail à tra­vers les tâch­es domes­tiques.

Le refus d’être discriminé·es par la loi et pathologisé·es par les institutions médicales

Rad­i­cale, l’analyse va sus­citer des débats houleux au sein du MLF entre fémin­istes hétéro­sex­uelles et les­bi­ennes d’une part, et entre les­bi­ennes elles-mêmes d’autre part. En découle en 1980 le courant du les­bian­isme poli­tique: il fait du les­bian­isme un moyen d’émancipation des femmes face à un régime de con­trainte à l’hétérosexualité. Les désirs les­bi­ens vien­nent boule­vers­er la place sub­al­terne attribuée aux femmes dans le cadre de la famille tra­di­tion­nelle et son statut de pro­priété sex­uelle de l’homme: c’est ce que résume le slo­gan «Les­bi­enne, lèse-mâle».

Le slo­gan «Nos désirs font désor­dre» résonne aus­si au sein des mou­ve­ments de lutte homo­sex­uelle qui se créent entre les années 1970 et 1980. Dans une société hétéropa­tri­ar­cale où les homosexuel·les risquent d’être arrêté·es par la police pour «atteinte à la pudeur », et d’être interné·es en hôpi­tal psy­chi­a­trique – l’homosexualité est alors con­sid­érée comme une mal­adie men­tale–, ces militant·es déci­dent de vis­i­bilis­er col­lec­tive­ment leurs désirs. Ils et elles revendiquent avec force leur droit d’exister, de ne plus se cacher, de ne plus être discriminé·es par la loi ni pathologisé·es par les insti­tu­tions médi­cales. Le mou­ve­ment de libéra­tion homo­sex­uelle sou­tient que les sex­u­al­ités minori­taires sont une remise en cause de l’ordre hétéropa­tri­ar­cal et du cadre de la famille tra­di­tion­nelle. Elles peu­vent amen­er égale­ment à une trans­gres­sion et à une redéf­i­ni­tion des normes sociales de genre, à tra­vers, par exem­ple, les fig­ures flam­boy­antes et provo­cantes des folles du mou­ve­ment homo­sex­uel¹.

Slo­gan poly­mor­phe, « Nos désirs font désor­dre» a cir­culé entre les mou­ve­ments fémin­istes, les­bi­ens et homo­sex­uels via les engage­ments simul­tanés de militant·es au sein de ces divers groupes. Certes, on n’en retrou­ve pas la trace avérée au sein des pre­miers col­lec­tifs à clamer cette sub­ver­siv­ité des désirs homo­sex­uels et les­bi­ens : le Front homo­sex­uel d’action révo­lu­tion­naire (Fhar), créé en 1971 par des les­bi­ennes et des fémin­istes du MLF et des homo­sex­uels, et les Gouines rouges, mon­tée l’année suiv­ante par d’anciennes mil­i­tantes du Fhar qui con­tes­tent la dom­i­na­tion mas­cu­line qui y règne. Mais, d’une façon générale, on manque d’archives pour ces deux mou­ve­ments. En revanche, « Nos désirs font désor­dre » est, de manière cer­taine, l’un des slo­gans bran­dis par les Groupes de libéra­tion homo­sex­uelle (GLH) et le Comité d’urgence anti-répres­sion homo­sex­uelle (Cuarh, auquel adhèrent un cer­tain nom­bre de GLH et de groupes les­bi­ens), qui appa­rais­sent quelques années plus tard. Il résonne lors de man­i­fes­ta­tions telles que celles organ­isées con­tre la répres­sion envers les homosexuel·les en juin 1977 ou celle d’avril 1981, pour les lib­ertés des homo­sex­uels et des les­bi­ennes face aux divers­es dis­crim­i­na­tions inscrites dans la loi (2).

Cinquante ans plus tard, certains désirs font toujours désordre

Cepen­dant, les groupes fémin­istes, les­bi­ens et homo­sex­uels ne sont pas tou­jours d’accord sur les désirs qu’il s’agit de revendi­quer et de vis­i­bilis­er, en ce qui con­cerne la pornogra­phie par exem­ple : si les mou­ve­ments gay repren­nent en par­tie cette esthé­tique, une frange du mou­ve­ment fémin­iste va, elle, se posi­tion­ner, dans les années 1980, con­tre l’usage de ces codes. Mais, comme le souligne l’historien Jeff Meek dans ses travaux por­tant sur les sol­i­dar­ités entre fémin­istes et homosexuel·les depuis les années 1970, ces échanges et cir­cu­la­tions ont été féconds poli­tique­ment: ils ont amené une par­tie du mou­ve­ment homo­sex­uel à adopter les
con­cepts de patri­ar­cat et de rôles sex­uels gen­rés ; ils ont aus­si con­tribué à la for­ma­tion de réseaux de sol­i­dar­ité qui ont per­duré au fil des années.

Aujourd’hui, le cadre légal a évolué: une série de lois ont vu le jour visant à lut­ter con­tre les dis­crim­i­na­tions subies par les homosexuel·les. En 2013, le mariage a été ouvert aux cou­ples de même sexe : les mobil­i­sa­tions qu’a sus­citées ce pro­jet de loi ont amené les mou­ve­ments LGBT+ et toute une part des groupes fémin­istes à réaf­firmer leur sol­i­dar­ité. Quant à l’histoire des mou­ve­ments les­bi­ens, elle fait l’objet d’un intérêt renou­velé auprès des militant·es et des chercheur·euses. Dans ce con­texte, «Nos désirs font désor­dre » a resur­gi dans les man­i­fes­ta­tions ; le slo­gan est repris sur les murs par les colleureuses fémin­istes, affiché sur les réseaux soci­aux… Aujourd’hui encore, les désirs des femmes, des les­bi­ennes, des gays demeurent un hori­zon rad­i­cale­ment éman­ci­pa­teur.

1. Les folles sont des homo­sex­uels qui, retour­nant le stig­mate faisant d’eux des per­son­nes pré­ten­du­ment
moins vir­iles que les hétéros, affichent un effémine­ment revendiqué et sub­ver­sif, par­fois théâ­tral­isé.

2. Jusqu’en août 1982, par exem­ple, l’âge de la majorité sex­uelle était fixé à 15 ans pour l’hétérosexualité, et à 18 ans pour l’homosexualité.

Camille Morin-Delaurière

Doctorante en histoire et en science politique, elle écrit une thèse intitulée « Imbrication, convergence et divergence entre les mouvements féministes, lesbiens et homosexuels : théories et pratiques militantes des luttes de libération sexuelle en France (1970-1989). Voir tous ses articles

Baiser : Pour une sexualité qui libère

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°9, Bais­er de févri­er 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.


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