Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

No Anger : La fée Bleue et moi

Comme beau­coup de petites filles, No Anger a été abreuvée de représen­ta­tions stéréo­typées issues de l’univers des dessins ani­més. Par­mi elles, celle de la fée Bleue de Pinoc­chio, arché­type d’une féminité douce et bien­veil­lante, l’a longtemps pour­suiv­ie.

par

Publié le 12/04/2023

Modifié le 16/01/2025

Chronique « La fée Bleue et moi » signée No Anger - La Déferlante 10 « Danser »
Chronique signée No Anger « La fée Bleue et moi »

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
Con­sul­ter le som­maire

La fée Bleue : mon pre­mier amour. Petite, elle me fasci­nait. Que de fois ai-je regardé Pinoc­chio, le long métrage de Dis­ney, rien que pour la voir don­ner vie au pan­tin de bois et le sauver ensuite des griffes d’un méchant mar­i­on­net­tiste.

Étais-je amoureuse d’elle ? Voulais-je être elle ? Peut-être les deux à la fois. J’admirais cette blonde aux ailes de papil­lon. J’enviais sa robe d’un bleu scin­til­lant, sa baguette mag­ique, sa voix douce, sa gestuelle gra­cieuse, sa mise en plis par­faite, sa démarche légère, son autorité toute mater­nelle.

Quand j’étais enfant, les atours de la féminité avaient pour moi quelque chose d’attirant. J’espérais con­fusé­ment que mon corps hand­i­capé serait mieux con­sid­éré si j’arrivais à façon­ner ma gestuelle et ma voix sur le mod­èle de la fée Bleue. Si je par­ve­nais à com­pos­er le même rôle qu’elle, jamais je ne serais enfer­mée en insti­tu­tion, j’annulerais le des­tin auquel les logiques validis­te¹ et hétéropa­tri­ar­cales me con­damnaient.

Mais la fée Bleue, ça n’était pas moi, ça ne pou­vait pas être moi. Cela ne s’enracinait pas dans une quel­conque inca­pac­ité de mon corps, mais, tout sim­ple­ment, dans l’imaginaire dom­i­nant : la fée Bleue – comme tous les autres mod­èles de féminité – devait être une femme valide ; et les femmes hand­ies ne pou­vaient être des fées Bleues. À tout prix, l’ordre hétérova­lidiste entend préserv­er le charme et la magie de cette féminité par­faite ; et si la fée Bleue avait été hand­i­capée, il est à crain­dre qu’on lui aurait retiré tous ses pou­voirs.

Un désir de perfection

Vers 14 ans, à la suite de mon com­ing-out les­bi­en, je n’ai plus eu envie de ressem­bler à la fée Bleue. Sa grâce, sa voix, sa coif­fure me parais­saient alors des acces­soires dis­pens­ables. Dix ans plus tard, au moment de mon virage queer, j’ai cette fois com­pris que la fée Bleue était une femme cis­genre et hétéro­sex­uelle dont la seule util­ité dans le scé­nario était de met­tre sa magie au ser­vice d’un vieux mâle blanc, Gepet­to, pour sat­is­faire son désir d’être père – et donc de trans­met­tre son pat­ri­moine.

Pour­tant, même après mon entrée en fémin­isme, même après avoir foulé les ter­ri­toires du les­bian­isme poli­tique, l’appel de la fée Bleue réson­nait encore en moi. Puisque je n’étais pas hétéro, puisque je n’avais pas réus­si à lui ressem­bler physique­ment, puisque je n’en avais plus envie, je devais réus­sir à être une fée Bleue dans mes rela­tions amoureuses. Au moins, per­former cette féminité par­faite dans le cou­ple. Au moins, ne pas échouer à ça, ne pas échouer à préserv­er cet îlot de per­fec­tion, ce sem­blant de nor­mal­ité, pour (me) don­ner l’impression que mon corps hand­i­capé pou­vait tout de même être utile à quelque chose, que ce corps assigné femme n’était pas totale­ment à met­tre au rebut.

Je soignais ain­si les blessures nar­cis­siques qui m’étaient infligées par le validisme : alors qu’on voy­ait en mon corps un con­stant objet de care² pesant sur la vie d’aidante·s fatigué·es, j’ai été à l’écoute, j’ai encour­agé, j’ai récon­forté. Alors que per­son­ne n’imaginait mon corps capa­ble de fonder un foy­er, alors que l’on attend trop sou­vent qu’un corps bas de gamme engen­dre une vie bas de gamme, je voulais fonder une famille. J’ai aimé jouer à la fée-infir­mière, j’ai aimé me pro­jeter dans le rôle de fée du logis, de fée mater­nelle.

C’était un désir presque incon­scient, dis­simulé dans la cer­ti­tude que la cis-hétéro­nor­ma­tiv­ité n’avait plus aucune prise sur moi, gouine fémin­iste. Mais ce désir était tout de même là. C’était une urgence, un besoin qui me tarau­dait, car la per­spec­tive de créer mon foy­er arguait en faveur de mon util­ité sociale, éloignant pour tou­jours cette même hypothèse ter­ri­fi­ante d’un futur en insti­tu­tion. En ressem­blant à la fée Bleue, je croy­ais me sauver.

Désapprendre mes réflexes de fée

Mais au lieu de ça, la fée Bleue m’a joué un vilain tour. Piégée dans la toile com­plexe des injonc­tions hétéro­nor­ma­tives et validistes, j’ai con­nu une rela­tion vio­lente pen­dant un cer­tain temps. Je ne pou­vais rompre, parce que l’infirmière par­faite n’abandonne jamais ceux qu’elle soigne, parce que ça aurait été sabot­er une des rares chances – et peut-être la seule – qui m’était don­née de faire cou­ple. Alors, tant pis pour l’amour, tant que je pou­vais ressem­bler au moins une fois à la fée Bleue. Elle seule peut se per­me­t­tre d’être exigeante. Moi pas !

J’ai sen­ti en mon corps à quel point cette nar­ra­tion pou­vait s’avérer dan­gereuse, lorsqu’elle pousse à se sac­ri­fi­er jusqu’à s’oublier. Il est donc devenu urgent de dés­ap­pren­dre mes réflex­es de fée. Un lent décrochage s’est opéré en moi. Peu à peu, j’ai trou­vé reposant de ne plus par­ticiper à la course à la séduc­tion, de ne plus avoir envie de faire cou­ple, de ne plus avoir peur des 50-ans-sans-enfants. Le céli­bat ne m’a plus paru ce manque à combler, cet état tran­si­toire qu’on doit absol­u­ment faire pass­er. Je n’ai plus pathol­o­gisé ni psy­chol­o­gisé ma flemme d’écumer Tin­der ou OkCu­pid. Mais j’ai surtout com­mencé à ressen­tir, de façon intense et pro­fonde, qu’il y avait mille façons de fonder un foy­er et que, pour cela, il n’était pas for­cé­ment néces­saire d’être une fée. 

Cette chronique de No Anger est la pre­mière d’une série de qua­tre.


  1. Le validisme est un sys­tème d’oppressions qui inféri­orise les per­son­nes hand­i­capées, con­sid­érant les per­son­nes valides comme la norme sociale.
  2. L’éthique du care désigne, de manière glob­ale, le souci et le soin accordés aux autres.
No Anger

(photo en attente ) Docteure en science politique, No Anger est une artiste et militante queer et antivalidiste. Elle s’intéresse aux mouvements sociaux et aux questions liées au genre, au corps et à la sexualité. Elle signe ici sa première chronique d’une série de quatre. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
Con­sul­ter le som­maire


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107