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Pourquoi tant de femmes psychopathes dans les séries ?

Des pre­miers réc­its mythologiques aux thrillers dif­fusés aujourd’hui sur les chaînes de la TNT, les femmes sont sou­vent présen­tées comme des créa­tures per­vers­es. Cette représen­ta­tion vise à pathol­o­gis­er celles qui parvi­en­nent à échap­per à la dom­i­na­tion mas­cu­line, estime la jour­nal­iste et écrivaine Nora Bouaz­zouni.
Publié le 12/04/2023

Modifié le 16/01/2025

Chronique signée Nora Bouaz­zouni « Pourquoi tant de femme psy­chopathes dans les séries ? »»

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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À la télévi­sion, les affaires crim­inelles ont leurs cas­es horaires. Les pro­grammes dif­fusés en prime time nous acca­blent des mêmes scé­nar­ios : des dis­pari­tions d’enfants dans des vil­lages isolés, où tout le monde a un secret et où le coupable est un homme « ordi­naire » – le père, l’oncle, le phar­ma­cien.

En deux­ième par­tie de soirée, place aux psy­chopathes¹: là encore, des hommes, cette fois incon­nus de leurs vic­times, qu’ils enlèvent dans des park­ings mal éclairés, puis qu’ils vio­lent, tor­turent et tuent sim­ple­ment parce qu’ils sont « dégénérés ».Mais l’après-midi, les chaînes mis­ent sur un autre arché­type, celui de la crim­inelle dérangée, cas­tra­trice, sexy ou froide­ment manip­u­la­trice. Un trope scé­nar­is­tique qui ne date pas d’hier : la Bible fai­sait déjà l’étal de ces fig­ures vénéneuses (Dalila, Salomé), la pro­pa­gande his­torique aus­si (Cléopâtre, Cather­ine de Médi­cis, Mata Hari), et la lit­téra­ture les exploite depuis longtemps (Mis­ery, Les Liaisons dan­gereuses, Mil­dred Pierce).

Tan­dis que les spectateur·ices des années 1940–1950 décou­vraient les femmes fatales des films noirs, le pub­lic des années 1990 a fré­mi devant Cather­ine Tramell, la mante religieuse de Basic Instinct, ou Alex For­rest, la pré­da­trice obses­sion­nelle de Liai­son fatale. Ce même pub­lic a aus­si gran­di avec trois des plus grandes manip­u­la­tri­ces du petit écran : Aman­da Wood­ward, Kim­ber­ly Shaw et Syd­ney Andrews, pro­tag­o­nistes de Mel­rose Place. La pre­mière fig­ure même à la 20e place du top 40 des plus grand·es méchant·es de l’histoire des séries établi par le mag­a­zine états-unien Rolling Stone. Trente ans plus tard, c’est Cer­sei Lan­nis­ter, reine inces­tueuse de Game of Thrones, ou encore Amy Elliott Dunne, l’héroïne de Gone Girl, qui incar­nent cette déviance au féminin.

Toutes ces anti-héroïnes ont le même pro­fil : trompées, abusées, agressées ou tout sim­ple­ment cru­elles, elles passent leur temps à manip­uler ou punir les hommes – sans pour autant épargn­er les femmes.

Des fictions qui perpétuent le mythe de la femme perverse

Entre 13 heures et 17 heures, la TNT pro­pose donc des télé­films états-uniens aux titres évo­ca­teurs – Une séduc­trice dans ma mai­son, Mys­térieuse Mère por­teuse, Une belle-mère qui me veut du mal – dont les pitchs se ressem­blent cru­elle­ment. Une étu­di­ante du Mid­west se fait embauch­er comme jeune fille au pair, mais se révèle une dan­gereuse déséquili­brée. Une femme sexy et mys­térieuse séduit un veuf éploré, mais s’avère être la meur­trière de sa femme. Une vingte­naire pétil­lante tue la mère por­teuse engagée par son col­lègue, dont elle est secrète­ment amoureuse, pour la rem­plac­er.

L’intrigue laisse place à peu de sur­pris­es. Au cœur de « l’engrenage infer­nal » se trou­ve une femme, sou­vent jeune, tou­jours séduisante et cal­cu­la­trice, dont les manœu­vres ont un but très clair : attir­er un homme dans ses filets ou causer son mal­heur. Prête à tout, elle n’hésitera pas à l’accuser d’un viol dont il est inno­cent pour le faire chanter, à inven­ter un passé trau­ma­ti­sant pour sus­citer son empathie ou à tuer quiconque se met­tra en tra­vers de son chemin. Des fic­tions qui, comme l’a mon­tré par exem­ple l’autrice fémin­iste Valérie Rey-Robert dans son livre Une cul­ture du viol à la française, per­pétuent l’idée que les femmes sont par nature per­vers­es, et qu’elles mentent dans le but de nuire aux hommes.

Retour de bâton conservateur

Cette misog­y­nie car­ac­térisée a colonisé nos imag­i­naires et nos écrans, alors que la réal­ité est tout autre : les femmes et les filles sont les pre­mières vic­times de vio­lences sex­uelles, très majori­taire­ment per­pétrées par les hommes. Les homi­cides obéis­sent à une autre logique : c’est d’abord un crime mas­culin, qui fait prin­ci­pale­ment des vic­times mas­cu­lines.

Si la fic­tion est fascinée par de tels per­son­nages féminins, c’est que l’ultraviolence des femmes, plus rare sta­tis­tique­ment, dément les car­ac­téris­tiques qu’on leur asso­cie tra­di­tion­nelle­ment : la douceur, la sen­si­bil­ité, l’empathie, la fibre mater­nelle… Les femmes vio­lentes incar­nent une dou­ble trans­gres­sion : de la loi et des rôles de genre. Ces dis­si­dentes sont pathol­o­gisées, con­sid­érées comme « anor­males² » et par­ti­c­ulière­ment dan­gereuses, puisqu’elles usent des stéréo­types de genre unique­ment pour tromper des hommes con­va­in­cus de leur bon­té naturelle. Et quand ce n’est pas leur ingé­nu­ité, c’est leur sex-appeal qu’elles dégainent pour piéger leur proie. La sex­u­al­ité des femmes, intime­ment liée à la vio­lence con­tre les hommes, est alors présen­tée comme une arme létale.

Énième avatar du retour de bâton con­ser­va­teur observé à chaque avancée fémin­iste, la crim­inelle désaxée abuserait donc sans remords d’une agen­tiv­ité inédite pour se venger des mâles (ou des autres femmes, qui ne sont alors que des con­cur­rentes). Ces réc­its, qui met­tent en scène l’impensable et l’impossible, stig­ma­tisent la lib­erté des femmes et leur sex­u­al­ité, pour mieux con­jur­er la peur panique des hommes con­statant leur perte de pou­voir. 

Mem­bre du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante, Nora Bouaz­zouni est jour­nal­iste spé­cial­isée en cul­ture et ali­men­ta­tion. Elle est égale­ment tra­duc­trice et écrivaine, autrice de Fai­min­isme. Quand le sex­isme passe à table (2017) et Steak­sisme. En finir avec le mythe de la végé et du vian­dard (2021), parus aux édi­tions Nourit­ur­fu. Cette chronique est la deux­ième d’une série de qua­tre sur la pop cul­ture.


  1. Rap­pelons que la psy­chopathie est un trou­ble de la per­son­nal­ité, et non une mal­adie men­tale, qui toucherait 2 à 3 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale, et que, con­traire­ment à la vision car­i­cat­u­rale des fic­tions, les per­son­nes qui en sont atteintes ne sont pas toutes des crim­inelles en puis­sance.
  2. À l’inverse, de Tony Sopra­no (Les Sopra­nos) à Dex­ter Mor­gan (Dex­ter) en pas­sant par Wal­ter White (Break­ing Bad), plusieurs séries nor­malisent la cor­rup­tion morale des hommes, présen­tés comme des anti-héros attachants, des pères de famille aimants, qui bor­dent leurs enfants après avoir abat­tu un enne­mi de sang-froid.
Nora Bouazzouni

Journaliste indépendante, écrivaine et traductrice, elle écrit sur les questions d’alimentation, le genre et la pop culture. Elle est membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

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