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Pour une politique féministe du travail

L’époque des con­fine­ments liés à la pandémie est loin, où l’on promet­tait davan­tage de recon­nais­sance aux aides-soignantes, cais­sières et infir­mières, métiers ultra fémin­isés. Le dernier pro­jet de réforme des retraites est une preuve sup­plé­men­taire du peu de con­sid­éra­tion porté au tra­vail des femmes. Face à ce mépris poli­tique, com­ment repenser le tra­vail en fémin­iste ?, s’interroge la philosophe Manon Gar­cia.
Publié le 12/04/2023

Modifié le 16/01/2025

Chronique signée Manon Gar­cia « Pour une poli­tique fémin­iste du tra­vail »

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Trois ans après le début de la pandémie de Covid, on aurait pu espér­er des change­ments impor­tants dans les métiers les plus fémin­isés. On se sou­vient des con­fine­ments où médecins, infir­mières et aides-soignantes étaient applaudi·es chaque jour.

On se rendait enfin compte de la dif­fi­culté des con­di­tions de tra­vail en Ehpad, de l’importance des cais­sières grâce à qui nous pou­vions nous rav­i­tailler dans un monde à l’arrêt¹. Chacun·e mesurait le rôle majeur des enseignantes et des Atsem² dans la vie des enfants. Pour­tant, ces pro­fes­sions essen­tielles n’ont fait l’objet d’aucune reval­ori­sa­tion. Bien au con­traire : la réforme des retraites ini­tiée en jan­vi­er 2023 ren­force encore les injus­tices entre retraites féminines et mas­cu­lines, même si le gou­verne­ment affirme l’inverse. Par exem­ple, les dis­posi­tifs per­me­t­tant d’amoindrir les effets de la mater­nité sur les car­rières ont été dras­tique­ment réduits. Au lieu de lut­ter con­tre les injus­tices faites aux femmes au tra­vail, le gou­verne­ment se con­tente de prôn­er une égal­ité sur la forme qui ne fait que ren­forcer les iné­gal­ités sur le fond.Mais d’un point de vue de philosophe, que sig­ni­fie repenser le tra­vail de manière fémin­iste ? On peut par­tir du con­stat suiv­ant : il existe une divi­sion gen­rée du tra­vail qui rend les femmes respon­s­ables de la majorité des tâch­es domes­tiques, lesquelles ont tou­jours été con­sid­érées comme dénuées de valeur, et, de fait, elles ne font l’objet d’aucune rétri­bu­tion. Cette organ­i­sa­tion du monde social lim­ite le temps dont les femmes dis­posent pour le tra­vail payé, et pour le temps de loisir. Cela explique en par­tie le dif­féren­tiel de salaire entre hommes et femmes, qui est de 22 % en France. Cette divi­sion du tra­vail est jus­ti­fiée par une nat­u­ral­i­sa­tion, c’est-à-dire par l’idée que les femmes seraient naturelle­ment plus douces, plus à même de s’occuper des autres, plus mater­nelles.

Une division genrée du travail qui précarise les femmes

Ce que les philosophes fémin­istes appor­tent à ce con­stat, c’est une éval­u­a­tion nor­ma­tive : elles mon­trent que cette sit­u­a­tion est injuste et que la société devrait lut­ter col­lec­tive­ment pour y met­tre fin. Aux États-Unis, Gina Schouten utilise, par exem­ple, les out­ils des théories con­tem­po­raines de la jus­tice pour mon­tr­er que la divi­sion gen­rée du tra­vail ne résiste à aucun des critères de jus­tice com­muné­ment admis. Avant elle, Martha Nuss­baum s’est appuyée sur la notion de vul­néra­bil­ité pour mon­tr­er que le monde du tra­vail repose sur une représen­ta­tion du tra­vailleur comme un indi­vidu indépen­dant, ce qui invis­i­bilise le fait qu’au cours de la vie nous avons tous·tes besoin, à dif­férents degrés, qu’on prenne soin de nous. Or cette vul­néra­bil­ité, qui se man­i­feste de façon plus fla­grante pen­dant l’enfance et la vieil­lesse, ce sont les tra­vailleuses qui en por­tent le fardeau : ce sont qua­si exclu­sive­ment les femmes qui inter­rompent leur car­rière pour pren­dre en charge un enfant ou un par­ent malade.

En France, la philosophe San­dra Laugi­er a souligné les injus­tices causées par l’invisibilisation du tra­vail de « care » (c’est-à-dire de soin et d’attention) réal­isé par les femmes. Car l’immense majorité de ces métiers de ser­vice qui con­sis­tent à pren­dre soin des autres sont occupés par des femmes : elles représen­tent la qua­si-total­ité des aides à domi­cile, 87 % du per­son­nel infir­mi­er, 91 % des aides-soignant·es, 76 % des per­son­nes tra­vail­lant en caisse ou à la vente… Les con­fine­ments ont jeté une lumière crue sur ce que les travaux fémin­istes pointent depuis longtemps : la vie et l’indépendance des hommes et femmes des class­es moyennes et aisées sont ren­dues pos­si­bles par le tra­vail sous-payé, sous-déclaré, sous-pro­tégé, de femmes majori­taire­ment pau­vres et non blanch­es.

Monnayer le partage du care ?

Ce dernier aspect est décisif : la cri­tique du tra­vail ménag­er non payé telle que l’ont for­mulée les fémin­istes de la deux­ième vague, de Simone de Beau­voir à Bet­ty Friedan en pas­sant par les fémin­istes marx­istes comme Sil­via Fed­eri­ci ou Chris­tine Del­phy³, a con­duit beau­coup de monde à penser qu’externaliser, et donc pay­er, ces tâch­es rendraient ce tra­vail plus vis­i­ble et moins oppres­sif.

Mais il suf­fit d’aller dans un square parisien en fin d’après-midi et de voir les « nounous » noires et les enfants blancs dont elles s’occupent pour com­pren­dre que cette exter­nal­i­sa­tion a des effets injustes. Comme l’ont mon­tré les théorici­ennes afro-fémin­istes bell hooks et Angela Davis, elle per­met aux femmes blanch­es et rich­es de tra­vailler et de gag­n­er leur indépen­dance au prix de l’exploitation d’autres femmes. Le vrai prob­lème est le suiv­ant : le tra­vail du care est perçu comme un tra­vail de femmes et à ce titre est décon­sid­éré et mal payé (sou­venons-nous d’Antoine Com­pagnon, pro­fesseur au Col­lège de France, qui déplo­rait en 2014 la « fémin­i­sa­tion mas­sive » du méti­er d’enseignant, qui avait selon lui « achevé de le déclass­er »). Une vraie poli­tique fémin­iste du tra­vail ne con­siste pas à mon­nay­er, tou­jours aus­si mal, le tra­vail ménag­er. Au con­traire : elle doit faire com­pren­dre aux hommes que le tra­vail du care est impor­tant et qu’il doit être partagé par tous·tes si l’on veut vivre dans un monde plus juste. Ce qui implique un change­ment pro­fond de l’organisation du tra­vail payé : il faut que tout le monde ait le temps néces­saire pour s’occuper de soi et des sien·nes sans y laiss­er trimestres de coti­sa­tion et égal­ité salar­i­ale.

Philosophe fémin­iste, Manon Gar­cia enseigne la philoso­phie morale et poli­tique à l’Université libre de Berlin. Elle a dirigé l’anthologie Philoso­phie fémin­iste. Patri­ar­cat, savoirs, jus­tice (Vrin 2021). Cette chronique est la deux­ième d’une série de qua­tre.


  1. Lire la tri­bune col­lec­tive « Coro­n­avirus : il faut reval­oris­er les emplois et car­rières à pré­dom­i­nance fémi­nine », Le Monde, 18 avril 2020.
  2. Agentes ter­ri­to­ri­ales spé­cial­isées des écoles mater­nelles. Les Atsem assis­tent les enseignant·es dans la vie de la classe.
  3. Lire le débat « Faut-il rémunér­er les tâch­es domes­tiques ? » dans La Défer­lante n° 2 (mars 2022) et l’article de Lucie Tourette « Fémin­istes, qui fait le ménage chez vous ? » dans La Défer­lante n° 5 (juin 2021).
  4. Entre­tien don­né au Figaro le 6 jan­vi­er 2014.
Manon Garcia

Philosophe féministe, elle enseigne la philosophie morale et politique à la Freie Universität de Berlin, en Allemagne. Elle a dirigé une anthologie de philosophie féministe intitulée *Philosophie féministe : Patriarcat, savoirs, justice *(Vrin, 2021). Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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