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Royaume-Uni : résister à la haine anti-trans

Mer­cre­di 16 avril, la Cour suprême bri­tan­nique a décidé d’ex­clure les femmes trans de la déf­i­ni­tion juridique du terme « femme ». La plus haute juri­dic­tion du pays a don­né rai­son à une organ­i­sa­tion mil­i­tante trans­pho­be qui s’opposait à l’inclusion des femmes trans dans le périmètre d’une mesure antidis­crim­i­na­tion votée par le Par­lement d’Écosse en 2018. Depuis plus d’une décen­nie, la trans­pho­bie s’intensifie out­re-Manche, dans les médias et sous l’impulsion des terfs, ces mou­ve­ments fémin­istes anti-trans. Dans ce reportage pub­lié en mai 2023, La Défer­lante mon­tre com­ment les militant·es trans et leurs allié·es organ­isent la résis­tance en réponse à la guerre idéologique menée par le camp réac­tion­naire et face aux vio­lences et au har­cèle­ment quo­ti­di­en.
Publié le 12/04/2023

Modifié le 17/04/2025

Manifestant·es pour les droits des per­son­nes trans, devant le 10 Down­ing Street, à Lon­dres le 21 jan­vi­er 2023. © Hen­ry nicholls  / Reuters

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023.
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« De com­bi­en de nos morts avez-vous besoin pour vous souci­er de ce qui nous arrive ? » scan­dent les manifestant·es bran­dis­sant des bou­gies. Elles et ils sont une cen­taine rassemblé·es ce soir de la mi-févri­er 2023 devant le départe­ment de l’Éducation, à Lon­dres, pour une veil­lée funèbre à la mémoire de Bri­an­na Ghey, une jeune fille trans de 16 ans poignardée quelques jours plus tôt à Wer­ring­ton, au nord-ouest de l’Angleterre.

Plusieurs autres veil­lées funèbres et die-in ont été organ­isées ce soir-là à tra­vers le pays, lais­sant enten­dre le cri de colère des militant·es trans et de leurs allié·es con­tre le gou­verne­ment con­ser­va­teur et la presse, accusé·es d’instaurer un cli­mat de haine con­tre la com­mu­nauté trans. Deux adolescent·es (une jeune fille et un jeune homme de 15 ans) ont été inculpé·es pour le meurtre de Bri­an­na Ghey. La police a fini par con­céder qu’il pou­vait s’agir d’un crime de haine, alors qu’elle avait d’abord écarté cette piste.Un mois plutôt, le 18 jan­vi­er 2023, plusieurs cen­taines de militant·es trans étaient réuni·es devant les grilles du 10 Down­ing Street, siège de la rési­dence offi­cielle du Pre­mier min­istre, le con­ser­va­teur Rishi Sunak. En cause : le blocage par le gou­verne­ment bri­tan­nique d’une loi de sim­pli­fi­ca­tion à l’accès au change­ment de genre adop­tée en décem­bre 2022 par le Par­lement écos­sais. Défendue par la Pre­mière min­istre écos­saise sociale-démoc­rate Nico­la Stur­geon, la Gen­der Recog­ni­tion Reform Bill est une réforme des con­di­tions d’obtention du cer­ti­fi­cat de recon­nais­sance de genre (Gen­der Recog­ni­tion Cer­tifi­cate). Con­for­mé­ment au principe d’autodétermination, les per­son­nes trans ne sont plus tenues de présen­ter un diag­nos­tic médi­cal de « dys­pho­rie de genre » : une sim­ple déc­la­ra­tion suf­fit. La demande peut être faite trois mois après que la per­son­ne con­cernée a com­mencé à vivre dans le genre qui lui cor­re­spond – au lieu de deux ans précédem­ment. Enfin, l’âge min­i­mal pour réclamer le cer­ti­fi­cat est abais­sé de 18 ans à 16 ans. Cette loi fait de l’Écosse l’une des pre­mières nations d’Europe, à légifér­er pour dépathol­o­gis­er et sim­pli­fi­er les démarch­es de change­ment de genre, près de vingt ans après la loi de 2004 qui insti­tu­ait la recon­nais­sance légale du change­ment de genre, le Gen­der Recog­ni­tion Act, en vigueur dans tout le roy­aume. Inac­cept­able, pour le gou­verne­ment bri­tan­nique qui en met­tant son veto à la loi écos­saise, provoque une crise poli­tique sans précé­dent.

« Main­tenant, tous les deux ou trois mois j’entends par­ler de quelqu’un qui s’est sui­cidé. Pour une si petite com­mu­nauté, ça fait beau­coup ! »

Jane Fae, mil­i­tante trans


Produire des contenus haineux, ça assure le Buzz

Elle s’inscrit dans un cli­mat de haine gran­dis­sant à l’égard des per­son­nes trans depuis une décen­nie, avec pour prin­ci­pale con­séquence une grave dégra­da­tion de leurs con­di­tions de vie. En témoigne la dégringo­lade du pays dans le classe­ment de l’International Les­bian and Gay Asso­ci­a­tion (Ilga) qui défend les droits des per­son­nes LGBT+ au niveau européen. En 2015, le Roy­aume-Uni arrivait en tête des États européens ; six ans plus tard, il n’occupe plus que la qua­torz­ième place du classe­ment. Par­mi les raisons avancées par l’Ilga : l’incapacité du gou­verne­ment bri­tan­nique à réformer le Gen­der Recog­ni­tion Act de 2004. Depuis plusieurs années, cette loi encad­rant le change­ment de genre est décriée par les asso­ci­a­tions LGBT+ à cause du proces­sus invasif et déshu­man­isant qu’elle fait subir aux per­son­nes con­cernées lors des entre­tiens médi­caux et psy­chologiques oblig­a­toires pour l’établissement d’un diag­nos­tic de dys­pho­rie de genre. Par ailleurs, les per­son­nes trans sont égale­ment touchées de plein fou­et par la crise qui affecte le ser­vice de san­té publique bri­tan­nique, le Nation­al Health Ser­vice (NHS) et qui s’est encore accen­tuée avec la pandémie de Covid-19. Le temps d’attente pour une pre­mière con­sul­ta­tion rel­a­tive à une dys­pho­rie de genre se compte en années, de même que le proces­sus médi­cal de tran­si­tion en lui-même.

« Les per­son­nes trans tra­versent une péri­ode hor­ri­ble, en par­ti­c­uli­er celles qui reçoivent peu de sou­tien et n’ont pas accès à des espaces com­mu­nau­taires », témoigne Cleo Madeleine, mil­i­tante trans qui vit à Nor­wich, ville moyenne de l’est du pays. Elle est porte-parole de Gen­dered Intel­li­gence, une asso­ci­a­tion bri­tan­nique de sou­tien pour et par les per­son­nes trans basées à Lon­dres. « Cela entraîne chez certain·es une peur de sor­tir de chez soi, des dif­fi­cultés à aller chez le médecin ou à deman­der de l’aide en cas de besoin. Les effets sur leur san­té men­tale sont pro­fonds. » L’une des raisons majeures de cette détéri­o­ra­tion est l’explosion de l’hostilité et de la vio­lence trans­pho­be sur les plateaux télé, les réseaux soci­aux et dans les pages des tabloïds depuis quelques années. Une hos­til­ité qui se traduit en actes : en 2022, les agres­sions trans­pho­bes ont explosé, aug­men­tant de 56 % par rap­port à l’année précé­dente, selon le Home Office, le min­istère de l’Intérieur bri­tan­nique. C’est la plus forte hausse depuis 2011, année où ces don­nées ont com­mencé à être recueil­lies. « Main­tenant, tous les deux ou trois mois j’entends par­ler de quelqu’un qui s’est sui­cidé. Pour une si petite com­mu­nauté, ça fait beau­coup ! », s’inquiète la mil­i­tante trans vétérane Jane Fae par télé­phone depuis sa petite ville de Letch­worth, au nord de Lon­dres. Affaib­lie depuis l’épidémie de Covid-19, Jane est tenue de s’isoler chez elle. C’est de son domi­cile qu’elle dirige Trans­Ac­tu­al, une asso­ci­a­tion de défense des droits des per­son­nes trans.

« Com­ment en est-on arrivé là ? », s’interrogent aujourd’hui nom­bre de militant·es. Pour Jane Fae, la cam­pagne par­ti­c­ulière­ment tox­ique sur le référen­dum du Brex­it en 2016 a créé un précé­dent. « Tout au long de cette cam­pagne, les citoyen·nes ont été matraqué·es de men­songes au sujet des immigré·es. » Men­tir, pro­duire des con­tenus haineux, c’est s’assurer de faire le buzz. Or, au même moment, la Pre­mière min­istre con­ser­va­trice There­sa May décidait de réformer la loi sur la recon­nais­sance du change­ment de genre, « cher­chant un moyen facile de prou­ver qu’elle n’était pas si à droite que ça, après son alliance avec les ultra­con­ser­va­teurs union­istes en Irlande du Nord ». D’après Jane Fae, cette réforme aurait dû pass­er aisé­ment mais, du fait d’une forte insta­bil­ité gou­verne­men­tale, les min­istres chargé·es de l’Égalité ont démis­sion­né les un·es après les autres. « La réforme a alors attiré l’attention des médias con­ser­va­teurs, qui se sont mis à pub­li­er une série d’articles alarmistes et com­plo­tistes pré­ten­dant, par exem­ple, que des hommes mal inten­tion­nés allaient se faire pass­er pour des femmes trans et faire irrup­tion dans des espaces réservés aux femmes pour les vio­l­er », se sou­vient-elle.

Katy Mont­gomerie, ingénieure trans de 33 ans et célèbre mil­i­tante pour les droits des per­son­nes LGBT+ via sa chaîne YouTube, estime pour sa part que le gou­verne­ment de droite s’est pro­gres­sive­ment rap­proché de l’extrême droite, sous l’influence des guer­res idéologiques agitées par les mou­ve­ments réac­tion­naires proches de Don­ald Trump. « Avec l’immigration, un de leurs thèmes de prédilec­tion est la tran­si­d­en­tité. Sachant qu’en ce qui con­cerne la Grande-Bre­tagne, s’opposer aux droits des per­son­nes gay n’est plus du tout “por­teur” poli­tique­ment… »

Un mouvement Terf de plus en plus influent

C’est dans ce con­texte qu’un petit groupe de fémin­istes – par­mi lesquelles la jour­nal­iste Julie Bindel¹ ou l’universitaire Ger­maine Greer² – s’est mis à relay­er ces dis­cours trans­pho­bes. Les « terf s » (Trans-Exclu­sion­ary Rad­i­cal Fem­i­nists), à l’origine issues de la gauche et des mou­ve­ments fémin­istes mais qui s’engagent alors dans un mil­i­tan­tisme vio­lem­ment anti-trans, font rapi­de­ment des émules. L’exemple le plus con­nu est celui de la roman­cière à suc­cès autrice de Har­ry Pot­ter J.K. Rowl­ing. Elle prend régulière­ment la parole sur les réseaux soci­aux ou sur son blog pour s’atta­quer aux femmes trans sous pré­texte qu’elles met­traient en dan­ger les femmes cis­gen­res (per­son­ne dont l’identité de genre est en con­cor­dance avec le sexe assigné à la nais­sance). En 2022, elle a annon­cé sa par­tic­i­pa­tion au finance­ment d’un lieu d’accueil exclu­sive­ment réservé aux femmes cis­gen­res à Édim­bourg. Et ces derniers mois, elle s’est très ouverte­ment engagée con­tre la loi écos­saise en inter­pelant régulière­ment la Pre­mière min­istre Nico­la Stur­geon.

Des articles anti-trans dans les journaux progressistes

En quelques années, les réseaux terfs bri­tan­niques se sont struc­turés et ont pris de l’ampleur. Déjà en 2017, l’organisation Women’s Place UK avait été créée pour s’opposer au pro­jet de réforme du Gen­der Recog­ni­tion Act et réclamer l’exclusion des femmes trans des lieux d’accueil des femmes vic­times de vio­lences sex­istes et sex­uelles. Puis, en 2019, c’est la LGB Alliance qui est fondée, en oppo­si­tion à Stonewall, l’organisation LGBT+ la plus con­nue de Grande-Bre­tagne, qui a affiché son sou­tien aux per­son­nes trans. C’est à cette péri­ode qu’une par­tie des asso­ci­a­tions spé­cial­isées dans les vio­lences sex­istes et sex­uelles com­mence à ne plus accepter les per­son­nes trans.

Avec cette mon­tée en puis­sance, les argu­ments des militant·es terfs ont peu à peu imprégné l’opinion. Ain­si, Mum­snet, un forum en ligne à tra­vers lequel des par­ents échangent des con­seils, est devenu depuis 2015 un lieu priv­ilégié d’expression de pro­pos trans­pho­bes. « J’ai l’impression que l’intégralité de notre paysage médi­a­tique est dev­enue anti-trans », résume Katy Mont­gomerie. En une décen­nie, le nom­bre d’articles négat­ifs pub­liés a explosé, analyse pour sa part la vétérane Jane Fae, engagée dans Trans Media Watch, une asso­ci­a­tion qui étudie la représen­ta­tion des per­son­nes trans et inter­sex­es dans la presse : « Entre 2010 et 2015, il y avait une cen­taine d’articles par an sur les per­son­nes trans. Aujourd’hui on est à env­i­ron 6 000, c’est-à-dire plus que le nom­bre de per­son­nes pourvues d’un cer­ti­fi­cat de change­ment de genre… » Même les jour­naux réputés pro­gres­sistes à l’image du Guardian³ ou du New States­man pub­lient des arti­cles anti-trans.

Harcèlement de masse sut la questions des mineur·es

Con­séquence de ce défer­lement médi­a­tique, les militant·es et les asso­ci­a­tions de sou­tien aux per­son­nes trans subis­sent un har­cèle­ment quo­ti­di­en et font par­fois l’objet d’actions en jus­tice.

Stonewall est aujourd’hui l’une des prin­ci­pales cibles du mou­ve­ment terf. Par­mi les asso­ci­a­tions de défense des vic­times de vio­lences sex­istes et sex­uelles, rares sont celles qui déclar­ent encore publique­ment accueil­lir les per­son­nes trans.

Depuis l’automne 2022, l’association Mer­maids, qui sou­tient les enfants trans et leurs familles, est visée par une enquête de la Char­i­ty Com­mis­sion, l’organisme chargé du suivi et du con­trôle des organ­i­sa­tions car­i­ta­tives. Elle est accusée de nuire aux mineur·es et aux per­son­nes vul­nérables qu’elle sou­tient. Cette enquête fait suite à la pub­li­ca­tion en sep­tem­bre 2022 d’un arti­cle du quo­ti­di­en con­ser­va­teur The Tele­graph affir­mant que Mer­maids four­nis­sait des binders (ban­deaux de poitrine) à des jeunes trans sans le con­sen­te­ment de leurs par­ents. L’offensive se cristallise autour de cette ques­tion des mineur·es, lais­sant à penser, par exem­ple, qu’il serait facile pour les enfants d’accéder à des blo­queurs de puberté⁴ et qu’il faudrait par con­séquent les en pro­téger. La réal­ité, vu les délais d’attente du NHS, est tout autre. D’après l’ONG bri­tan­nique The Good Law Project, les mineur·es doivent atten­dre en moyenne plus de 18 mois pour un pre­mier ren­dez-vous, ce qui sig­ni­fie que beau­coup de jeunes trans tra­versent leur ado­les­cence sans avoir pu se faire pre­scrire des inhib­i­teurs de puberté.

La justice veut s’en prendre aux bloqueurs de puberté

« Le nom­bre d’enfants qui souhait­ent vivre dans un genre dif­férent de celui qui leur a été assigné à la nais­sance est min­ime ! Faire croire le con­traire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inven­tés », estime Talia – son prénom a été changé à sa demande –, enseignante et référente LGBT+ dans une école lon­doni­enne, qui fait ici allu­sion à la récupéra­tion poli­tique, par les militant·es anti-trans, d’une affaire qui s’est déroulée entre 2019 et 2020. Elle a opposé, d’une part, le Tavi­s­tock and Port­man NHS Foun­da­tion, organ­isme pub­lic qui gère le seul ser­vice de change­ment d’identité de genre pour les mineur·es au Roy­aume-Uni, et d’autre part, Keira Bell, une femme de 23 ans qui a pris des blo­queurs de puberté à l’âge de 16 ans, puis entamé une tran­si­tion hor­monale, avant de détran­si­tion­ner cinq ans plus tard. En pre­mière instance, les juges ont mis en doute la capac­ité des moins de 16 ans à décider seul·es⁵ de pren­dre les blo­queurs en ques­tion, même si leur médecin estime qu’iels en sont capa­bles. En décem­bre 2020, le NHS décide de sus­pendre l’accès à ce type de traite­ment pour toute per­son­ne de moins de 16 ans n’ayant pas encore com­mencé à le pren­dre. « J’étais en con­tact avec des par­ents d’enfants trans à l’époque, se sou­vient Katy Mont­gomerie. Iels avaient changé de genre en mater­nelle ou à l’école pri­maire. Au col­lège ou au lycée, iels étaient des enfants ordi­naires, dont les ami·es ne savaient pas qu’iels étaient trans. Tout d’un coup, iels couraient le risque d’être outé·es et de voir leur corps chang­er de façon irréversible. Com­ment leur expli­quer cela ? J’ai du mal à me remet­tre du fait que ces gens nous détes­tent autant. » En 2021, le juge­ment en appel ren­verse cette déci­sion, con­clu­ant qu’il revient « aux clinicien·nes plutôt qu’à la cour de décider de la com­pé­tence [de mineur·es de moins de 16 ans] à se voir pre­scrire des inhib­i­teurs de puberté ». Mais les dif­fi­cultés d’accès aux soins demeurent. Même si les mineur·es sont censé·es avoir accès aux blo­queurs de puberté, il leur faut atten­dre telle­ment longtemps qu’ils bas­cu­lent sou­vent dans la liste d’attente d’accès aux soins des adultes.


« Le nom­bre d’enfants qui souhait­ent vivre dans un genre dif­férent de celui qui leur a été assigné à la nais­sance est min­ime ! Faire croire le con­traire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inven­tés. »

Talia, enseignante et référente LGBT+


Dans ce con­texte dif­fi­cile, des militant·es des droits des per­son­nes trans ten­tent de résis­ter au mieux, et cherchent les moyens de con­tr­er les argu­ments des réac­tion­naires sans ris­quer de s’exposer à la haine. « Ça n’arrivera jamais, mais j’adorerais réus­sir à faire dire à J.K. Rowl­ing sur un plateau télé qu’elle déteste les per­son­nes trans et qu’elle aimerait que leur nom­bre dimin­ue. Ce serait hor­ri­ble, mais on y ver­rait plus clair », explique Katy Mont­gomerie. Elle fait ici référence à une pra­tique qui s’est dévelop­pée à la télévi­sion bri­tan­nique depuis quelques années et qui con­siste à impos­er aux per­son­nes trans invitées un « débat » face à des interlocuteur·ices hos­tiles. De fait, elles se retrou­vent som­mées de jus­ti­fi­er leur tran­si­d­en­tité⁶. « On se retrou­ve avec des gens qui hurlent à des femmes trans qu’elles ont un pénis. Une bonne par­tie des activistes trans ont décidé, et c’est par­faite­ment com­préhen­si­ble, de ne plus débat­tre à la télé, mais je me demande par­fois si on ne risque pas ain­si d’être réduit·es au silence », pour­suit-elle. Dans un con­texte où les médias leur fer­ment la porte ou ne leur pro­posent pas des con­di­tions accept­a­bles pour s’exprimer, nom­bre de per­son­nes trans se sont, à l’instar de Katy Mont­gomerie, façon­né des espaces où elles peu­vent par­ler libre­ment.

Shon Faye a aban­don­né sa car­rière d’avocate pour militer et devenir jour­nal­iste et autrice. En 2021, elle a pub­lié The Trans­gen­der Issue : An Argu­ment for Jus­tice (Ver­so Books), un man­i­feste pro-trans au suc­cès inat­ten­du dans lequel elle démonte patiem­ment les dif­férents argu­ments trans­pho­bes. Quant à l’artiste Travis Ala­ban­za, qui explore son iden­tité de per­son­ne trans, noire et non binaire à tra­vers des per­for­mances drag et des pièces de théâtre, iel a pub­lié en 2022 None of the Above: Reflec­tions on Life Beyond The Bina­ry (Canon­gate Books), une auto­bi­ogra­phie qui revient sur sept phras­es blessantes qu’iel a enten­dues au cours de sa vie, afin de se les réap­pro­prier. Des fig­ures qui don­nent de l’espoir, selon Katy Mont­gomerie qui a qua­si­ment le même âge que la « Sec­tion 28 », cette série de lois passée sous le gou­verne­ment con­ser­va­teur de Mar­garet Thatch­er en 1988 inter­dis­ant notam­ment de faire la « pro­mo­tion » de l’homosexualité en en par­lant à l’école. Elle souligne que les jeunes aujourd’hui ont plus de mod­èles trans à dis­po­si­tion, que ce soit en cou­ver­ture des mag­a­zines, par­mi les ­super-héros Mar­vel, ou en tête des charts, avec la chanteuse alle­mande Kim Petras par exem­ple.

Manifs et actions en justice

Dans la rue, la résis­tance s’organise aus­si et prend de l’ampleur. Les man­i­fes­ta­tions de lutte pour les droits des per­son­nes trans, comme le Trans Day of Remem­brance qui se tient le 22 novem­bre, rassem­blent à chaque édi­tion de plus en plus de monde. « La dernière Trans+ Pride, qui s’est tenue en juil­let 2022 à Lon­dres a rassem­blé entre 20 000 et 30 000 per­son­nes, c’est énorme », rap­pelle Nat­acha Kennedy, uni­ver­si­taire trans, autrice d’une thèse de soci­olo­gie sur les jeunes trans, enseignante au Gold­smiths Col­lege, une uni­ver­sité LGBT-friend­ly du sud de Lon­dres. « Je n’arrivais pas à le croire, la foule s’étendait à perte de vue sur l’avenue Pic­cadil­ly, au cœur de la cap­i­tale. Les man­i­fes­ta­tions me ren­dent opti­miste parce qu’elles rassem­blent tou­jours un tas de gens. »

En dehors des man­i­fes­ta­tions, les organ­i­sa­tions trans et LGBT+ mul­ti­plient les straté­gies pour soutenir et défendre con­crète­ment les per­son­nes trans vivant au Roy­aume-Uni. Mer­maids gère par exem­ple un numéro d’urgence et un ser­vice de mes­sagerie instan­ta­née. Gen­dered Intel­li­gence organ­ise des activ­ités sportives des­tinées aux jeunes trans et à leurs familles. L’association organ­ise des cours de nata­tion, activ­ité dans laque­lle les per­son­nes trans sont sou­vent stig­ma­tisées. Quant au cen­tre social lon­donien The Out­side Project, il a ouvert le pre­mier refuge bri­tan­nique pour les per­son­nes LGBT+ n’ayant pas de domi­cile fixe en 2017⁷, et, au début de la pandémie de Covid-19, le pre­mier refuge pour per­son­nes LGBT+ vic­times de vio­lences domes­tiques. Le cen­tre accueille des per­son­nes trans sus­cep­ti­bles d’être mal accueil­lies ou car­ré­ment inter­dites d’accès dans des struc­tures sim­i­laires. La lutte, enfin, se joue aus­si sur le plan juridique. Avec l’aide de l’ONG The Good Law Project, Gen­dered Intel­li­gence a ain­si déposé un recours con­tre le NHS d’Angleterre, arguant que les délais dans la prise en charge des per­son­nes trans étaient dis­crim­i­na­toires. Cleo Madeleine, porte-parole de l’association, a assisté aux audi­ences. « Cette action en jus­tice ne va pas tout résoudre, explique-t-elle, mais quelle que soit son issue, ce qui compte c’est de mon­tr­er aux mem­bres de la com­mu­nauté, qui ont le sen­ti­ment d’avoir été aban­don­nés par le gou­verne­ment et le sys­tème de san­té, qu’on est en train de se bat­tre. »


  1. Julie Bindel est une autrice et jour­nal­iste fémin­iste anglaise âgée de 60 ans, con­nue pour son engage­ment con­tre les vio­lences faites aux femmes.
  2. D’origine aus­trali­enne, Ger­maine Greer, 89 ans, est une fig­ure de la vie publique bri­tan­nique. Elle s’est fait con­naître mon­di­ale­ment avec La Femme eunuque, un man­i­feste fémin­iste pub­lié en 1970.
  3. En octo­bre 2018, un édi­to­r­i­al du Guardian sur le Gen­der Recog­ni­tion Act a été cri­tiqué par des jour­nal­istes de la rédac­tion états-unien·ne du jour­nal qui lui reprochaient de faire « la pro­mo­tion de posi­tions trans­pho­bes ».
  4. Les blo­queurs (aus­si appelés inhib­i­teurs) de puberté stop­pent pro­vi­soire­ment l’apparition de car­ac­tères sex­uels sec­ondaires (seins, règles, mous­tache…) ne cor­re­spon­dant pas au genre vécu par l’adolescent·e. Il ou elle peut ain­si chem­iner dans son ques­tion­nement de genre, avant de décider, ou pas, de pren­dre un traite­ment hor­mon­al de tran­si­tion.
  5. En Grande-Bre­tagne, la capac­ité des jeunes de moins de 16 ans à pren­dre des déci­sions par elleux-mêmes, y com­pris en désac­cord avec leurs par­ents, est éval­uée à l’aune du con­cept de « mineur mûr » sou­vent util­isé en droit médi­cal.
  6. Des for­mats sim­i­laires ont fait leur appari­tion en France. Le 15 octo­bre 2022, par exem­ple, dans son émis­sion « Quelle époque ! » sur France 2, Léa Salamé a organ­isé un « débat » où Marie Cau, pre­mière maire trans de France, était con­fron­tée à l’activiste anti-trans Dora Moutot.
  7. Au Roy­aume-Uni, 24 % des jeunes sans domi­cile fixe s’identifient comme LGBT+.

Les mots importants

TERF

L’acronyme Terf pour « trans-exclu­sion­ary...

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Valeria Costa-Kostritsky

Journaliste française à Londres, elle travaille pour le site britannique openDemocracy Eurasia, qui couvre l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Elle contribue régulièrement à la London Review of Books et au magazine d’art Apollo. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

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