Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

La loi Veil : un symbole encombrant

On célébrait ven­dre­di dernier les 50 ans de la loi portée par Simone Veil, autorisant les médecins à pra­ti­quer des avorte­ments. Année après année, l’ancienne min­istre de la San­té a fini par incar­n­er à elle toute seule ce jalon essen­tiel de l’émancipation des Français­es. Au risque d’évincer des com­mé­mora­tions les com­bats col­lec­tifs qui ont per­mis la légal­i­sa­tion de l’IVG, mais au risque égale­ment d’isoler l’avortement au sein d’autres luttes tou­jours d’actualité pour les droits repro­duc­tifs. [Actu­al­i­sa­tion le 17 jan­vi­er 2025]
Publié le 20/01/2023

Modifié le 17/01/2025

Retrou­vez le numéro 16 de la revue sur le thème « S’habiller », paru en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

En novem­bre 2022, les député·es inau­gu­raient dans les jardins de l’Assemblée nationale, une stat­ue de Simone Veil. En 2018, un an à peine après sa dis­pari­tion et à l’initiative d’Emmanuel Macron, l’ancienne min­istre de la San­té était entrée au Pan­théon. Il faut dire que son par­cours excep­tion­nel épouse de manière frap­pante l’histoire du XXe siè­cle, dans ce qu’elle a de plus épou­vantable – l’expérience de la Shoah –, mais aus­si de réc­on­cil­i­a­teur – Veil fut une actrice impor­tante de la con­struc­tion européenne – et d’émancipateur pour les femmes : il y a cinquante ans, le 17 jan­vi­er 1975, Simone Veil fai­sait adopter par le Par­lement la loi légal­isant l’interruption volon­taire de grossesse (IVG) en France. Mais comme tout totem poli­tique, la fig­ure de l’ancienne min­istre est aus­si con­vo­quée à d’autres fins, en l’occurrence pour neu­tralis­er une autre mémoire, celle des fémin­istes de gauche, et pour figer le cadre idéologique des enjeux repro­duc­tifs en France.

La loi de 1975 : un texte de compromis

L’historienne Bib­ia Pavard, autrice d’une thèse sur les dynamiques de lutte pour la con­tra­cep­tion et l’avortement en France entre 1956 et 1979, y qual­i­fie la loi Veil de « vic­toire para­doxale » pour les femmes : « Simone Veil a con­tribué à l’aboutissement de la reven­di­ca­tion fémin­iste de libre dis­po­si­tion de soi pour les femmes, tout en repous­sant les mobil­i­sa­tions col­lec­tives dans un hors-champ. »

De fait, au tour­nant des années 1970, à force de mobil­i­sa­tions, les fémin­istes parvi­en­nent à met­tre la ques­tion de l’IVG à l’agenda poli­tique, comme l’ex­plique la soci­o­logue Lucile Ruault dans La Défer­lante 13. Nom­mée en 1974 min­istre de la San­té par Gis­card d’Estaing, Simone Veil est prév­enue par son prédécesseur, Michel Poni­a­tows­ki qu’elle doit faire vite : « Sinon vous arriverez un matin au min­istère et vous décou­vrirez qu’une équipe du MLAC [Mou­ve­ment pour la lib­erté de l’avortement et de la con­tra­cep­tion] squat­te votre bureau et s’apprête à y pra­ti­quer un avorte­ment. »

Mais pour que les député·es de droite adoptent cette loi pro­gres­siste, Simone Veil doit mul­ti­pli­er les con­ces­sions : il ne s’agit pas d’ouvrir des droits, mais avant tout de répon­dre à une urgence san­i­taire, « met­tre fin à une sit­u­a­tion de désor­dre et d’injustice », comme elle le déclare en présen­tant sa loi devant l’Assemblée nationale. Dans l’esprit du texte, les femmes, avant d’être des sujets poli­tiques dignes de droits, sont des per­son­nes en souf­france : l’avortement « restera tou­jours un drame », souligne Veil, et sa pra­tique doit être une com­pé­tence dévolue unique­ment aux médecins, seul·es habilité·es à effectuer cet acte (là où cer­taines mil­i­tantes du MLAC défend­ent l’idée que c’est aux femmes elles-mêmes de se l’approprier). Hors de ques­tion, par ailleurs, qu’il soit rem­boursé par la Sécu­rité sociale : il fau­dra atten­dre 1982 et le retour de la gauche au pou­voir pour que ce point soit mod­i­fié.

Une rhétorique doloriste

Aujourd’hui, le cadrage hérité de la loi Veil imprègne encore l’imaginaire poli­tique français. À ce titre, il était frap­pant d’entendre à l’hiv­er 2022 Emmanuel Macron – né trois ans après le vote de ladite loi et qui fai­sait alors encore mine de s’af­fich­er en mod­ernisa­teur du pays –, repren­dre à son compte la rhé­torique doloriste et cul­pa­bil­isante de la droite de 1974 : « L’avortement est un droit, mais c’est tou­jours un drame pour une femme », déclarait-il dans le cadre de la longue bataille par­lemen­taire qui, en mars 2022, étendait l’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse (un délai déjà en vigueur depuis 2010 en Espagne, par exem­ple). Si finale­ment, après des mois d’ater­moiements du par­ti prési­den­tiel, l’IVG a fini par faire son entrée dans la Con­sti­tu­tion en mars 2024, elle ne fig­ure qu’à titre de « lib­erté », et non de « droit ».

De nouvelles demandes de justice reproductive

Plus large­ment, la dynamique mémorielle autour de la fig­ure de Simone Veil a prob­a­ble­ment con­tribué à cornéris­er la lutte pour l’avortement, en la désol­i­darisant d’autres enjeux repro­duc­tifs. Car, en miroir des femmes qui n’ont pas accès à l’IVG, il y a toutes celles aux­quelles on con­teste la pos­si­bil­ité d’avoir des enfants : dans les années 1970, alors que la loi Veil est débattue en France hexag­o­nale, à La Réu­nion, des femmes pau­vres et racisées sont vic­times d’avortements et de stéril­i­sa­tions for­cées, ain­si que l’ont mon­tré les chercheuses Myr­i­am Paris et Françoise Vergès. Comme au Groen­land à par­tir des années 1960 ou au Pérou dans les années 1990, les pra­tiques eugénistes ont cours, partout dans le monde et à toutes les épo­ques, selon des critères qui mêlent racisme, sex­isme, con­sid­éra­tions clas­sistes et validistes. En décem­bre 2022, le Par­lement européen adop­tait un rap­port dénonçant le fait que dans 13 pays européens, la stéril­i­sa­tion for­cée des per­son­nes hand­i­capées demeure légale. 

Pour lut­ter con­tre ce type de dis­crim­i­na­tions, les fémin­istes afro-améri­caines ont élaboré le con­cept de « jus­tice repro­duc­tive ». Dans un entre­tien à La Défer­lante, l’an­thro­po­logue et mil­i­tante Mou­nia El Kot­ni explique quels en sont les trois piliers : « le droit de ne pas avoir d’en­fants et de pou­voir revendi­quer le fait d’être child­free […] ; inverse­ment, le droit d’avoir des enfants et donc de ne pas être stérilisé·e de force, de pou­voir accouch­er comme on le souhaite […] ; le droit d’élever ses enfants dans un envi­ron­nement non tox­ique. »


« Presque dix ans après le mariage pour tous·tes, les per­son­nes trans­gen­res sont tou­jours exclues de la PMA »


Alors que la demande de « jus­tice repro­duc­tive » com­mence à s’ex­primer comme telle en France, une par­tie des mobil­i­sa­tions fémin­istes a juste­ment porté ces dernières années sur l’accès aux droits repro­duc­tifs de groupes soci­aux qui en sont privés. Là encore, les forces poli­tiques (de gauche comme de droite) ont nav­igué entre franche oppo­si­tion et frilosité de principe. Il a en effet fal­lu atten­dre 2021, presque dix ans après le vote ouvrant le mariage à tous·tes, pour que les femmes seules et les les­bi­ennes puis­sent accéder à la PMA (voir notre dossier « Réin­ven­ter la famille », de sep­tem­bre 2022). Les per­son­nes trans­gen­res, qui jusqu’en 2016 devaient accepter la stéril­i­sa­tion pour pou­voir tran­si­tion­ner, en sont par ailleurs tou­jours exclues.

Alors que la droite œuvre à faire de la loi de 1975 une borne mémorielle sacral­isée, l’héritage de ce dis­posi­tif lég­is­latif implique, pour les fémin­istes de gauche, un con­stant tra­vail de recon­tex­tu­al­i­sa­tion et d’élargissement. Para­doxale­ment, il faut lut­ter con­tre la mémoire de la loi Veil afin d’en ques­tion­ner les lim­ites, de saisir les prob­lé­ma­tiques qu’elle a lais­sées de côté et d’ouvrir d’autres chantiers de lutte.

Emmanuelle Josse

Ancienne consultante dans l’édition et la communication et cofondatrice du P.A.F – Collectif pour une parentalité féministe. Cofondatrice, corédactrice en chef, elle est en charge, depuis Paris, des relations libraires et de la maison d’édition. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

Retrou­vez le numéro 16 de la revue sur le thème « S’habiller », paru en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107