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À la recherche du Slow perdu

Le slow. Lâchez le mot au fil d’une con­ver­sa­tion, et observez mon­ter la vague de sen­sa­tions de panique ou de ten­dresse qu’il sus­cite. Jusqu’à la fin des années 1990, le slow était le rit­uel hétéronor­mé incon­tourn­able des fêtes ado­les­centes. Aujourd’hui, il relève d’une tra­di­tion dépassée. Pour­tant, estime la jour­nal­iste Iris Derœux dans ce texte per­son­nel, le geste qui le car­ac­térise a un poten­tiel roman­tique ines­timable.
Publié le 06/04/2023

Modifié le 16/01/2025

Mock-up Focus « À la recherche du slow perdu » signé Iris Deroeux
À la recherche du slow per­du, Focus signé Iris Derœux

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Le slow, objet vin­tage qui sem­ble laiss­er per­plexe la jeunesse des années 2020. Je dis­cute avec qua­tre lycéen·nes de ter­mi­nale d’un étab­lisse­ment tech­nique parisien réuni·es autour de pani­nis. Qu’est-ce que ça leur évoque, le slow ? Pêle-mêle : une relique du temps de leurs par­ents ; le film La Boum (1980) par­fois vision­né en famille ; des rit­uels de colos… Dans leurs paroles, le slow se con­jugue au passé, ils et elles ne l’ont pour la plu­part jamais dan­sé. « Ça m’a l’air d’être un moment de grande com­plic­ité, ce niveau d’intimité me paraît inat­teignable en pub­lic ! On est beau­coup trop pudiques », estime Théophile. Il s’interroge de sur­croît sur l’aspect pra­tique : « Si tu choi­sis quelqu’un pour danser comme ça, c’est au moins pour toute la soirée. Si cette per­son­ne refuse, tu ne peux pas te tourn­er vers un plan B, ça ne se fait pas ! »

La con­ver­sa­tion s’anime quand on abor­de le sujet de la bande-son. Qui dit slow, dit musique lan­goureuse. Oui mais voilà : « Si on met de la musique lente, ça sig­nale la fin de soirée », explique Garance. « Peut-être du Jul ? C’est un peu des sons de lover par­fois » – éclat de rire général – « Non mais tu déconnes ! » – « Luid­ji alors ? » – « Bof, il par­le surtout de tromper sa meuf… » – « Tayc sinon, ses chan­sons font bouger les gens de manière hyper sen­suelle… » Rien n’y fait, la musique de ces rappeurs pop­u­laires, même lente, est jugée « trop crue » pour imag­in­er qu’elle puisse accom­pa­g­n­er une danse s’approchant du slow. « On écoute surtout du son français, on com­prend les paroles, ça casse un peu l’ambiance », racon­te Armand. Et puis, de toute façon, dans leurs soirées, l’ambiance n’est pas à la danse : « On saute, on crie, mais on ne danse pas vrai­ment », note Garance qui, elle, aime danser en toutes cir­con­stances. « Toi, tu m’impressionnes, c’est rare à notre âge de danser aus­si facile­ment devant les gens », lui glisse Vio­lette, pour qui la danse appar­tient plutôt aux fes­tiv­ités d’ordre famil­ial, « quand on n’a plus peur d’être jugé·es. Parce qu’en dansant, on se met à nu ».

Je les quitte en ayant donc la sen­sa­tion d’être, avant tout, un par­ent. Et avec l’idée que notre rôle, en tant qu’adultes, est peut-être d’aménager des espaces safe dans lesquels les jeunes se sen­tent libres de danser. Sans y avoir réfléchi plus que ça, j’ai pris l’habitude de nour­rir mes enfants en bas âge de « câlins dan­sés » sur des musiques var­iées : ça va du mythique MTV Unplugged in New York de Nir­vana, incon­tourn­able de la musique grunge, au Mala­mente fla­men­co pop de la chanteuse espag­nole Ros­alía. Quand ils me fatiguent, je lance le son et on danse un slow pen­dant quelques min­utes avec mon com­pagnon, ça calme tout le monde. J’aime cette danse plus que je ne l’aimais au col­lège (quand venait le moment du slow, j’allais générale­ment m’enfermer aux toi­lettes). Je n’ai jamais vu La Boum. Mais je me sou­viens avec ten­dresse de ces années où l’on sent le désir naître, mal­adroite­ment, en écoutant la soul de Whit­ney Hous­ton ou Bam Bam de la reg­gae woman Sis­ter Nan­cy.

Adulte, j’en ai gardé le plaisir de la danse qu’on pra­tique pour se séduire, se réc­on­cili­er ou se calmer. La nos­tal­gie joue à plein. Ayant lancé un appel à témoignage sur le sujet, j’ai reçu une avalanche de sou­venirs. Gaëlle, 55 ans, racon­te que le slow était, avec le ciné­ma, « l’un des seuls moyens d’embrasser un garçon » et cite tout de go Still Lov­ing You, dans laque­lle les hard­rockers du groupe Scor­pi­ons cherchent à raviv­er la flamme amoureuse. « À l’époque, on dan­sait aus­si des slows à trois ou qua­tre, c’était la mar­que d’une forte ami­tié », se remé­more Lisa, qui milit­erait bien pour le retour de cette danse, « la seule à peu près fais­able, même pour les piètres danseurs ». Anne-Sophie évoque des moments « beaux et roman­tiques », comme un éloge de la ten­dresse : « Ça me manque ! »

Danser un slow comme on monte à l’échafaud

Ce sont aus­si des bouf­fées d’angoisse qui ressur­gis­sent, à la lim­ite du trau­ma­tisme, surtout chez les enfants des années 1980 et 1990. « Pour moi, le début du slow mar­quait très claire­ment la fin du fun. J’allais imman­quable­ment finir sur le côté. Le slow, c’était l’échafaud, le mar­queur social. Tu étais in ou pas. Tu étais moche ou pas, tu méri­tais un slow ou pas. Pire encore, l’invitation au slow était une prérog­a­tive mas­cu­line. Tu en étais digne ou pas. Encore main­tenant, c’est un moment qui me ter­rorise mais j’en ris (jaune). Alors qu’une bonne vieille che­nille, au moins… », m’écrit Eme­line, qui s’est de nou­veau con­fron­tée à cette expéri­ence douloureuse l’été dernier dans un bal des pom­piers. Manue évoque égale­ment la pres­sion sociale, inten­able, « ceux qui regar­daient si on allait con­clure ou pas ». « Je pense que c’était beau­coup trop de ten­sion éro­tique pour moi », con­clut-elle.

Un grand moment de gêne, le slow, « bien partagé entre femmes et hommes, aucun ne sachant vrai­ment quoi faire de ses mains sur le corps de l’autre. C’est un no man’s land tech­nique », me racon­te avec entrain le soci­o­logue Christophe Apprill, qui a con­sacré un pas­sion­nant ouvrage à son his­toire, Slow. Désir et désil­lu­sion (L’Harmattan, 2021). Il nous rap­pelle com­bi­en l’apparition de cette danse est le fruit d’une époque, les années 1960 aux États-Unis, où la révo­lu­tion des mœurs vient ques­tion­ner les pesan­teurs patri­ar­cales. « Le slow s’inscrit en par­tie dans la con­ti­nu­ité des dans­es de cou­ple anci­ennes et par­faite­ment hétéronor­mées, puisqu’il était atten­du, orig­inelle­ment, que l’homme invite. Mais la par­ité de la rela­tion dans le slow crée une rup­ture : on est dans un face-à-face, l’homme ne guide pas, c’est assez inédit à l’époque », explique-t-il. En cela, il accom­pa­gne une nou­velle ère, « dans laque­lle nais­sent de nou­velles manières de flirter, de s’aimer » sans se cacher.
Le slow est-il désor­mais désuet, inutile ? Peut-être. Mais il est une chose que je ne peux pas oubli­er : l’appel de la musique au rythme lent, entê­tant, les corps silen­cieux entraînés dans un léger mou­ve­ment de bal­anci­er, et qui – éventuelle­ment – s’enlacent, avec douceur et sim­plic­ité.

Iris Deroeux

Reporter basée à Paris après avoir vécu en Inde et aux Etats-Unis pendant dix ans, comme correspondante pour Libération puis Médiapart. Elle collabore au journal Le Monde sur des questions sociales et de jeunesse et enseigne le journalisme en tant que maîtresse de conférences associée à l'université de Strasbourg. Pour ce numéro de La Déferlante, elle interviewé Mélissa Laveaux et Jeanne Added. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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