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« Les manifestations réussies sont des marqueurs importants pour l’histoire du féminisme »

Comme chaque année, dans le cadre de la Journée inter­na­tionale de lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes, plusieurs dizaines de mil­liers de per­son­nes ont défilé same­di 19 novem­bre dans les rues de France pour dénon­cer le manque de volon­té poli­tique en la matière. Cette protes­ta­tion, portée par le mou­ve­ment #MeToo, est l’héritière d’une longue tra­di­tion de man­i­fes­ta­tions de femmes qui remonte à l’Ancien Régime. Chris­tine Bard, his­to­ri­enne et com­mis­saire sci­en­tifique de l’exposition « Parisi­ennes, citoyennes ! » qui se tient jusqu’au 29 jan­vi­er prochain au musée Car­navalet (Paris) revient sur cette généalo­gie.
Publié le 25/11/2022

Modifié le 16/01/2025

Com­man­dez le dernier numéro de La Défer­lante : Habiter, de août 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Les man­i­fes­ta­tions du 19 novem­bre ont bat­tu un nou­veau record d’affluence, avec 100 000 per­son­nes dans toute la France, selon les organ­isatri­ces. Quel est votre regard d’historienne sur ces rassem­ble­ments ?

Ces man­i­fes­ta­tions ont de quoi impres­sion­ner, mais la présence reven­dica­tive des femmes dans la rue n’a rien de nou­veau. Sous l’Ancien Régime, les femmes du peu­ple étaient craintes pour leur vio­lence dans les émeutes. Leur rôle poli­tique est majeur, quand, le 5 octo­bre 1789, les marchan­des parisi­ennes – 6 000 à 7 000 «  dames de la Halle  » – marchent jusqu’à Ver­sailles pour deman­der la rat­i­fi­ca­tion par Louis XVI de l’abolition des priv­ilèges et de la Déc­la­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen, toutes deux votées par l’Assemblée. Pen­dant la révo­lu­tion de 1848, elles par­ticipent aux com­bats de rue, créent des clubs et des jour­naux. Elles sont égale­ment omniprésentes lors de la Com­mune. Il faut not­er que, jusqu’à la fin du XIXe siè­cle, les man­i­fes­tantes sont presque exclu­sive­ment issues de milieux pop­u­laires, et leurs reven­di­ca­tions con­cer­nent sou­vent leurs con­di­tions de vie et de tra­vail.

À quel moment les fémin­istes, et non plus seule­ment les femmes, se met­tent-elles à descen­dre dans la rue ?

Le 14 juil­let 1881, dans un con­texte d’essor des asso­ci­a­tions fémin­istes, la jour­nal­iste et mil­i­tante Huber­tine Aucle­rt appelle à « pren­dre la Bastille », pour parachev­er la Révo­lu­tion de 1789 : éten­dre les droits de l’homme aux femmes. Une quar­an­taine de man­i­fes­tantes se réu­nis­sent alors sur les lieux de l’ancienne prison, habil­lées en noir. C’est la pre­mière man­i­fes­ta­tion fémin­iste con­nue.

Juste avant le début de Pre­mière guerre mon­di­ale, en juil­let 1914, elles parvi­en­nent à réu­nir 2 400 per­son­nes pour une marche dans le jardin des Tui­leries, qui a pour but de fleurir la stat­ue de Con­dorcet, grand défenseur des droits des femmes. Le dis­posi­tif, ras­sur­ant, est une des raisons de ce suc­cès.

À cette époque, le mou­ve­ment fémin­iste est com­posé d’associations plutôt réformistes et de mil­i­tantes issues de la bour­geoisie et des class­es moyennes. Il refuse la rad­i­cal­ité des man­i­fes­ta­tions de rue, qui lui rap­pelle les actions spec­tac­u­laires des suf­fragettes anglais­es, dont un mil­li­er ont été arrêtées et mis­es en prison depuis le début du mou­ve­ment, à la toute fin du XIXe siè­cle.

Com­ment passe-t-on de ces pre­miers rassem­ble­ments à des mobil­i­sa­tions plus sys­té­ma­tiques ?

Entre les deux guer­res, le droit de vote des femmes est encore blo­qué par le Sénat, et l’exaspération monte. Cet échec, vécu comme une humil­i­a­tion, pousse cer­taines fémin­istes réformistes à descen­dre dans la rue. Il leur faut du courage pour se rassem­bler à cette époque, car, sans expli­ca­tions, le min­istère de l’Intérieur refuse alors toutes les deman­des d’autorisation de man­i­fester aux fémin­istes. Les protes­ta­tions de rue se ter­mi­nent donc, ici aus­si, par des arresta­tions, comme celles de l’avocate et suf­fragette Maria Vérone en novem­bre 1928.


« Il faut faire le lien, en France, entre l’ab­sence de grandes man­i­fes­ta­tions suf­frag­istes et l’ac­cès tardif aux droits civiques.»


Dans le même temps, pour attir­er l’attention de la presse, cer­taines mil­i­tantes se tour­nent vers des actions spec­tac­u­laires. Entre 1934 et 1936, la jour­nal­iste Louise Weiss essaie d’importer les méth­odes des suf­fragettes à Paris. Elle organ­ise des lâch­ers de bal­lons lestés de tracts. Rue Royale, elle s’enchaîne à d’autres activistes et bloque la cir­cu­la­tion des voitures…

Quel est l’impact de ces man­i­fes­ta­tions sur l’opinion publique ?

Même si, la plu­part du temps, elles ne réu­nis­sent pas beau­coup de monde, elles mar­quent les esprits. Elles sont médi­atisées, pho­tographiées, filmées, comme on peut le voir à tra­vers les archives présen­tées dans l’exposition « Parisi­ennes, citoyennes ! » C’est aus­si l’occasion, pour la plu­part des jour­naux, d’entretenir des représen­ta­tions antifémin­istes. Les mil­i­tantes sont décrites comme laides, hys­tériques, vio­lentes… La norme de genre pèse lour­de­ment sur les regards qu’on porte sur elles. Elle est aus­si intéri­or­isée par beau­coup de femmes qui s’interdisent la protes­ta­tion. Mais l’idéal bour­geois de la femme dis­crète repliée en son foy­er trou­ve ses lim­ites : même les femmes roy­al­istes finis­sent par descen­dre dans la rue pour défendre leurs idées. Il faut en tout cas faire le lien, en France, entre l’absence de grandes man­i­fes­ta­tions suf­frag­istes et l’accès tardif aux droits civiques, le 21 avril 1944.

En descen­dant dans la rue, ces femmes ont, en quelque sorte, brisé un tabou ? 

Même s’il existe, dans les années 1950 et 1960, une tra­di­tion de la man­i­fes­ta­tion de femmes qui per­dure chez les résis­tantes et dans les grandes organ­i­sa­tions de femmes, il faut atten­dre le début des années 1970 pour que les fémin­istes parvi­en­nent à mobilis­er mas­sive­ment dans la rue. Le 20 novem­bre 1971, la pre­mière man­i­fes­ta­tion pour le droit à l’avortement en France rassem­ble presque 10 000 per­son­nes. Mai 68 est passé par là et l’ambiance du cortège est joyeuse : on y chante, on y danse, on y crie des slo­gans inven­tifs et drôles. Les mil­i­tantes du Mou­ve­ment de libéra­tion des femmes (MLF) veu­lent aus­si mon­tr­er que la ville appar­tient aux hommes. Pren­dre la rue, c’est dénon­cer le sex­isme dans l’espace pub­lic.

Les man­i­fes­ta­tions réussies sont tou­jours des mar­queurs impor­tants pour l’histoire des fémin­ismes. Autre exem­ple, la man­i­fes­ta­tion du 25 novem­bre, en 1995 qui rassem­ble 40 000 per­son­nes pour défendre les droits repro­duc­tifs men­acés par le retour de la droite au gou­verne­ment, témoigne d’un renou­veau, certes défen­sif. Même si elle est éclip­sée dans les mémoires par le mou­ve­ment social de décem­bre, le mois suiv­ant, qui va paral­yser la France, on la retient comme le début de la troisième vague du fémin­isme.

Que peut-on dire, avec le recul, de la portée poli­tique des man­i­fes­ta­tions fémin­istes ?

Elles sont d’abord un moyen de pres­sion effi­cace. Celles des années 1970, par exem­ple, ont influ­encé des change­ments lég­is­lat­ifs impor­tants tels que la loi Veil qui a ren­du l’avortement légal en jan­vi­er 1975. Ces march­es, notam­ment à l’occasion du 8‑Mars, puis, égale­ment, du 25-Novem­bre, se sont mul­ti­pliées. La présence des tra­vailleuses reste une car­ac­téris­tique notable : sou­venons-nous que, en octo­bre 1988, 100 000 per­son­nes sont descen­dues dans la rue pour défendre la pro­fes­sion d’infirmière ! La trans­mis­sion de cette his­toire est impor­tante pour les luttes d’aujourd’hui. L’héritage, à tra­vers ombres et lumières, donne à réfléchir. Il donne aus­si des motifs de fierté aux mil­i­tantes actuelles, qui s’inscrivent dans une longue tra­di­tion de man­i­fes­ta­tions.

Marion Pillas

Après un détour par la production de documentaires, elle est revenue au journalisme avec La Déferlante. Elle en est cofondatrice et corédactrice en chef. Depuis Lille, elle supervise la newsletter, les partenariats et les événements. Voir tous ses articles

Habiter : Brisons les murs

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