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« Oh putain c’est un mec ! »

Étu­di­ant, Paul affiche une allure androg­y­ne : ça s’est fait comme ça, par rébel­lion, puis par envie de jouer avec les codes. Un soir, alors qu’il marche dans la rue avec une amie, il et elle sont apostrophé·es par un groupe de garçons qui les pren­nent d’abord pour deux femmes. Quand ils réalisent que Paul est lui aus­si un homme, leur atti­tude change du tout au tout.
Publié le 05/10/2022

Modifié le 19/02/2025

Chronique Le Labo 148 - Paul Wimart

Retrou­vez cet arti­cle dans le n°8 Jouer de La Défer­lante

Cette his­toire se déroule il y a deux ans à Lille, près du palais des Beaux-Arts. C’est presque l’heure du dernier métro. Mon amie Camille et moi venons de quit­ter le groupe d’ami·es avec qui nous avons passé une soirée dans un bar, et nous nous apprê­tons à ren­tr­er chez nous, après avoir dis­cuté de nos études et de ce que nous en atten­dons.

À cette époque, je suis encore étu­di­ant en let­tres. Je ne suis alors pas cer­tain des mots pour me définir, ni con­scient que « homme cis­genre » peut suf­fire à me décrire. Dès mon enfance, je n’ai pas su, pas pu, adhér­er à cer­tains codes de viril­ité.

Mon androg­y­nie est alors trop mal maîtrisée pour me ren­dre compte que je peux être un homme tout en me sen­tant étranger à ces codes. Et à vrai dire, cela ne me préoc­cupe pas beau­coup. Au début de mon ado­les­cence, péri­ode où je me suis lais­sé pouss­er les cheveux par esprit de rébel­lion, cette andro­gynie était acci­den­telle. J’ai appris peu à peu à en jouer avec des vête­ments aux coupes bien choisies, un ton de voix qui prête à con­fu­sion. Je suis un habitué des « bon­jour madame, ah par­don, mon­sieur » et, sincère­ment, ça ne me cha­grine pas. La curiosité et la méchanceté d’autrui sont les fibres qui m’ont per­mis de tiss­er mon iden­tité, quand bien même j’aurais voulu par moments me débar­rass­er de ces petits fils gênants qui ont pu me faire douter de la solid­ité du tis­su.

Camille et moi dis­cu­tons.
Tout à coup une voix, tout à coup plusieurs voix, un chœur mal accordé, nous les enten­dons der­rière nous et nous arrê­tons de par­ler, nous ne savons pas d’où elles vien­nent, et nous ne déchiffrons pas le mes­sage qui, nous le savons d’instinct, nous est adressé.

Des macho men qui se sont mis en tête d’emmerder des nanas

« Eh les meufs, vous êtes trop bonnes ! » Camille et moi atten­dons main­tenant de met­tre des vis­ages sur ces voix, nous atten­dons aus­si qu’ils nous voient, et on devine rapi­de­ment que c’est une bande de jeunes copains, ils sont cinq, six peut-être, des macho men qui se sont mis en tête d’emmerder des nanas, nous les sen­tons approcher – et cer­taine­ment leurs yeux s’élargissent : deux sil­hou­ettes fines sur une place publique, venez, on va les faire chi­er !
Puis ils con­tour­nent les deux femmes, voient leurs vis­ages qu’encadre une chevelure dénouée, et l’un de ces deux vis­ages attire l’attention plus que l’autre : cette femme a une fine barbe, son implan­ta­tion de cheveux est haute et ses sour­cils sont bas. Par ailleurs, aucun maquil­lage n’orne cette fig­ure à l’aspect plat. Je ne sais pas à quoi ils s’attendaient, mais pas à cela.
« Oh putain, c’est un mec ! »
Je ne vais pas vous men­tir : même en sachant que Camille est blasée d’être abor­dée de manière aus­si inélé­gante, c’est d’abord pour elle que je m’inquiète. Moi, ça va. Je savais que dès que les garçons se rendraient compte de leur erreur, ils seraient gênés de m’avoir impor­tuné dans mon quo­ti­di­en d’homme.

Les codes masculins : une protection face aux normes hétéros de la rue

Je com­prends que le har­cèle­ment de rue n’est habituel que pour celles que l’on perçoit comme femmes. Je n’en suis donc pas vic­time. Si je me sens en dan­ger dans l’espace pub­lic, je peux adopter une démarche dite « vir­ile », attach­er mes cheveux, ouvrir mon man­teau pour me don­ner une car­rure plus large, bouger les épaules plus que les hanch­es. Alors, oui, je m’inquiète des dis­crim­i­na­tions homo­phobes (je pour­rais dire « fol­lo­phobes »), j’ai peur de crois­er un groupe d’hommes sor­ti pour cass­er du pédé, mais heureuse­ment, dans la rue, je n’ai eu que des expéri­ences désagréables, jamais trau­ma­ti­santes. Je ne suis pas le plus à plain­dre !

Après quelques moqueries échangées sans malveil­lance avec les garçons, Camille et moi nous éloignons de leur groupe. Je lui demande com­ment elle se sent.
« Oui, boh, tu sais, ça m’arrive sou­vent… »

La scène a duré cinq min­utes tout au plus. Camille en est ressor­tie agacée plus qu’angoissée. Nous avons rapi­de­ment par­lé d’autre chose. De mon côté, j’ai gardé cette his­toire en mémoire, un peu comme une fable : elle m’a per­mis de com­pren­dre com­ment les quelques codes mas­culins que je pos­sé­dais me pro­tégeaient face aux normes hétéros de la rue, qui ne m’affecteraient pas tout à fait de la même manière si j’étais une femme.

Ma façon d’habiter le monde, d’aborder la rue, était liée à la per­cep­tion que les autres avaient de moi, à ce qu’ils me lais­saient faire, à ce qu’ils décidaient de me faire subir ou pas. Si mon corps, mon vis­age, si cette accu­mu­la­tion d’images brouil­lées par l’obscurité noc­turne ne définit pas qui je suis, ces images reflè­tent par­fois une vilaine couleur sex­iste, de la même teinte que les trot­toirs de la ville. •

Paul Wimart

Paul Wimart, 25 ans, originaire du nord de la France, est assistant d’éducation en lycée. Cette chronique est la dernière d’une série de quatre réalisées dans le cadre d’un atelier d’écriture sur le thème « genre et ville », au sein du Labo 148 de la Condition publique, à Roubaix. Voir tous ses articles

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