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La revanche des belles-mères

Méprisées dans la cul­ture pop­u­laire, invis­i­bles dans les com­bats fémin­istes, sans statut offi­ciel dans la loi, les belles-mères ont tou­jours eu le mau­vais rôle. Pour­tant, elles sont de plus en plus nom­breuses à s’investir dans des familles qui leur préex­is­tent. Elle-même belle-mère, la jour­nal­iste Elsa Gam­bin détaille en quoi le fait de mieux les con­sid­ér­er per­met de penser dif­férem­ment la famille.
Publié le 08/08/2022

Modifié le 16/01/2025

Bienvenue au club des belles-mères - La Déferlante 7
Maëlle Reat

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille (sep­tem­bre 2022)

Il arrive sou­vent, quand j’évoque mon statut de belle-mère, que je dise en souri­ant: « J’ai pris le pack­age » en référence aux enfants qui étaient «livré·es » avec mon actuel com­pagnon. La for­mule m’amuse d’autant plus que les belles-mères avec lesquelles je me suis entretenue pour cet arti­cle ont toutes util­isé la même expres­sion.

Aujourd’hui, en plus de mon cou­ple, je vois grandir au quo­ti­di­en trois enfants, dont deux ados. Je les vois devenir des citoyen·nes engagé·es, et cela me rav­it.

Les belles-mères ne sont pas rien. Ni per­son­ne. Pour­tant, en français, elles sem­blent ne pas mérit­er une appel­la­tion pro­pre, puisqu’elles la parta­gent avec la mère de leur conjoint·e, ce qui n’est pas le cas en anglais, par exem­ple, où la moth­er-in-law (mère du ou de la conjoint·e) et la step­moth­er (sec­onde femme du ou de la conjoint·e) sont deux per­son­nes dif­férentes. Fati­ma Ouas­sak, poli­to­logue et mil­i­tante antiraciste, écrit que « les mères ne sont pas un sujet poli­tique. Elles n’existent nulle part comme force poli­tique struc­turée, […] elles sont l’angle mort du fémin­isme ¹ ». Alors, imag­inez les belles-mères, ces demi-femmes, qui arrivent comme un cheveu gras sur la soupe de la famille orig­inelle.

En France, 11 % des enfants vivent dans une famille recom­posée, et en 2020, env­i­ron 480 000 mineur·es vivaient en rési­dence alternée; c’est deux fois plus qu’il y a dix ans, d’après l’Insee. Cette sit­u­a­tion donne aux belles-mères une véri­ta­ble place auprès des enfants, là où le fameux « un week-end sur deux et la moitié des vacances » qui est sou­vent accordé aux pères dans les cou­ples hétéro­sex­uels sup­po­sait moins d’implication. Et les familles mul­ti­ples sont aujourd’hui plus nom­breuses : cou­ples non cohab­i­tants, familles recom­posées LGBT+, belles-mères child-free (sans enfant), pères ayant leurs enfants qua­si à temps plein, etc.

Une influence souvent jugée néfaste

Ophélie, dont la com­pagne avait un petit garçon de 3 ans lors de leur ren­con­tre, a peiné à trou­ver sa juste place : « Notre rela­tion a mis du temps à s’établir, mais je l’adore aujourd’hui. Ma com­pagne a encore du mal à m’accoler le terme de “belle-mère”. Ça a pu me bless­er, car je suis là au quo­ti­di­en, et par ailleurs aujourd’hui son fils utilise le mot sans souci. » La jeune femme, qui trou­ve le statut « un peu bâtard, notam­ment dans un cou­ple homo, car on ne sait pas trop qui je suis », manque
cru­elle­ment de représen­ta­tions.

Enfer­mées dans l’éternel rôle de « sec­onde épouse », les belles mères pâtis­sent des représen­ta­tions véhiculées au fil des siè­cles, que rap­pelle l’historienne de la famille Sylvie Per­ri­er : « [Elle] est nég­li­gente et habitée de mau­vais­es inten­tions. Elle est un dan­ger pour la per­son­ne et les biens des enfants du pre­mier lit de son mari […]. Elle exerce sur son mari, veuf remar­ié, une influ­ence néfaste […]. Bref, il s’agit d’une mau­vaise femme, qui est déviante par rap­port à la con­struc­tion sociale du genre féminin ². »

Ces croy­ances empreintes de sex­isme ont infusé dans les pro­duc­tions cul­turelles et les médias : de Cen­drillon au traite­ment médi­a­tique de la suc­ces­sion de John­ny Hal­l­i­day ³, on retrou­ve autour du per­son­nage de la belle-mère la mise en scène de la rival­ité avec sa belle-fille, une mère décédée (Blanche-Neige) et un père absent ou sans épais­seur (Les Mal­heurs de Sophie). La place de la belle-mère est sale, et pénible : « On nous dit : c’est dif­fi­cile, prends sur toi, tu vas en chi­er, mais prends ta place. Tout en te dis­ant que cette place n’est pas légitime ! Il faut com­pos­er en per­ma­nence avec des injonc­tions con­tra­dic­toires »,  com­plète la jour­nal­iste Fiona Schmidt, autrice de Com­ment ne pas devenir une marâtre. Guide fémin­iste de la famille recom­posée (Hachette, 2021).

Au début des années 1990, Marie-Luce Iovane, alors trente­naire, ren­con­tre un homme, père de deux enfants. « Je me sen­tais par­fois exclue de leur vie. Ils avaient des activ­ités, des sou­venirs, un passé com­mun que je n’avais pas… », racon­te celle qui va alors décider de militer dans dif­férentes asso­ci­a­tions pour l’égalité parentale. En 2001, elle crée Le Club des marâtres, un groupe de parole pour les belles-mères. « Ces femmes sont dans l’idée de tout faire bien, puis se heur­tent à des dys­fonc­tion­nements dont elles ne sont pas respon­s­ables. Ce sont des répara­tri­ces. Je vois des “super marâtres” qui essaient de tout com­penser et qui enten­dent par la suite : mais qui t’a demandé de faire ça ? » Marie-Luce Iovane pense qu’un statut juridique per­me­t­trait de don­ner une place à chacun·e. Avec son col­lec­tif, elle a notam­ment porté des deman­des con­crètes pour un statut de beau-par­ent : une meilleure déf­i­ni­tion des actes de l’autorité parentale et des actes de la vie courante. « Il pour­rait y avoir un livret de famille recom­posée par exem­ple. » En atten­dant, la sex­agé­naire ne con­state aucune amélio­ra­tion de l’image des belles-mères : « Ce sont des femmes dont on ne par­le pas. Quelque part, on n’est pas des femmes. »

À la fin des années 1980, après l’arrivée du divorce par con­sen­te­ment mutuel – intro­duit en 1975 –, on observe, selon la soci­o­logue Sylvie Cadolle, un bas­cule­ment du regard social porté sur ce qui est alors appelé « les nou­velles tribus ». Des per­son­nal­ités publiques, comme le réal­isa­teur Roger Vadim, van­tent à la télévi­sion les joies de la famille recom­posée ⁴. Mais la con­sid­éra­tion pour les belles-mères ne pro­gresse pas pour autant, tan­dis que l’indulgence pour les pères – peu impliqués dans le quo­ti­di­en de leurs enfants ⁵ – per­dure. « Tant qu’il y aura des rôles de genre, il restera une dif­férence de traite­ment entre la belle-mère et le beau-père. La vision de la belle-mère a très peu évolué. C’est évidem­ment une ques­tion fémin­iste », assure la soci­o­logue. « Mon entourage, à com­mencer par mon com­pagnon – pour­tant très investi –, attendait que je joue un rôle de mère, déplore Fiona Schmidt. J’ai sen­ti une pres­sion famil­iale, mais surtout sociale. » La famille recom­posée est donc une famille iné­gale, au même titre que bien d’autres familles, où la charge affec­tive revient prin­ci­pale­ment aux femmes.

Les belles-mères, comme tous les groupes invis­i­bil­isés, ont besoin de représen­ta­tions. Aux États Unis, Kamala Har­ris, vice-prési­dente des États-Unis, femme d’influence child-free et belle-mère de deux grands enfants, fait fig­ure de role mod­el. En France, deux séries récentes offrent aux « marâtres » une image enfin à la mesure de leur rôle social. Sur OCS, Jeune et gol­ri, série co-écrite et inter­prétée par l’humoriste Agnès Hurs­tel, nous con­duit dans les pas d’une stand-upeuse de 25 ans qui devient belle-mère d’une petite fille de 6 ans avec laque­lle elle parvient à nouer une rela­tion riche, au-delà de sa rela­tion amoureuse avec le père de l’enfant. Dans la récente série de Dis­ney+ Week-end fam­i­ly, le comé­di­en Éric Judor joue le père de trois filles, nées de com­pagnes dif­férentes. Bien que la série soit aus­si sucrée qu’une barbe-à-papa et les mères car­i­cat­u­rales, elle a au moins un mérite : celui de met­tre en scène une belle-mère pos­i­tive, en la per­son­ne lumineuse d’Emma, doc­tor­ante cana­di­enne, qui va rapi­de­ment s’installer à domi­cile. Dans l’épisode 2, Emma a cette phrase qui pour­rait prob­a­ble­ment être le mantra de bien des belles-mères : « Je ne veux pas que tes filles m’adorent, je veux qu’elles m’acceptent. » Après avoir décou­vert des gamines vives et drôles, la jeune femme affirme finale­ment son désir : « J’ai envie qu’elles m’aiment bien parce que je les trou­ve super. »

Nul besoin de s’aimer si on se considère et se respecte

En tant que belle-mère, moi-même ne suis pas entravée par l’amour incon­di­tion­nel que se doit de ressen­tir un par­ent, je ne peux pas être aveuglée ou dupée par cet amour. Libérée de cette injonc­tion sociale à l’amour mater­nel, je ne peux qu’apprécier, ou non, ces humains pour ce qu’ils et elles sont, dans leur indi­vid­u­al­ité. Comme pour chaque ren­con­tre dans ma vie, il faut que ça matche. Qu’ils et elles m’intéressent. Et j’ai l’exquise chance que ce soit le cas.

De son côté, Célia, 34 ans, est belle-mère de trois enfants depuis dix ans. Si elle s’attendait à aimer d’emblée les enfants de son com­pagnon, qui ne pou­vait qu’être « des per­son­nes for­mi­da­bles », la jeune femme con­state qu’elle s’ennuie auprès d’eux, les trou­ve peu stim­u­lant ·es et ne sem­blent rien garder de ce qu’elle souhaite leur trans­met­tre. Elle développe un sem­blant d’affection dou­blé d’un sen­ti­ment d’échec et elle recon­naît avoir prin­ci­pale­ment « le sens du devoir. Absent·es, ses enfants ne me man­quent pas. C’est hyper cul­pa­bil­isant de ne pas ressen­tir d’amour à leur égard. » Alors que les enfants en ques­tion sont aujourd’hui âgés de 14, 18 et 22 ans, les liens sont dif­férents, comme con­stru­its à leur insu. Une forme d’acceptation douce de ce qu’est l’autre, une sen­sa­tion de « naturel » qu’a creusé le temps. « C’est une rela­tion évo­lu­tive, observe Fiona Schmidt. Rien n’est gravé dans le mar­bre. Nos sen­ti­ments envers les enfants peu­vent évoluer. C’est ras­sur­ant. »

Dans le pod­cast Émo­tions ⁶, l’épisode « Doit-on aimer sa famille ? » pose la juste ques­tion de la cul­pa­bil­ité. Cather­ine Audib­ert invite les belles-mères à se défaire de cette pres­sion. « L’amour ne se com­mande pas, il ne s’impose pas, et on ne peut pas l’exiger, résume la psy­cho­logue. Il faut se dire que le respect et la sérénité sont suff­isants. » Voilà la clef de l’équilibre. Nul besoin d’aimer si l’on con­sid­ère l’autre, si on lui accorde notre atten­tion. L’amour est un bonus. Une option que l’on ne peut choisir.

« Finale­ment, les belles-mères subis­sent qua­si­ment les mêmes injonc­tions que les mères, mais ne béné­fi­cient pas de la même val­ori­sa­tion sociale », résume Fiona Schmidt. Et il n’y a bien que ce change­ment de par­a­digme sur la fig­ure de la belle-mère qui fera des familles recom­posées plus sere­ines. Les conjoint·es ont leur part à jouer dans ce tra­vail de décon­struc­tion. Car « la famille n’a jamais été biologique, rap­pelle la soci­o­logue Sylvie Cadolle. Elle a tou­jours été une con­struc­tion sociale ⁷. » Il faut repenser le statut de belle-mère comme une fierté et une richesse. Il est plus que temps d’envisager le bien-être et l’épanouissement de tous et toutes sous l’angle d’une « équipe parentale », et non plus sous le joug étriqué des liens du sang.

*****

1. Fati­ma Ouas­sak, « Mères », dans l’ouvrage col­lec­tif Feu ! Abécé­daire des fémin­ismes présents, Lib­er­talia, 2021.

2. Sylvie Per­ri­er, « La marâtre dans la France d’Ancien Régime : inté­gra­tion ou mar­gin­al­ité ? », Annales de démo­gra­phie his­torique, 2006.

3. Lire Titiou Lecoq, « Laeti­cia Hal­ly­day, de sainte à marâtre », Slate, 16 févri­er 2018.

4. Notam­ment dans une émis­sion de La Marche du siè­cle ; il en fera par la suite une série. Joëlle Meskens, « La nou­velle tribu ou l’apologie des familles recom­posées », Le Soir, avril 1996.

5. Lire La par­tic­i­pa­tion des pères aux soins et à l’éducation des enfants. L’influence des rap­ports soci­aux de sexe entre les par­ents et entre les généra­tions de Car­ole Brugeilles et Pas­cal Sebilles, Revue des poli­tiques sociales et famil­iales, 2009.

6. Louie Média, 22 novem­bre 2021.

7. France info, mai 2014.

Elsa Gambin

Journaliste indépendante nantaise, elle travaille notamment sur les féminismes, l'adolescence, les mouvements sociaux. Ancienne travailleuse sociale, elle est spécialisée en protection de l'enfance. Elle collabore notamment avec Télérama, Mediacités, Topo et Le Monde des Ados. (crédit photo Marine Fromont.) Voir tous ses articles

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

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