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Aux yeux de la justice, qu’est-ce qu’un viol ?

Jusqu’à l’an dernier, selon le Code pénal français, il fal­lait prou­ver qu’il y avait eu une péné­tra­tion sex­uelle imposée à la vic­time pour que le viol soit car­ac­térisé. Depuis, la déf­i­ni­tion de cette incrim­i­na­tion a été élargie à tout acte buc­co-géni­tal. S’agit-il d’une avancée dans le traite­ment judi­ci­aire des vio­lences sex­uelles ?
Publié le 08/08/2022

Modifié le 16/01/2025

Aux yeux de la justice, qu'est-ce qu'un viol ? La Déferlante 7

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille. (sep­tem­bre 2022)

C’est  un  change­ment  lég­is­latif  passé  com­plète­ment  inaperçu,  adop­té  au  même moment  que  l’instauration  du  seuil  d’âge  (fixé  à  15  ans)  de  non-con­sen­te­ment à une rela­tion sex­uelle : depuis le 21 avril 2021, le cun­nilin­gus imposé par con­trainte, men­ace, vio­lence ou sur­prise est con­sid­éré comme un viol.

Cela en fait donc un crime pas­si­ble de quinze ans de prison devant une cour d’assises, et non plus un délit pas­si­ble de cinq ans de prison devant un tri­bunal cor­rec­tion­nel. Cette inscrip­tion dans la loi n’est pas un détail : cela veut dire que la péné­tra­tion n’est plus le seul élé­ment matériel pour définir un viol.

Avant cela, pour par­ler de viol, il fal­lait attester que la péné­tra­tion de la langue de l’agresseur dans le vagin de la vic­time avait été d’une pro­fondeur suff­isante. Le cas s’est présen­té en 2020 dans une affaire d’inceste. Une jeune fille accu­sait son beau-père de lui avoir imposé des cun­nilin­gus. À la police, elle avait dit : « J’ai sen­ti qu’il m’a pénétrée avec sa langue à force d’insister. » Mais dans les moti­va­tions écrites de leur déci­sion, les juges avaient indiqué que, sans pré­ci­sion « d’intensité, de pro­fondeur, de durée ou de mou­ve­ment » , il n’était pas pos­si­ble de démon­tr­er que l’« intro­duc­tion volon­taire de la langue au-delà de l’orée du vagin » avait été « suff­isam­ment pro­fonde » pour établir une péné­tra­tion et donc un viol. Les député·es ont voulu tranch­er ce débat juridique qual­i­fié par l’élue LREM Alexan­dra Louis, rap­por­teuse de la loi, d’« indé­cent » et d’« indigne ». Désor­mais, tout acte buc­cogéni­tal imposé est con­sid­éré comme un viol.

Une lente sortie de la vision phallocentrée du crime

Pour la par­lemen­taire, un tel amende­ment con­stitue une avancée : il acte le fait qu’un cun­nilin­gus imposé a le même impact trau­ma­tique sur les vic­times qu’une péné­tra­tion for­cée. On peut aus­si dire que cette mod­i­fi­ca­tion lég­isla­tive s’inscrit dans une dynamique égal­i­tariste. Car pen­dant très longtemps, c’est une vision phal­lo­cen­trée du viol qui a pré­dom­iné : jusqu’en 1980, on l’envisageait unique­ment comme le crime d’un homme sur une femme. Seule l’introduction par la vio­lence d’un pénis dans le vagin était pénale­ment inter­prétée comme un viol. « Le risque qui était alors pris en compte, c’était le sperme, la sur­v­enue d’un bâtard dans la famille », explique la doc­teure en droit Cather­ine Le Maguer­esse, autrice des Pièges du con­sen­te­ment (Édi­tions iXe, 2021). Impos­er à une autre per­son­ne une péné­tra­tion sex­uelle ou dig­i­tale dans l’anus, ou une péné­tra­tion sex­uelle dans la bouche, était con­sid­éré comme un sim­ple délit, un atten­tat à la pudeur. La loi de 1980 a con­sti­tué un pre­mier élar­gisse­ment de la déf­i­ni­tion du viol : selon l’article 222–3 du Code pénal, il désig­nait dès lors « tout acte de péné­tra­tion sex­uelle, de quelque nature qu’il soit, com­mis sur la per­son­ne d’autrui par vio­lence, con­trainte, men­ace ou sur­prise ». Mais si le viol était recon­nu dans le cas où une vic­time était oblig­ée de faire une fel­la­tion à son agresseur (c’est-à-dire se voy­ait con­trainte de subir une péné­tra­tion sex­uelle dans la bouche), l’inverse ne valait pas : quand un agresseur met­tait en con­tact sa pro­pre bouche avec les par­ties géni­tales de sa vic­time, cela restait une agres­sion sex­uelle. Autrement dit : si l’organe par lequel l’agresseur impo­sait sa vio­lence était pénien, le viol était car­ac­térisé ; si cet organe était buc­cal, il s’agissait d’une agres­sion sex­uelle. En 2018, nou­velle évo­lu­tion : la loi dite « Schi­ap­pa » a amené à qual­i­fi­er ce deux­ième cas de fig­ure de viol.

La « correctionnalisation » du viol reste de la poudre aux yeux

Le change­ment d’avril 2021 va dans le même sens : celui d’une exten­sion de l’incrimination de viol. Mais jusqu’où iront les législateur·ices ? Puisque désor­mais impos­er un cun­nilin­gus con­stitue un viol, qu’en est-il d’un acte géni­to-géni­tal, un sexe frot­té con­tre un autre sans péné­tra­tion ? Au Cana­da, par exem­ple, tout con­tact sex­uel imposé avec ou sans péné­tra­tion est un crime pas­si­ble d’au moins dix ans de prison, voire de la per­pé­tu­ité. Voilà qui inter­roge notre dis­tinc­tion française entre le viol et l’agression sex­uelle. D’autant que, aujourd’hui, nom­bre de vio­ls sont « cor­rec­tion­nal­isés », c’est‑à dire qu’ils sont jugés comme des dél­its devant un tri­bunal cor­rec­tion­nel plutôt que comme des crimes aux assis­es. C’est une pra­tique courante qui est pro­posée aux plaignant·es pour accélér­er les délais de juge­ment face à l’engorgement des tri­bunaux. Dans la majorité des cas, il s’agit de vio­ls par fel­la­tion et de vio­ls dig­i­taux : on con­sid­ère donc tou­jours qu’ils sont moins graves.

Pour Emmanuelle Piet, prési­dente du Col­lec­tif fémin­iste con­tre le viol, tant que le sys­tème judi­ci­aire ne pour­ra pas traiter à sa juste mesure le phénomène mas­sif des vio­lences sex­uelles, cer­taines évo­lu­tions lég­isla­tives comme celle de l’amendement d’avril 2021 ne seront que de la poudre aux yeux : « Au final, qu’est-ce que ça change ? De toute façon, le viol est cor­rec­tion­nal­isé. On peut bien met­tre dans la loi qu’un cun­nilin­gus [imposé] est un crime, ça ne change rien, il sera tou­jours jugé comme une agres­sion sex­uelle. » Sa crainte, c’est qu’à force d’élargir la déf­i­ni­tion du viol à ce qui était jusque-là des agres­sions sex­uelles, on vide l’infraction de sa sub­stance : on la décrim­i­nalise. Au risque qu’on se dise demain qu’un viol, finale­ment, ce n’est pas si grave. Qu’il n’y a pas mort d’homme.

Marion Dubreuil

Journaliste judiciaire, elle documente les violences sexistes et sexuelles depuis sept ans, comme le procès pour viol de Tariq Ramadan ou celui de Christophe Ruggia. Depuis trois ans, elle est également dessinatrice judiciaire. Dans ce numéro, elle fait le récit du procès des violeurs de Mazan. Voir tous ses articles

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

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