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Lola Lafon et Vanessa Springora

En jan­vi­er 2020, l’éditrice Vanes­sa Springo­ra pub­lie Le Con­sen­te­ment, une auto­bi­ogra­phie sur la rela­tion d’emprise que lui a fait subir l’écrivain Gabriel Matzn­eff lorsqu’elle avait 14 ans. Huit mois plus tard, paraît Chavir­er de la roman­cière Lola Lafon, l’histoire d’une danseuse de 13 ans prise au piège d’un réseau de prédateur·ices sexuel·les. Leurs deux livres ont don­né un puis­sant écho au mou­ve­ment #MeToo en vis­i­bil­isant la pédocrim­i­nal­ité, et en faisant de la lit­téra­ture une arme con­tre les agresseurs. Vanes­sa Springo­ra et Lola Lafon s’étaient lues mais ne s’étaient jamais ren­con­trées. Cet entre­tien croisé révèle leur admi­ra­tion réciproque et les trou­blantes réso­nances qui jalon­nent leur par­cours de femmes et d’écrivaines.
Publié le 08/08/2022

Modifié le 16/01/2025

Rencontre La Déferlante 7 Lola Lafont & Vanessa Springora
Sophie Palmi­er

Retrou­vez cet arti­cle dans La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille (sep­tem­bre 2022)

Vanes­sa Springo­ra et Lola Lafon, vous étiez toutes deux ado­les­centes à la fin des années 1980. Com­ment vous êtes-vous con­stru­ites en tant
que femmes dans ces années-là ?

Lola Lafon On com­mence par la grande cat­a­stro­phe…

Vanes­sa Springo­ra Dans ses livres, Lola par­le du fétichisme des années 1970–1980 pour les ado­les­centes. C’est quelque chose qui nous a forgées, je pense, en tant que jeunes filles. La femme-enfant était un peu l’ersatz de la femme-objet. À par­tir du moment où les femmes avaient réclamé leur éman­ci­pa­tion dans les années 1970, il restait les petites filles qui n’étaient pas encore capa­bles de se défendre, et qui ont été pris­es dans les rets de cet imag­i­naire mas­culin… Avec cette ten­ta­tion d’être femmes avant l’heure et le risque de devenir pris­on­nières de ce sché­ma.

Lola Lafon C’est le moment où la jeune actrice Brooke Shields  était une star pour ados [voir la pho­to page de droite]. Elle était hyper­sex­u­al­isée, donc elle fai­sait rêver. On avait envie d’être comme elle. Et en même temps, on ne sait pas à qui s’adressait cette image. De mon côté, j’étais dans le monde de la danse, qui était une autre forme de coerci­tion, que j’avais choisie. Je crois qu’on avait à peu près le même âge… Moi, j’avais 13 ans au moment où j’ai fait une très mau­vaise ren­con­tre. Ce n’est pas que mon ado­les­cence n’a pas été vécue, mais je ne sais pas ce qu’elle aurait été sans ce regard posé sur moi. C’est vrai­ment une ques­tion ter­ri­ble que j’évite de me pos­er.

Lola Lafon, en jan­vi­er 2021, vous avez pub­lié sur votre compte Insta­gram ces quelques mots faisant écho à votre roman Chavir­er (lire l’encadré en fin d’ar­ti­cle ) : « Un jour, à la sor­tie de mon cours de danse, j’ai été abor­dée par “Cathy”. Chavir­er est un roman mais cette femme a bien existé. » Voulez-vous en dire quelque chose ?

Lola Lafon Effec­tive­ment, c’était une pré­da­trice. Pen­dant des années, ce qui a été impos­si­ble à racon­ter, c’est que c’est une femme qui m’a trahie. J’habitais en ban­lieue et je la rejoignais le week-end. C’est proche de ce qui se passe dans Chavir­er, sauf que, dans le roman, elle agit sous couv ert d’une fon­da­tion. Il n’y avait pas de fon­da­tion, elle était une pédocrim­inelle, elle et son mari. Et j’ai com­pris rétro­spec­tive­ment qu’il y avait eu d’autres filles du cours de danse avant moi. Pen­dant des années, j’ai porté, comme toutes les vic­times de pédocrim­i­nal­ité je pense, le fait d’avoir été « choisie ». Enfin, j’ai cru que j’avais été choisie, que j’avais quelque chose de spé­cial. Il y a un rap­port avec ton his­toire, Vanes­sa : c’est la fierté incroy­able, la naïveté ter­ri­ble, de penser qu’à un moment don­né j’avais été excep­tion­nelle. Jusqu’au jour où j’ai décou­vert que pas du tout. Le truc sim­i­laire, c’est d’être dans une rela­tion d’emprise, en sachant qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout. Quand j’ai lu ton réc­it, j’ai été ren­ver­sée. J’avais fini Chavir­er. Je fai­sais les cor­rec­tions. J’ai com­pris que la pré­da­tion a un lan­gage. C’est pour ça que, dans mon roman, tous les mots de Cathy sont en italique. C’est la langue de la pré­da­tion. Quand j’ai lu Le Con­sen­te­ment, hon­nête­ment, j’ai eu une crise d’angoisse, ce qui ne m’arrive jamais. Parce que c’était la même langue.

Vanes­sa Springo­ra Je com­prends très bien la pudeur qu’a eue Lola avec Chavir­er. Je l’ai lu avant de savoir que Cathy avait existé, mais ça me parais­sait évi­dent en le lisant. De mon côté, j’ai eu l’impression d’avoir eu une vie en dehors de tout cadre, dès cet âge-là. Ça a été le début des cat­a­stro­phes, pour repren­dre le mot de Lola… Je pense qu’elle et moi, on n’était pas sur le même mod­èle que nos copines. On était déjà mar­gin­al­isées à cause de ce qu’on avait vécu. Je n’avais pas du tout la même vie que mes cama­rades de classe. Ce qui est ter­ri­ble, c’est qu’elles m’admiraient pour ça. Parce que je vivais à l’hôtel avec un homme beau­coup plus âgé, que j’avais une lib­erté appar­ente qu’elles n’avaient pas. J’ai vécu dans ce con­flit intérieur en étant fière de l’image que je ren­voy­ais et, en même temps, dans la souf­france de savoir que ce n’était pas l’endroit où j’aurais dû être. Ce n’est pas un bon sou­venir, l’adolescence, entre la dés­co­lar­i­sa­tion, la déso­cial­i­sa­tion, la drogue, le fait d’être dans l’autodestruction tout le temps et de con­tin­uer à provo­quer les mau­vais­es ren­con­tres, à repro­duire le même sché­ma. J’ai un trou noir entre mes 14 et mes 19 ans. Je n’ai pas de sou­venirs, à part beau­coup de fêtes et beau­coup d’excès. Je me suis retrou­vée à 19 ans en hôpi­tal psy­chi­a­trique. Mais pen­dant des années, j’ai refusé qu’on me colle le statut de vic­time.

Lola Lafon C’est comme un miroir inver­sé. Pareil, un gros trou noir entre 14 et 19 ans. Mais moi, j’étais plongée dans le monde de la danse clas­sique, c’était ma colonne vertébrale. J’étais ascé­tique, qua­si­ment religieuse, anorex­ique. Il n’y avait pas de vie en dehors de ça. C’est très destruc­teur aus­si. Et je n’arrivais pas à me retourn­er de manière cri­tique sur ce qui s’était passé. J’ai com­mencé à avoir plein de symp­tômes, j’étais une ado­les­cente malade tout le temps. Donc je dirais que c’est une ado­les­cence d’aveugle, sans lec­ture de soi-même. En fait, le drame de ces années-là, c’était de porter le poids d’avoir dit oui, de ne pas avoir dit non. Mais je ne le savais pas, ce n’était pas quelque chose que je pou­vais for­muler. J’ai fini en hôpi­tal psy­chi­a­trique à 19 ans.

Vanes­sa Springo­ra C’est vrai ? Incroy­able…

Lola Lafon Oui c’est vrai. C’est fou. Je ne sais pas com­ment c’est l’hôpital psy­chi­a­trique main­tenant, mais à l’époque c’était mon­strueux. Pour moi aus­si, le statut de vic­time était très, très loin de mon image de moi-même à ce moment-là. Mon expéri­ence a fait que j’ai vécu des his­toires pour­ries. J’étais une cible. Donc un peu plus tard, adulte, j’ai subi un viol. Là, j’ai telle­ment dégringolé que je me suis retrou­vée dans la posi­tion de devoir deman­der de l’aide. C’est un groupe de parole fémin­iste qui m’a sauvée et qui m’a fait com­pren­dre que j’avais été vic­time. J’ai l’impression que j’ai été acculée à cette idée. C’était dans les milieux fémin­istes au début des années 2000, que je décris dans Une fièvre impos­si­ble à négoci­er, mon pre­mier roman [lire l’encadré p. 18]. Ça m’a sauvée de com­pren­dre que ce n’était pas que mon his­toire, que c’était un sys­tème. À par­tir du moment où j’ai fait une lec­ture poli­tique, ça m’a beau­coup aidée de me ren­dre compte que ce n’était pas moi qui avais attiré tout ça. Aujourd’hui, j’ai infin­i­ment de com­pas­sion pour l’ado que j’ai été.


« Le témoignage d’Adèle Haenel m’a boulever­sée. J’étais en larmes en le regar­dant. Elle avait un lan­gage très struc­turé, très poli­tique, qui m’a don­né d’autres clés de lec­ture de ma pro­pre his­toire. »

Vanes­sa Springo­ra


Quelle fonc­tion a eu l’écriture pour vous ?

Vanes­sa Springo­ra Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas ce qu’on croit. Beau­coup de gens me posent des ques­tions sur les ver­tus thérapeu­tiques de l’écriture ou sur son côté « répara­teur ». Je n’y crois pas telle­ment. C’était une néces­sité pour moi d’écrire ce texte, mais je ne peux pas dire que ça m’ait guérie. Je pense que c’est l’inverse. Si je n’avais pas déjà été un peu guérie, un peu réparée, je n’aurais pas été capa­ble de l’écrire. En revanche, ce qui m’a portée, c’est de voir que ce texte s’insérait – alors que je n’en avais pas du tout con­science au moment où je l’écrivais – dans un mou­ve­ment qui me dépas­sait com­plète­ment, qui est celui de #MeToo, mais aus­si dans celui d’une prise de parole par la lit­téra­ture qui va au-delà du témoignage. Pren­dre con­science que je n’étais pas la seule et qu’on était nom­breuses à avoir envie de racon­ter ces his­toires-là m’a don­né une force énorme.

Lola Lafon Mon pre­mier roman, Une fièvre impos­si­ble à négoci­er, est sor­ti en 2003 et c’était donc l’histoire d’un viol et de la recon­struc­tion par l’action poli­tique, l’action rad­i­cale. Je l’ai écrit à l’époque sans savoir que ce serait mon pre­mier roman pub­lié, puisque j’écrivais depuis longtemps. Je l’ai écrit comme un geste de vie, et pen­dant l’écriture mon agresseur a porté plainte con­tre moi, pour diffama­tion (1). J’étais vrai­ment dans un sale état, le truc se retour­nait con­tre moi. C’était encore le moment où les lec­tri­ces nous écrivaient de vraies let­tres. D’un coup, je suis dev­enue celle à qui on racon­te. Ça m’a déplacée. Puis avec #MeToo, il y a eu une défer­lante… Je me suis dit : « Quel soulage­ment de faire par­tie d’un mou­ve­ment lit­téraire, d’un besoin. » Et ça vient après le silence. Pour moi, l’écrit vient met­tre fin à l’indicible. Du témoignage jusqu’à la fic­tion, on est en train de met­tre au jour quelque chose que tout le monde a recon­nu comme vrai, parce que la fic­tion par­le de choses vraies de toute façon.

Juste­ment, l’une et l’autre, com­ment avez-vous fait le choix de la fic­tion ou de l’autobiographie ?

Vanes­sa Springo­ra J’avais com­mencé à écrire un texte à la troisième per­son­ne et au passé. C’était une façon de me cacher. Je sen­tais que ça n’atteignait pas son but, parce que si je me maquil­lais moi, je maquil­lais aus­si Matzn­eff. Je m’étais iden­ti­fiée au per­son­nage de Loli­ta et j’avais cette ambi­tion folle de réécrire Loli­ta de Nabokov (2) du point de vue de la jeune fille cette fois-ci. Mais c’est un tel chef‑d’œuvre lit­téraire que ce n’était pas pos­si­ble. Pro­gres­sive­ment, je me suis approchée de la pre­mière per­son­ne. Si j’avais écrit sous forme de fic­tion, peut-être que ça n’aurait pas eu le même impact, j’aurais évité tout le scan­dale judi­ci­aire [lire l’encadré en fin d’ar­ti­cle] qui a beau­coup éloigné le pub­lic de l’aspect lit­téraire du texte. Quand on écrit à la pre­mière per­son­ne une his­toire qui vous engage autant du point de vue intime, on est aus­si très exposée émo­tion­nelle­ment dans les médias. C’est pour ça que j’en ai dit le moins pos­si­ble, parce que je ne me sen­tais pas capa­ble de faire face à des ques­tions très intimes sur ma sex­u­al­ité à 14 ans. Mais je ne regrette pas d’avoir com­posé mon réc­it de cette manière, ça a don­né plus de force au livre. Et même si c’est moi, il reste quand même un sup­port sur lequel on peut pro­jeter sa pro­pre his­toire. Beau­coup de lec­tri­ces me l’ont dit.

Lola Lafon Moi, j’ai voulu inve­stir l’école du roman clas­sique. Je me suis dit que Chavir­er serait à l’imparfait. J’avais une volon­té de faire un por­trait de femme de 13 à 48 ans. Juste avant, j’avais lu Une Vie de Mau­pas­sant. Je ne pré­tends pas du tout être à sa hau­teur, mais ce qui me fai­sait envie, c’était qu’on lise Chavir­er comme un roman pour des raisons formelles. Il y a l’événement fon­da­teur, ce qui arrive à Cléo au début, et puis il y a ce que les gens en font. J’avais envie de mon­tr­er ce per­son­nage dans le regard des autres, ceux qui l’aiment et ne vont jamais être capa­bles de se saisir de son his­toire. C’est elle qui va devoir s’en saisir. Deux ans après, je me dis que c’est peut-être parce que je me suis mise très à l’écart de mon his­toire et que j’ai pen­sé à tous les gens qui m’ont croisée durant ces années-là, et à l’énigme totale que j’ai dû être. Il y a eu des gens aveu­gles, des gens mal­adroits, et c’était ça qui m’intéressait aus­si, de voir ce qu’on fait quand on croise ce réc­it.

Le témoignage de la comé­di­enne Adèle Haenel a été dif­fusé sur Medi­a­part en novem­bre 2019 3, quelques mois avant la pub­li­ca­tion de vos deux livres. L’actrice y évoque notam­ment le fait que de nom­breuses per­son­nes de son entourage avaient con­staté le com­porte­ment du réal­isa­teur et n’ont rien dit. Ce silence fait écho à vos réc­its. Com­ment avez-vous reçu son témoignage ?

Vanes­sa Springo­ra « Tout le monde était au courant » est une phrase insup­port­able. Pour moi, elle pose LA grande ques­tion : à quoi con­sent-on quand on sait ? C’est ter­ri­fi­ant. #MeToo, c’est aus­si dénon­cer ce silence et cette com­plic­ité de la société, des gens autour. C’est ça que j’ai moi aus­si essayé de décor­ti­quer dans mon livre. Le Con­sen­te­ment n’était pas unique­ment mon con­sen­te­ment, mais aus­si celui de la société à cette his­toire : la pub­li­ca­tion des livres de Matzn­eff [dont plusieurs font l’apologie d’actes pédocrim­inels], par exem­ple, est une énigme totale. Le témoignage d’Adèle Haenel m’a boulever­sée. J’étais en larmes en le regar­dant. Elle avait un lan­gage très struc­turé, très poli­tique, que je n’avais pas, que j’ai tout de suite admiré et qui m’a don­né d’autres clés de lec­ture de ma pro­pre his­toire. Par con­tre, les réac­tions de cer­tains hommes m’ont choquée. Ils expri­maient le sen­ti­ment d’être sat­urés par les témoignages de vic­times d’abus sex­uels. J’ai fait ma pre­mière inter­view avec un jour­nal­iste après avoir vu ce témoignage. La pre­mière chose qu’il m’a dite, c’est : « Avec un scan­dale sex­uel toutes les trois semaines, vous allez com­mencer à lass­er les gens. » Je lui ai répon­du que ça allait encore dur­er un cer­tain temps. La preuve, on y est tou­jours…

Lola Lafon Pen­dant les pre­mières inter­views autour de Chavir­er, on me dis­ait beau­coup que ça ressem­blait à l’affaire Epstein (4). En m’intéressant à l’affaire, je suis tombée sur le témoignage d’une des vic­times. Elle est adulte, et on la voit très affec­tée quand elle par­le dans les médias améri­cains. La jour­nal­iste lui demande : « C’est dur pour vous parce que vous vous sou­venez de ce qu’il vous a fait ? » Et elle répond : « Non, c’est dur pour moi parce que je me sou­viens de ce que j’ai fait aux autres filles », c’est-à-dire le fait de les avoir entraînées. C’est quelque chose qui m’a vrai­ment boulever­sée, parce que je me suis dit que c’était ter­ri­ble qu’un pré­da­teur fasse peser sur sa vic­time le fait qu’elle puisse être pour quelque chose dans ce qui con­tin­ue de se pass­er. Ça fait par­tie du sys­tème.

D’ailleurs Cléo, dans votre roman, est util­isée par la fon­da­tion Galatée comme appât pour attir­er d’autres jeunes filles dans ses filets.

Lola Lafon Je voulais que le per­son­nage de Cléo soit une « mau­vaise vic­time », qu’elle soit totale­ment vic­time et totale­ment coupable, pour voir com­ment elle allait être reçue. #MeToo m’a plus que ravie, m’a émer­veil­lée, et je con­tin­ue d’être hyper émue. Mais au début, je me suis dit que tous ces réc­its ne me sem­blaient jamais être les miens. Ils étaient meilleurs, c’étaient des vic­times incon­testa­bles. Plus ça avançait, plus je me dis­ais que c’est plus com­pliqué si t’as jamais dit non, si on t’a fait plein de cadeaux, s’il n’y a même pas eu de vio­lence, au sens pro­pre, et que t’as rien à racon­ter comme les autres…


« #MeToo m’a émer­veil­lée, et je con­tin­ue d’être hyper émue. Mais au début, je me suis dit que tous ces réc­its ne me sem­blaient jamais être les miens. Ils étaient meilleurs, c’étaient des vic­times incon­testa­bles. »

Lola Lafon


En par­lant avec des amies, je me suis ren­du compte que c’était dévas­ta­teur pour toutes, ce truc de ne pas avoir pu dire non. Avoir accep­té des choses, des actes sex­uels, n’avoir aucune mémoire de soi-même en train de se rebeller, je pense que c’est très dif­fi­cile à porter. L’impact croisé avec ton livre a été très fort. On n’a pas cal­culé que ça se répondrait, ce n’est pas la même his­toire et pour­tant, ce sont les mêmes rouages.

Vanes­sa Springo­ra Ce dont tu par­les, ce sen­ti­ment de com­plic­ité qu’on peut avoir quand on est prise dans un réseau, même si ce n’est pas la même his­toire, je le partage com­plète­ment. Je l’ai eu quand j’ai décou­vert que Gabriel Matzn­eff allait dans les pays du tiers monde et qu’il pra­ti­quait le tourisme sex­uel avec des enfants. J’ai pen­sé que l’amour que j’avais ressen­ti à son égard lui don­nait une cau­tion. Le fait aus­si de devenir un per­son­nage de ses livres fai­sait de moi une cau­tion morale, et donc une com­plice de ses crimes.

Par­ler de vio­lences sex­uelles dans l’espace pub­lic sus­cite les témoignages d’autres femmes qui dis­ent « moi aus­si ». Com­ment réagis­sez-vous à ces réc­its qui vous sont adressés ?

Vanes­sa Springo­ra #MeToo a pu être réduit à quelque chose de très nar­cis­sique, mais « me too » ça sig­ni­fie « moi aus­si, à l’intérieur d’une chaîne ». J’ai reçu beau­coup, beau­coup de cour­ri­ers. J’ai trou­vé ça juste, puisque j’avais pris cette place publique, que ce soit à moi aus­si d’accueillir cette parole qui ne pou­vait pas être publique. Ça fait par­tie de cette chaîne de sol­i­dar­ité. Mais par­fois, c’est dur à porter, parce que le con­stat est effroy­able : des cen­taines de mil­liers de per­son­nes vivent avec ce secret.

Lola Lafon Pareil, je reçois beau­coup de mes­sages. Sou­vent, je me dis que je n’ai pas le savoir pour répon­dre et, même, que ce n’est peut-être pas ma fonc­tion. Je me dis que les répons­es, ce sont les romans. Parce que je ne peux pas faire autrement. Ça m’a sidérée, moi aus­si, le nom­bre de réc­its au début de #MeToo. C’était ent­hou­si­as­mant, mais aus­si ter­ri­fi­ant. Quand il y a eu les col­lages fémin­istes dans les rues, j’ai eu un sen­ti­ment de bon­heur, de très grand espoir pour les enfants, en me dis­ant qu’on vivait un truc que je ne pen­sais jamais vivre, que ce soit ain­si écrit dans l’espace pub­lic. Ça m’a aus­si ter­ri­ble­ment peinée pour les femmes de ma généra­tion. Je me suis dit qu’on en a vrai­ment bavé.

Un procès pour apolo­gie de la pédocrim­i­nal­ité devait se tenir con­tre Gabriel Matzn­eff, mais il n’a pas eu lieu en rai­son d’un vice de forme. Selon vous, que doit-on faire de ses œuvres ?

Vanes­sa Springo­ra Je me suis pronon­cée con­tre la cen­sure, je suis très attachée à cette posi­tion en tant qu’éditrice. J’aurais aimé que ce procès ait lieu pour qu’on inter­roge l’existence de ces œuvres pen­dant toutes ces décen­nies. Je com­prends très bien la déci­sion de l’éditeur de ses jour­naux intimes, Gal­li­mard, de retir­er les textes de la vente (5). Mon livre fai­sait remon­ter les ventes de Gabriel Matzn­eff, ce qui posait prob­lème. C’était bien arrangeant aus­si de ne plus avoir à dis­po­si­tion les textes, c’est-à-dire la charge de la preuve. Je ne tiens pas à ce que Gabriel Matzn­eff reste dans la postérité. Mais il fait par­tie de l’histoire lit­téraire et c’est impor­tant de rap­pel­er que, juste­ment, ses livres ont été pub­liés pen­dant presque quar­ante ans et que, pen­dant quar­ante ans, on a toléré l’apologie de la pédocrim­i­nal­ité. C’est soci­ologique­ment et his­torique­ment intéres­sant, donc il ne faut pas faire comme si ça n’avait pas existé. Peut-être qu’un jour les édi­tions Gal­li­mard fer­ont une édi­tion cri­tique avec une recon­tex­tu­al­i­sa­tion de l’œuvre. Par con­tre, je ne suis pas pour don­ner la parole à un pédocrim­inel au nom de la lib­erté d’expression, tout sim­ple­ment parce qu’il faut s’aligner avec la loi. De la même manière qu’un édi­teur est respon­s­able devant la loi de la pub­li­ca­tion d’un texte rel­e­vant de l’incitation à la haine raciale, il est aus­si respon­s­able de l’apologie de crimes.


« Pen­dant des années, j’ai porté, comme toutes les vic­times de pédocrim­i­nal­ité, le fait d’avoir été “choisie”. Enfin, j’ai cru que j’avais été choisie, que j’avais quelque chose de spé­cial. »

Lola Lafon


Lola Lafon Ce qui est très prob­lé­ma­tique, c’est que, pen­dant des années, la sub­ver­sion était liée à la destruc­tion des mineur·es. Ce tour de passe-passe me ques­tionne. La sub­ver­sion pour­rait être beau­coup d’autres choses, comme des écrits fémin­istes hyper rad­i­caux… Pour le moment, on reste dans une image où la sub­ver­sion est définie par l’anéantissement sex­uel. Enfin, je crois que c’est un peu passé quand même. Mais je me sou­viens, il y avait encore des textes qui parais­saient il y a dix ans, dans lesquels on sen­tait que l’auteur, pour se don­ner une sorte de crédi­bil­ité rebelle lit­téraire, don­nait dans la pédocrim­i­nal­ité, le viol ou la cul­ture du viol. À pro­pos du regard lit­téraire, ça a été une réflex­ion impor­tante chez moi pour Chavir­er : com­ment faire pour que la scène du viol de Cléo par les faux jurés de la fon­da­tion ne soit pas quelque chose de pornographique ? La seule chose que j’ai trou­vée, c’était d’être avec elle dans son ressen­ti cor­porel, dans la con­fu­sion de ce qu’elle vivait, celle de vouloir plaire et de sen­tir que ça ne va pas du tout. Je ne com­prends pas la hype autour de Pulp Fic­tion de Taran­ti­no, par exem­ple, où la scène du viol (6) est mon­strueuse. Ce qui est mon­strueux, ce n’est pas de mon­tr­er, c’est com­ment on mon­tre. Les hurlements de la vic­time, l’homme vio­lé, et le fait que la salle rit, parce qu’il y a un pseu­do sec­ond degré à ce moment-là. Pour moi, c’est insup­port­able que le réal­isa­teur nous mette en posi­tion de com­plic­ité. Donc il n’y a pas que la lit­téra­ture, il y a aus­si le ciné­ma. Je n’en peux plus de voir des séries et des films qui met­tent en scène un corps de femme nu, égorgé, mort, avec cette fas­ci­na­tion pour la fig­ure du mon­stre. Cette sorte de surenchère de corps de femme vio­len­tés, morts, je n’y arrive plus. J’ai envie de voir d’autres choses.


« J’ai eu un sen­ti­ment de com­plic­ité quand j’ai décou­vert que Gabriel Matzn­eff allait dans les pays du tiers monde et qu’il pra­ti­quait le tourisme sex­uel avec des enfants. Le fait de devenir un per­son­nage de ses livres fai­sait de moi une cau­tion morale, et donc une com­plice de ses crimes. »

Vanes­sa Springo­ra


Le rôle de la jus­tice dans la lutte con­tre les vio­lences sex­uelles tra­verse les débats fémin­istes. Com­ment percevez-vous l’institution judi­ci­aire, en tant que récep­ta­cle des vio­lences ?

Vanes­sa Springo­ra Quand la jus­tice s’est saisie de mon livre pour ouvrir une enquête pour viol sur mineure, je me suis demandé : « Ils étaient où il y a trente ans ? » Surtout que je les avais croisés, les policiers, dans un escalier, en descen­dant de chez Matzn­eff… À la sor­tie du livre, je ne voulais pas aller témoign­er, mais je n’ai pas eu le choix, donc j’y suis allée. Ça a été extrême­ment pénible. J’étais en larmes. Ça a duré sept heures en tout. Je me suis ren­du compte qu’effectivement ce n’était pas du tout le même exer­ci­ce qu’écrire, et qu’en fait ça m’avait fait du bien, même si j’étais très en colère con­tre eux. La brigadière était une toute jeune femme. Je lui ai dit que j’aurais aimé que la jus­tice fasse quelque chose à l’époque. Main­tenant, c’est trop tard. J’ai pris un autre chemin pour me faire jus­tice moi-même, d’une cer­taine manière. Je pense que c’est quand même très impor­tant, la for­ma­tion à l’écoute des gens qui recueil­lent les témoignages de vio­lences sex­uelles. Aujourd’hui, ils ne peu­vent plus se per­me­t­tre comme avant d’être com­plète­ment indif­férents, voire gogue­nards ou méprisants. Je m’étais aus­si posé la ques­tion à une époque où j’étais harcelée par cour­ri­er par Matzn­eff, y com­pris sur mon lieu de tra­vail. Après la dix­ième let­tre que j’ai trou­vée sur mon bureau, j’ai songé à tra­vers­er la rue pour aller au com­mis­sari­at porter plainte pour har­cèle­ment moral. Seule­ment je me suis dit que les flics allaient me deman­der pourquoi je n’avais pas porté plainte à l’époque. Donc je ne l’ai jamais fait, je n’ai pas eu con­fi­ance. Mais je pense qu’aujourd’hui on est en train d’ouvrir une brèche pour pou­voir à nou­veau, nous les femmes, faire davan­tage con­fi­ance à la jus­tice pour pren­dre en charge ce type d’expérience.

Lola Lafon Oui, j’espère aus­si. Mon expéri­ence avec la jus­tice, pour le viol que j’ai subi de la part de mon ex-com­pagnon a été cat­a­strophique. Je pense que je suis un bon résumé de tous les pires trucs que l’on peut imag­in­er. C’est-à-dire que j’ai porté plainte un peu « tard ». Je me suis retrou­vée dans le bureau d’un flic avec des images de femmes nues, pornographiques, devant moi. Ça a duré très longtemps. La plainte a été classée. Après, j’ai été à la place de l’accusée, puisque pour­suiv­ie pour diffamation7. Mais j’ai gag­né et je me suis retrou­vée face à un pro­cureur extra­or­di­naire qui m’a fait jus­tice. J’ai com­pris à ce moment-là que, même si poli­tique­ment je ne croy­ais plus à la jus­tice, la sym­bol­ique de l’institution existe, qu’on le veuille ou non. Je me rap­pellerai tou­jours des phras­es du pro­cureur, qui a tout à fait recon­nu ce qui s’était passé. C’était un soulage­ment. Je me rap­pelle qu’à la sor­tie de mon pre­mier roman mon avo­cat m’a écrit : « Votre roman fait ce que je n’ai pas réus­si à faire », puisqu’il n’avait pas réus­si à faire con­damn­er l’agresseur. Quand Chavir­er est sor­ti, j’étais obsédée par Cathy et très mal à l’aise à l’idée qu’elle le lise et se recon­naisse. C’est-à-dire que moi, je n’ai rien, aucune infor­ma­tion sur elle. Je ne sais même pas si elle m’avait don­né son vrai nom. Et je ne sais pas où elle est. Je ne peux pas la chercher sur Inter­net. J’ai tout essayé. J’ai passé des années à jouer à la petite détec­tive et à ne pas trou­ver d’informations, parce que tout ce que ce cou­ple m’avait dit était faux…

Vanes­sa Springo­ra Donc ce que tu racon­tes à la fin de ton livre, ça n’a pas eu lieu ? Il n’y a pas eu d’appel à témoins ? [dans Chavir­er, un appel à témoins est lancé par la police pour retrou­ver les vic­times de la fon­da­tion Galatée ].

Lola Lafon Non, ça, c’est ma vision fan­tas­mée de l’histoire. Je n’ai pas pu retrou­ver cette femme. Donc pen­dant des années, j’ai été obsédée par l’idée qu’elle con­tin­ue. Et par l’impossibilité de pou­voir faire quelque chose. J’ai cher­ché dans tous les sens, à essay­er de me sou­venir de détails, de l’adresse. Je ne suis pas pour la prison. Je ne suis pas pour le tout-car­céral, mais si on exclut un agresseur de notre cer­cle sans faire appel à la jus­tice, ça veut dire qu’on laisse la merde aux autres. En revanche, si la jus­tice n’a pas de moyens, elle ne peut pas faire grand-chose. Quand on coupe les crédits aux asso­ci­a­tions fémin­istes, c’est que ce n’est pas vrai­ment la grande cause du quin­quen­nat… Je suis cer­taine qu’il y a des gens qui sont tout à fait au taquet là-dessus, mais il faut leur don­ner des moyens. Sinon on va s’arrêter en cours de route. On peut imag­in­er un safe place 8, mais on ne fait que repouss­er le prob­lème et faire que d’autres vic­times soient vic­times. Comme Vanes­sa, je pense qu’aujourd’hui la jus­tice est for­cée à avancer grâce à ce qui se passe, grâce aux mil­i­tantes fémin­istes et aux femmes en général. •

Entre­tien réal­isé le 22 avril 2022 par Pauline Ver­duzi­er et Marie Bar­bi­er, coré­dac­trice en chef de La Défer­lante, dans les locaux des édi­tions Des femmes-Antoinette Fouque.

1. Un an après le dépôt de sa plainte pour viol, Lola Lafon a été pour­suiv­ie en jus­tice pour diffama­tion par celui qu’elle accu­sait. Cette « inver­sion de la réal­ité », comme elle la qual­i­fie, l’a poussée à écrire son pre­mier roman Une fièvre impos­si­ble à négoci­er.

2. Pub­lié en 1955, ce roman de Vladimir Nabokov met en scène, de son seul point de vue, les con­fi­dences d’un pré­da­teur, Hum­bert Hum­bert qui racon­te son désir obses­sion­nel pour une fil­lette de 12 ans, Loli­ta dont il abuse sex­uelle­ment. Le suc­cès et la postérité du livre ont cepen­dant dévoyé le sens pro­fond de l’œuvre. Pour com­pren­dre le con­tre­sens qui a fait de son héroïne le sym­bole éro­tique d’une ado­les­cente aguicheuse, voir le doc­u­men­taire Loli­ta, méprise sur un fan­tasme, d’Olivia Mok­iejew­s­ki (Arte, 2021).

3. Adèle Haenel a accusé le réal­isa­teur Christophe Rug­gia de har­cèle­ment sex­uel lorsqu’elle avait entre 12 et 15 ans. Une enquête judi­ci­aire est en cours.

4. L’affaire Epstein est une affaire crim­inelle de réseau inter­na­tion­al de pros­ti­tu­tion et de traf­ic de mineur·es impli­quant le mil­liar­daire états-unien Jef­frey Epstein. En 2019, incar­céré dans l’attente de son procès, ce dernier est retrou­vé pen­du dans sa cel­lule. En juin 2022, son anci­enne com­pagne Ghis­laine Maxwell a été con­damnée, dans cette affaire, à 20 ans de prison pour traf­ic sex­uel de mineur·es. Elle a fait appel de sa con­damna­tion.

5. En jan­vi­er 2020, suite à la pub­li­ca­tion du Con­sen­te­ment, les édi­tions Gal­li­mard ont annon­cé qu’elles reti­raient de la vente les jour­naux intimes de Gabriel Matzn­eff qu’elles pub­li­aient, en plusieurs vol­umes, depuis plus de trente ans.

6. Pulp Fic­tion de Quentin Tar­enti­no sor­ti en 1994 suit des mal­frats à Los Ange­les. Marsel­lus Wal­lace (Ving Rhames) y est fait pris­on­nier et vio­lé sur un cheval d’arçons avant d’être libéré par Butch (Bruce Willis).

Un car­net et un film « culte »
La ren­con­tre entre Lola Lafon et Vanes­sa Springo­ra s’est tenue dans la galerie des édi­tions Des femmes, fondées en 1972 par la fémin­iste et fig­ure his­torique du MLF Antoinette Fouque. Les cadeaux qu’elles avaient choisi de s’offrir ont réson­né avec les sujets évo­qués. Vanes­sa Springo­ra a apporté à Lola Lafon le DVD du film La Petite Fille au bout du chemin, réal­isé par Nico­las Gess­ner en 1976. L’histoire d’une enfant de 13 ans vivant seule qui devient la cible d’un pédocrim­inel. « L’un des pre­miers rôles de Jodie Fos­ter, a rap­pelé Vanes­sa Springo­ra. Toi et moi, Lola, on a un imag­i­naire com­mun autour des petites filles qui cherchent à s’émanciper… » « C’est un de mes films culte ! Je suis com­plète­ment obsédée par ce film » l’a remer­ciée la roman­cière en indi­quant qu’il avait inspiré le nom de l’un des per­son­nages de son troisième roman, Nous sommes les oiseaux de la tem­pête qui s’annonce. Vanes­sa Springo­ra s’est vu offrir un car­net : « Tu n’as pas besoin de moi pour con­tin­uer à écrire, mais c’est sym­bol­ique. »

 

L’œuvre de Lola Lafon
Lola Lafon écrit depuis l’enfance, qu’elle a vécue en par­tie dans la Roumanie com­mu­niste de Ceaușes­cu. Ses romans sont tra­ver­sés par des thèmes récur­rents comme la vio­lence de genre, les ami­tiés féminines, le mod­e­lage du corps des femmes, que ce soit par le patri­ar­cat, la danse ou la gym­nas­tique. Dans son roman La petite com­mu­niste qui ne souri­ait jamais (Actes Sud, 2014), elle retrace la vie de la gym­naste roumaine Nadia Comăneci et l’obsession mal­saine plané­taire pour les prouess­es de cette sportive dev­enue star mon­di­ale à l’adolescence. Avant cela, elle a pub­lié trois romans, dont Une fièvre impos­si­ble à négoci­er (Actes Sud, 2003), le pre­mier, est inspiré de sa pro­pre his­toire. Lan­dra, une jeune femme vic­time de viol, se révolte en rejoignant un grou­pus­cule d’action rad­i­cale en lutte con­tre le sys­tème ultra libéral. Dans Chavir­er son six­ième roman (Actes Sud, 2020), elle racon­te l’histoire de Cléo, 13 ans, abor­dée à la sor­tie d’un cours de mod­ern jazz par Cathy, soi-dis­ant recru­teuse pour la fon­da­tion Galatée qui promet des bours­es à de jeunes artistes. La jeune fille est vio­lée par l’un des faux jurés et va ensuite elle-même être exploitée comme recru­teuse d’autres ado­les­centes. Dans les années 1990, dev­enue adulte, elle danse sur les plateaux de Druck­er. Le livre racon­te son par­cours, de l’enfance jusqu’à l’ouverture d’une enquête des années plus tard, à tra­vers son regard et celui de celles et ceux qui l’ont con­nue. Pour son dernier livre, Quand tu écouteras cette chan­son, paru en août 2022 dans la col­lec­tion « Ma nuit au musée » des édi­tions Stock, la roman­cière a passé une nuit dans la Mai­son Anne Frank à Ams­ter­dam.

 

Les suites du Con­sen­te­ment
Paru en jan­vi­er 2020 aux édi­tions Gras­set, Le Con­sen­te­ment de Vanes­sa Springo­ra décrit l’emprise qu’a eue sur elle l’écrivain Gabriel Matzn­eff. Elle avait à peine 14 ans quand elle a ren­con­tré cet auteur à suc­cès âgé de 50 ans et a vécu avec lui à l’hôtel dans l’approbation générale. Depuis son ado­les­cence brisée, jusqu’à la fin de cette rela­tion, en pas­sant par le har­cèle­ment qu’il a con­tin­ué de lui faire subir en la met­tant en scène dans ses livres et en cher­chant à la con­tac­ter par tous les moyens, l’écrivaine décrit la com­plic­ité d’une société tout entière vis-à-vis de la pédocrim­i­nal­ité assumée de cet homme longtemps invité sur les plateaux de télévi­sion, et la manière dont il a pu la tenir sous son joug sans jamais en être inquiété. La paru­tion du Con­sen­te­ment de Vanes­sa Springo­ra a trou­vé dans le débat pub­lic un écho reten­tis­sant, tran­chant avec la com­plai­sance dont avait joui Gabriel Matzn­eff pen­dant presque toute sa car­rière. Dès le lende­main de la paru­tion du livre, le par­quet de Paris ouvrait une enquête pour vio­ls sur mineure de 15 ans. En avril 2021, dans le sil­lage de ce livre et des débats autour de la pédocrim­i­nal­ité, le Par­lement a adop­té une loi étab­lis­sant un seuil de non-con­sen­te­ment à 15 ans, ce qui sig­ni­fie que tout acte sex­uel entre un·e adulte et un·e mineur·e de moins de 15 ans est pré­sumé être con­traint (ce seuil est porté à 18 ans en cas d’inceste). Depuis, une autre femme, la jour­nal­iste Francesca Gee, a elle aus­si dit avoir été vic­time de vio­lences sex­uelles de la part de l’écrivain quand elle était ado­les­cente.

Pauline Verduzier

Journaliste indépendante au sein du collectif Les Journalopes et spécialiste des questions de sexualités, elle est l’autrice de l’essai Vilaine filles (Anne Carrière, 2020). Voir tous ses articles

Marie Barbier

Journaliste spécialisée dans les questions judiciaires. Elle a longtemps traîné sur les bancs des palais de justice pour le quotidien L’Humanité. Cofondatrice, elle en est aujourd’hui corédactrice en chef de La Déferlante. Elle gère, depuis Rennes, les questions financières. Voir tous ses articles

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

Retrou­vez cet arti­cle dans La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille (sep­tem­bre 2022)


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