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Lettre au cyclone qui m’a guéri

Avant sa tran­si­tion, Tal Mades­ta aimait mal, que ce soit les hommes ou les autres. Boulever­sante let­tre à celle qui partage sa vie, cette deux­ième chronique est aus­si une ode aux amours trans. Celles qui offrent un espace de dia­logue et de com­préhen­sion sur la manière dont la tran­si­tion change le rap­port au monde et à soi.
Publié le 28/04/2022

Modifié le 16/01/2025

Chronique Tal Madesta La Déferlante 6

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°6. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.

Je ne sais plus trop, j’ai un peu oublié depuis, le temps s’étire étrange­ment depuis toi. \nLe soir de notre ren­con­tre, j’ai été frap­pé par la vitesse avec laque­lle tu rebat­tais les cartes, fer­mais des clapets, occu­pais l’espace. On ne voy­ait que toi et ton oeil éton­nam­ment doux pour un cyclone. Je me sou­viens que tu dev­inais la charte astrale de tout le monde, ça fai­sait autant fron­cer les sour­cils des amateur·ices d’astrologie que des scep­tiques. Il y a beau­coup de bêtes à cornes dans ton ciel, tu me lances presque avant même de me dire bon­jour. La foule s’agite autour de la grande table en bois dans un brouha­ha nuageux, mais ça ne me casse pas les oreilles car je n’entends que toi.\nOn se revoit vite et on se revoit beau­coup, aspiré·es l’un vers l’autre sans aucun e!ort,\naucun jeu, aucune ten­ta­tive de souf­fler le chaud et le froid. Nous nous sommes saisi·es\nl’un de l’autre immé­di­ate­ment et il n’y a eu ni manières ni faux-sem­blants. J’enroule tes\ncheveux bouclés autour de mon doigt comme s’il s’agissait des miens, tu joues avec la\nchaîne de mon cou comme une exten­sion de tes mains, mais pour­tant nous ne formons\npas qu’un·e. Nous nous sommes sim­ple­ment reconnu·es.\n”}” data-sheets-userformat=”{“2”:771,“3”:{“1”:0},“4”:{“1”:2,“2”:14281427},“11”:3,“12”:0}” data-sheets-textstyleruns=”{“1”:0}{“1”:669,“2”:{“6”:1}}{“1”:717}”>Avant de te con­naître, j’avais un goût de cen­dre plein la bouche et le ven­tre en vrac, une acid­ité au fond de la gorge qui me rame­nait con­stam­ment à mon corps, un cha­touille­ment incon­fort­able qui cri­spait mes mus­cles. Je ne sais plus trop, j’ai un peu oublié depuis, le temps s’étire étrange­ment depuis toi.

Le soir de notre ren­con­tre, j’ai été frap­pé par la vitesse avec laque­lle tu rebat­tais les cartes, fer­mais des clapets, occu­pais l’espace. On ne voy­ait que toi et ton œil éton­nam­ment doux pour un cyclone. Je me sou­viens que tu dev­inais la charte astrale de tout le monde, ça fai­sait autant fron­cer les sour­cils des amateur·ices d’astrologie que des scep­tiques. Il y a beau­coup de bêtes à cornes dans ton ciel, tu me lances presque avant même de me dire bon­jour. La foule s’agite autour de la grande table en bois dans un brouha­ha nuageux, mais ça ne me casse pas les oreilles car je n’entends que toi.
On se revoit vite et on se revoit beau­coup, aspiré·es l’un vers l’autre sans aucun effort, aucun jeu, aucune ten­ta­tive de souf­fler le chaud et le froid. Nous nous sommes saisi·es l’un de l’autre immé­di­ate­ment et il n’y a eu ni manières ni faux-sem­blants. J’enroule tes cheveux bouclés autour de mon doigt comme s’il s’agissait des miens, tu joues avec la chaîne de mon cou comme une exten­sion de tes mains, mais pour­tant nous ne for­mons pas qu’un·e. Nous nous sommes sim­ple­ment reconnu·es.

Tu es arrivée au moment où j’ai accepté d’être vu

Ça sig­ni­fie quelque chose que tu aies atter­ri à ce moment pré­cis sur mon fil de funam­bule. Déjà assez avancé dans ma tran­si­tion pour demeur­er solide sur mes appuis, mais encore assez vul­nérable pour être avide d’un amour qui com­prend. Je crois que c’est parce que ta corde est faite du même nylon que la mienne, inus­able et fri­able en même temps. Ce qui ne nous a pas tué·es ne nous a pas rendu·es plus fort·es pour autant. Au con­traire : on suf­foque, on panique, on prend les pics de cor­ti­sol comme des tsunamis dans la gueule, on trem­ble beau­coup, on se méfie, on doute per­pétuelle­ment de nous et des autres. Calibré·es sur les mêmes rafales, on se com­prend sans se par­ler.

En deux temps trois mou­ve­ments, tu as brisé ma malé­dic­tion, celle de men­tir par omis­sion et de me cacher, de ne pas faire con­fi­ance, de dire ce que je pense qu’on attend de moi, d’être mod­elé au gré des autres, de pren­dre mes jambes à mon cou dès que j’en ai l’occasion. Tu es arrivée au moment où j’ai accep­té d’être vu. Et je n’ai plus besoin de jouer depuis que je sais qui je suis. Voilà une par­tie de la promesse que l’on s’est faite : on avance dans la vie avec la même vipère au poing, celle d’être trans. L’hydre aux mille vis­ages qui force tout à la fois une com­bat­iv­ité en aci­er trem­pé, une joie au-delà des épreuves, un sar­casme ravageur, une résilience éblouis­sante, mais aus­si une marée de tristesse dans l’œil.

C’est en devenant un homme que j’ai compris l’amour

J’aimais très mal lorsque j’étais une femme avec des hommes, pleine de l’aigreur du renon­ce­ment. J’aimais mieux lorsque, femme tou­jours, je n’ai presque plus été intime qu’avec mes sem­blables, mais ça ne suff­i­sait pas, de met­tre des panse­ments sur une hémor­ragie. Quand j’ai su que mon prob­lème résidait moins dans le fait de détester les hommes que de vouloir en devenir un, tout s’est effon­dré dans ma vie. Plus rien n’avait la moin­dre con­sis­tance, per­suadé que j’étais en train de trahir ma classe autant que moi-même. Une bête à vif et léthargique noyée dans la ter­reur, voilà ce qui ram­pait sur le sol. For­cé­ment, on ne pou­vait alors pas faire autrement que de très mal m’aimer en retour. Som­mé de dire ceci, for­cé d’être cela, de me décider plus vite, on me reprochait mon incon­stance, ma di%culté à voir entre les volutes du brouil­lard, on regar­dait avec un oeil agacé la déser­tion de mon pro­pre corps. Mais au fil des mois, les pièces de cet édi­fice bran­lant sont dev­enues si étroites et le pla­fond si bas que j’ai fini par faire explos­er ma mai­son de poupées. Je ne pou­vais plus ignor­er le feu qui embra­sait la forêt. J’ai décidé que homme serait ma voie.

Ain­si, c’est en devenant ce nou­veau reflet dans le miroir que j’ai pu m’engager, c’est en devenant un homme que j’ai com­pris l’amour. Je ne pou­vais que fuir les autres en con­tin­u­ant de me fuir moi-même. À présent, je sais le com­ment, mais tou­jours pas le pourquoi. Je me dis­ais pour­tant, plus ten­dre avec moi-même mais pas plus avancé, Les hommes, ce sont ceux qui nous font du mal.

C’est toi qui m’as fait com­pren­dre le pourquoi, à force de bril­lance, d’espièglerie et de déli­catesse. Entre la dys­pho­rie et le goût de plas­tique brûlé que lais­sait sur ma langue le fait d’être femme, je voulais secrète­ment devenir un homme pour faire mieux qu’eux. Être mon pro­pre exem­ple de bon­té, de loy­auté, de rigueur et de générosité, puisque aucun homme n’avait voulu me mon­tr­er qu’il en était capa­ble. Nulle autre qu’une per­son­ne trans n’aurait pu me don­ner cette clé de cof­fre-fort. Nulle autre que toi-même. Il faut avoir tra­ver­sé cette fron­tière soi-même pour com­pren­dre ce qui se joue à l’orée de ce secret : un ver­tige immense, un précipice joyeux, une réc­on­cil­i­a­tion avec le passé, une route vers soi.

 

Tal Madesta

Journaliste indépendant spécialisé dans les questions de discriminations, il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Fin des monstres (La Déferlante Éditions, 2023). Il co-anime le podcast Les Couilles sur la table (Binge Audio). Voir tous ses articles

Rire : Peut-on être drôle sans humilier ?

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°6. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.


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