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Keiona et Ebony, des stars qui dérangent

Venue de la scène ball­room, Keiona, 33 ans, a été en 2023 la pre­mière drag queen noire à rem­porter la finale de l’émission de télécro­chet « Drag Race France ». L’année suiv­ante, Ebony, 20 ans, s’est imposée comme final­iste de la « Star Acad­e­my », pre­mière femme noire à cette place. Dans cet entre­tien inédit, elles racon­tent com­ment elles se sont con­stru­ites et com­ment elles com­bat­tent le racisme.
Publié le 01/05/2025

Modifié le 06/05/2025

Ebony et Keiona, à l’exposition « Paris noir », au Cen­tre Pom­pi­dou. La salle entière­ment recou­verte de bleu indi­go dans laque­lle elles se trou­vent est l’œuvre de l’artiste mar­tini­quaise Valérie John : Secret(s)… Rêves de pays… Fab­rique à mémoire(s)… Palimpses­te (1998–2025). Crédit pho­to : Sophie Palmi­er pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°18 Édu­quer, parue en mai 2025. Con­sul­tez le som­maire.

C’est au cœur de l’exposition « Paris noir. Cir­cu­la­tions artis­tiques et luttes anti­colo­niales », au Cen­tre Pom­pi­dou, que La Défer­lante a pro­posé d’organiser cette ren­con­tre.

Une célébra­tion de la pro­duc­tion foi­son­nante, longtemps invis­i­bil­isée, des artistes afro-descendant·es présent·es à Paris depuis les années 1950 jusqu’à nos jours. Keiona s’arrête sur les images de la chanteuse Grace Jones inter­pré­tant La Vie en rose d’Édith Piaf en 1977, tan­dis qu’Ebony déam­bule dans les allées de l’exposition à la recherche d’artistes caribéen·nes.

Con­tac­tée pour une ren­con­tre, Keiona avait mis la jeune chanteuse Ebony tout en haut de la liste des per­son­nes avec qui elle avait envie d’échanger. « Je me suis ren­seignée sur ce qu’elle fait musi­cale­ment. J’ai vu des cov­ers et des choses qui m’ont intéressée, explique la drag queen. On partage une expéri­ence com­mune à la télé française : on a toutes les deux vécu les choses de l’intérieur de la machine. » Ebony a tout de suite accep­té cette propo­si­tion, comme elle l’a expliqué d’emblée à Keiona : « Je te suis depuis très longtemps, bien avant que j’entre à la “Star Ac”, bien avant “Drag Race”. Ça me fait trop plaisir de te ren­con­tr­er, j’étais oblig­ée d’accepter ! » Après avoir accédé l’une et l’autre à la notoriété au tra­vers d’une émis­sion de télécro­chet, les deux per­formeuses désirent mar­quer de leur empreinte la scène musi­cale française.

La discussion prend place au milieu de la salle que l’exposition « Paris noir » consacre au courant dit « des nouvelles abstractions ». Derrière Ebony, Triptyque (1990), de l’artiste dominicain Vicente Pimentel. À gauche, l’œuvre du peintre vénézuélien Ismael Mundaray, Wabanoko V (1995).
La dis­cus­sion prend place au milieu de la salle que l’exposition « Paris noir » con­sacre au courant dit « des nou­velles abstrac­tions ». Der­rière Ebony, Trip­tyque (1990), de l’artiste domini­cain Vicente Pimentel. À gauche, l’œuvre du pein­tre vénézuélien Ismael Mundaray, Wabanoko V (1995). Crédit pho­to : Sophie Palmi­er pour La Défer­lante

Nous avons la chance d’être accueil­lies dans cette belle expo­si­tion « Paris noir » au Cen­tre Pom­pi­dou. Les murs de ce musée sont comme un cocon, alors que, au-dehors, nous vivons une péri­ode très dif­fi­cile. Pourquoi est-ce pour vous impor­tant de con­tin­uer à per­former vos arts respec­tifs dans ce con­texte-là ?

EBONY Avant tout parce que c’est quelque chose qui nous plaît : c’est ça qui est impor­tant, peu importe le regard des gens, peu importe leur avis sur ce qu’on pro­duit. On est ani­mées par ce qui nous pas­sionne.

KEIONA Nos exis­tences mêmes sont la source de plein de réac­tions. On inspire beau­coup de per­son­nes qui nous ressem­blent plus ou moins, mais qui peu­vent se com­par­er à nous et à nos vécus.

EBONY Oui, c’est impor­tant aus­si de don­ner envie à d’autres per­son­nes qui, des fois, n’osent pas réalis­er leur pas­sion.

Ebony pose entre deux œuvres de l’artiste franco- camerounaise Manuèla Dikoumè : Autoportrait 
au vase (1991) et Autoportrait au loup (1991)
Ebony pose entre deux œuvres de l’artiste fran­co- camer­ounaise Manuèla Dik­oumè : Auto­por­trait
au vase
(1991) et Auto­por­trait au loup (1991). Crédit pho­to : Sophie Palmi­er pour La Défer­lante

Com­ment vous informez-vous au quo­ti­di­en ?

EBONY Pas for­cé­ment de la bonne manière, beau­coup sur les réseaux soci­aux. Je suis notam­ment le compte Ins­ta Paint 1Paint est un média numérique créé par Aline et Cédric Feito, jumelle et jumeau et par ailleurs homosexuel·les. Il entend don­ner plus de vis­i­bil­ité à la com­mu­nauté LGBTQIA+ fran­coph­o­ne. pour la com­mu­nauté LGBTQIA+. Mais il faut faire atten­tion sur les réseaux, parce qu’il y a beau­coup de dés­in­for­ma­tion. L’algorithme s’adapte à notre vision du monde. Si une per­son­ne igno­rante regarde tou­jours la même dés­in­for­ma­tion qui va dans son sens, elle ne sera jamais bien infor­mée.

KEIONA Je vais beau­coup m’informer sur ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis par rap­port à la com­mu­nauté trans et à toutes les lois qui l’attaquent. Mal­heureuse­ment, tout ce qui se passe là-bas se repro­duit plus tard ici en France.
Aujourd’hui, avec les réseaux soci­aux, on a une source d’information intariss­able. Mais on est quand même dans une cer­taine bulle.

On jouit d’un cer­tain priv­ilège, celui de pou­voir exercer les métiers qu’on aime, de tra­vailler avec des per­son­nes qu’on appré­cie. On reste pro­tégées. J’essaie d’aller sur les réseaux à petite dose, parce que, autrement, on tombe dans un rab­bit hole2Un rab­bit hole ou « ter­ri­er de lapin » est un phénomène des réseaux soci­aux : les utilisateur·ices sont entraîné·es dans des séquences de con­tenus cap­ti­vantes sans fin.. Tu es vite submergé·e. Il y a quand même une dis­tance à con­serv­er entre toutes ces choses-là, très graves, qui arrivent dans le monde et nos vécus.


« J’aimerais réus­sir à créer quelque chose qui me ressem­ble, pour affirmer mon iden­tité musi­cale. »

Ebony

Vous pré­parez respec­tive­ment un EP et un album (lire les encadrés). Pour quel type de direc­tion artis­tique et de pro­duc­tion avez-vous opté ?

EBONY J’aimerais réus­sir à créer quelque chose qui me ressem­ble, pour affirmer mon iden­tité musi­cale. J’ai énor­mé­ment d’influences : j’écoute du rap, du R’n’B, de la var­iété française, de l’afro, de la musique caribéenne. Il y a quelque chose de très som­bre autour de ma musique, qui plaît, même dans ma manière de m’habiller ou de me maquiller au quo­ti­di­en. Je me retrou­ve par exem­ple dans les derniers pro­jets de Rema [auteur-com­pos­i­teur-inter­prète nigéri­an].

KEIONA De mon côté, on va retrou­ver du funk, de la rave, de la bre­ga funk. J’ai une très grande his­toire avec le Brésil. Mais évidem­ment, je viens aus­si de la ball­room [lire l’encadré ci-dessous], dans laque­lle la musique est tout aus­si impor­tante que la danse. On l’entend déjà dans mon sin­gle Watch Me. La chan­son donne envie de danser et de faire un ball ! On m’a con­nue dans d’autres types d’arts : la scène, le lip sync3Le lip sync ou « syn­chro­ni­sa­tion faciale » est l’une des per­for­mances de la scène drag : il s’agit de chanter en play-back de façon syn­chro­nisée., le théâtre aus­si. La musique est pour moi une forme de renais­sance. J’ai atten­du le bon moment pour que tout s’aligne. J’ai mis trois à qua­tre mois pour trou­ver la bonne instru pour Watch Me, pour trou­ver le son qui cor­re­spond à ma nou­velle image.

Keiona, une légende du voguing

Kevin Kouas­si, de son nom civ­il, grandit dans une famille ivoiri­enne aisée entre l’Essonne et la Côte d’Ivoire. En 2011, il par­ticipe à ses pre­miers ball­rooms, en expres­sion de genre mas­cu­line. L’année suiv­ante, il crée son alter ego féminin, Keiona, en par­tic­i­pant à la caté­gorie vogue fem, danse emblé­ma­tique du vogu­ing. En par­al­lèle, il devient con­seiller de vente pour des mar­ques de luxe comme Paco Rabanne et Pra­da.

En 2018, Keiona fait par­tie des performeur·euses vogu­ing invité·es à l’Élysée à l’occasion de la Fête de la musique au côté du DJ Kid­dy Smile. Celui-ci porte un tee-shirt « Fils d’immigré, noir et pédé », ce qui provoque une vague de haine en ligne.

Les cachets des performeur·euses sont rever­sés à une asso­ci­a­tion de sou­tien aux per­son­nes migrantes. En 2022, la car­rière de Keiona prend une dimen­sion inter­na­tionale : elle par­ticipe avec sa house (House of Revlon), à l’émission de vogu­ing Leg­endary dif­fusée sur HBO aux États-Unis.

En 2023, Keiona est déjà une fig­ure incon­tourn­able du vogu­ing, quand elle revient en France pour inté­gr­er le cast­ing de la deux­ième édi­tion de « Drag Race France ». Sa maîtrise de la danse et de la per­for­mance lui per­met de rem­porter l’édition. Elle enchaîne avec l’émission « Danse avec les stars » au côté du danseur Maxime Dereymez, de l’humoriste Inès Reg et de la chanteuse Natasha St-Pier. Keiona se lance dans la musique en mars 2025 avec son pre­mier sin­gle, Watch Me, cal­i­bré pour la ball­room.

Ebony, lors de la finale de la « Star Acad­e­my » en jan­vi­er 2025, Aya Naka­mu­ra vous a qual­i­fiée, sur Insta­gram, de « star en devenir qui dérange ». Que représente cette chanteuse fran­co-mali­enne pour les femmes noires dans l’industrie de la musique en France ?

EBONY Aya est une star qui dérange, qui déplaît. Mais ses streams [écoutes] par­lent d’eux-mêmes. En tant que femme noire, elle nous mon­tre qu’on peut réus­sir dans l’industrie de la musique : être au top et ne pas sys­té­ma­tique­ment finir en bas du classe­ment.

KEIONA Je suis per­son­nelle­ment une grande fan d’Aya. Elle est venue du Mali quand elle était toute petite, puis a gran­di à Aulnay-sous-Bois [Seine-Saint-Denis]. Sa façon de chanter s’inspire de ses orig­ines, des gri­ottes mali­ennes, de leur tim­bre de voix. Quand Aya chante, elle nous par­le. On com­prend directe­ment ce qu’elle nous dit. Elle a créé un lien avec un cer­tain pub­lic. Ce pub­lic est beau­coup plus nom­breux et plus large que ce à quoi les gens s’attendaient, c’est ça qui a vrai­ment dérangé. Mais elle touche aus­si énor­mé­ment de monde, à l’étranger, des per­son­nes qui ne par­lent pas français et qui pour­tant strea­ment sa musique.

Keiona entre les toiles de Vincente Pimentel et d’Ismael Mundarey.
Keiona entre les toiles de Vin­cente Pimentel et d’Ismael Mundarey. Crédit pho­to : Sophie Palmi­er pour La Défer­lantef

Quelles sont les per­son­nal­ités noires, et notam­ment les artistes, qui vous ont influ­encées ?

EBONY Michael Jack­son4Plusieurs hommes ont accusé Michael Jack­son de les avoir soumis à des vio­lences sex­uelles quand ils étaient enfants. Dans un cas, une trans­ac­tion à l’amiable lui a évité le procès ; dans l’autre, il a été acquit­té. Les deux derniers témoignages sont inter­venus après sa mort, en 2009. a été le pre­mier chanteur que j’ai écouté quand j’étais petite. J’ai longtemps été addict au titre Thriller. Je regar­dais le clip même s’il me fai­sait peur, j’étais fascinée. Bien sûr, Queen B [Bey­on­cé], que j’ai écoutée toute petite aus­si. Rihan­na est égale­ment une fig­ure impor­tante pour moi. Mar­tin Luther King m’a aus­si beau­coup inspirée.

KEIONA Petite, j’adorais Whit­ney Hous­ton. À l’époque du col­lège, j’écoutais Bey­on­cé et Janet Jack­son évidem­ment. Je l’ai tou­jours appelée « la pop star qui chu­chote à l’oreille des gens », parce qu’elle a cette voix très cristalline, très suave, qui lui est pro­pre. Musi­cale­ment, je dois par­ler de Nic­ki Minaj aus­si. Toute sa DA [direc­tion artis­tique] est authen­tique, à l’image de celle d’Aya Naka­mu­ra. Nic­ki Minaj a tou­jours été Nic­ki, depuis l’époque de sa pre­mière mix­tape de rap. Elle n’avait sim­ple­ment pas les moyens qu’elle a aujourd’hui. Son per­son­nage Hara­juku Bar­bie [un des alter ego de Nic­ki Minaj] était déjà là avec ses chaînes et ses mèch­es ros­es. La façon dont elle rappe et dont elle par­le est unique.

Le 26 juillet 2024, Aya Nakamura chante à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, sous escorte musicale de la Garde républicaine. Pour Ebony, « en tant que femme noire, Aya nous montre qu’on peut réussir dans l’industrie de la musique ».
Esa Alexander / POOL / AFP
Le 26 juil­let 2024, Aya Naka­mu­ra chante à la céré­monie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, sous escorte musi­cale de la Garde répub­li­caine. Pour Ebony, « en tant que femme noire, Aya nous mon­tre qu’on peut réus­sir dans l’industrie de la musique ».
Esa Alexan­der / POOL / AFP

Comme Aya Naka­mu­ra, vous venez toutes deux de la ban­lieue parisi­enne : Keiona, de l’Essonne, et Ebony, de Seine-Saint-Denis. En quoi cela a‑t-il joué un rôle dans votre par­cours ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les villes où vous avez gran­di ?

EBONY J’ai emmé­nagé sur l’île Saint-Denis [en Seine-Saint-Denis] quelques mois avant d’intégrer le château de la « Star Acad­e­my », mais j’ai gran­di dans le départe­ment des Hauts-de-Seine, à Colombes. Puis, au lycée, j’ai démé­nagé dans la ville d’à côté, à Asnières-sur-Seine. Colombes est une ville coupée en deux. Il y a un côté riche et un côté plus… défa­vorisé, même si je n’aime pas utilis­er ce mot.

J’ai été sco­lar­isée dans une école privée. J’ai côtoyé des per­son­nes avec plus de moyens que moi. Je me demandais sou­vent : « Est-ce que je suis vrai­ment à ma place ? Est-ce que je suis légitime ? » En marchant dans le cen­tre-ville, je me demandais si j’avais le droit d’être là. C’est hor­ri­ble, mais je n’en ai jamais vrai­ment par­lé.

Plus tard, j’ai été sco­lar­isée dans une école publique et je m’y sen­tais bien. Mais je con­tin­u­ais à me pos­er des ques­tions sur ma place et sur la manière dont je devais me com­porter. J’ai pu trou­ver des gens avec qui je me sen­tais moi-même et d’autres, notam­ment, de la com­mu­nauté qui me lançaient : « T’es pas une vraie Noire ! Tu tra­vailles bien à l’école, tu es trop fran­cisée ! » Des fois c’était l’inverse : « Tu es trop noire donc tu ne peux pas être ma copine. » Je me suis nour­rie de la plu­ral­ité de Colombes. Je suis très fière de là d’où je viens, mais tu vis une dual­ité quand tu viens de ban­lieue et que tu es une per­son­ne racisée.

KEIONA J’ai gran­di dans une petite cité de Draveil, rel­a­tive­ment calme com­parée aux villes d’à côté, comme Grigny, Vigneux ou Vil­leneuve-Saint-Georges. Grandir avec une grosse fibre artis­tique, sans avoir du tout peur de l’exprimer mais sans être for­cé­ment au bon endroit pour ça, c’était un peu risqué… Je n’ai pas été éduquée comme une per­son­ne qui devait tout le temps s’excuser. Quand tout le monde est en ensem­ble Nike ou Adi­das et que je me pointe en cra­vate rose, petit gilet, tout droit sor­ti d’High School Musi­cal, for­cé­ment, ça détonne un peu ! I’ve nev­er been a fol­low­er ! [Je n’ai jamais été une suiveuse !]

J’ai gran­di entre l’Essonne et la Côte d’Ivoire. J’ai fait des allers-retours entre les deux pays tout au long de ma jeunesse, à peu près tous les deux ans. À l’internat en Côte d’Ivoire, c’était uni­forme oblig­a­toire. Mais pen­dant les vacances d’été, à Paris, j’avais déjà com­mencé à dévelop­per ce style plus queer, qui était com­plète­ment à l’opposé de ce que tout le monde met­tait. Les gens étaient per­plex­es quand je m’habillais : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? C’est quoi le look pour venir en cours ? » J’avais surtout dix mois d’avance, comme main­tenant. J’avais déjà la vision. Je leur répondais : « Dans High School Musi­cal, ils met­tent ça pour aller à l’école, alors je le mets aus­si ! » À par­tir du moment où ça ne posait pas de prob­lème aux profs et que ça n’était pas déroga­toire au règle­ment de l’école et au dress code, je le fai­sais.

Et oui, il y a eu un peu de bul­ly­ing [har­cèle­ment]. J’ai vécu des dis­crim­i­na­tions, mais je me dis que ça forge le car­ac­tère. Ça me sert aujourd’hui dans ma vie pro­fes­sion­nelle pour dis­tinguer les méchants des gen­tils. Je rejoins Ebony sur cette dual­ité qu’on peut vivre en ban­lieue. Tu as ce groupe d’ami·es de l’école qui te sou­tient vis-à-vis de ton style. Mais quand tu retournes dans ton quarti­er, on va trou­ver que tu t’identifies trop à tes potes du lycée, qui n’ont pas for­cé­ment les mêmes orig­ines que toi.

Quel regard portez-vous, Keiona, sur la con­struc­tion de la mas­culin­ité là où vous avez gran­di ?

KEIONA Dans nos com­mu­nautés africaines, on n’enseigne pas for­cé­ment aux garçons à être des hommes, mais plutôt à ne pas être des filles. On me dis­ait : « Ne fais pas ça, c’est pour les filles ! » Soit, mais que font les garçons dans ce cas ? Les filles ont une intel­li­gence émo­tion­nelle beau­coup plus tôt. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai tou­jours nav­igué autour des filles. J’étais fem­i­nist from day one ! [fémin­iste depuis le pre­mier jour !] Finale­ment, les garçons arrivent à 18, 19, 20 ans sans intel­li­gence émo­tion­nelle, et les inter­ac­tions avec la gent fémi­nine sont déplorables.

Ebony, vous avez subi des vio­lences racistes et sex­istes, notam­ment le 22 mars 2025 lors d’un con­cert (lire l’encadré ci-dessous) : vous met­tre à genoux face au pub­lic, qu’est-ce que ça sig­nifi­ait à ce moment-là ?

EBONY Il y a eu plein de malen­ten­dus sur ce moment. Je ne me suis pas mise à genoux pour les haters [per­son­nes qui expri­ment leur haine sur les réseaux soci­aux]. J’ai d’abord réa­gi en dis­ant sur scène que la haine n’avait pas sa place dans cette salle. Puis, on a rechan­té avec le groupe et j’ai fait le salut final. Après mon dis­cours, j’ai ressen­ti une dose d’amour énorme. Le pub­lic a scan­dé mon nom, des gens pleu­raient dans le pub­lic. Je voulais remerci­er ce retour de flamme. L’amour a rem­placé la haine.

Ebony, née dans la musique

Ebony Cham est la fille du chanteur zouk guade­loupéen Thier­ry Cham, qui perce à la fin
des années 1990 avec des hits comme Nuit blanche (1994) ou Océan (2000). La jeune fille grandit dans un foy­er rem­pli de musique. À 12 ans, elle monte sur scène avec son père au Cabaret sauvage à Paris dans le cadre d’un fes­ti­val de zouk.

Ado­les­cente, Ebony poste des vidéos de ses pro­pres per­for­mances musi­cales sur les réseaux soci­aux. Elle étudie ensuite la musique dans une école de jazz. En sep­tem­bre 2024, elle intè­gre la douz­ième pro­mo­tion de la
« Star Acad­e­my », une émis­sion de diver­tisse­ment qui reprend les codes du télécro­chet, et dont les participant·es sont filmé·es au quo­ti­di­en dans le château où elles et ils rési­dent. Ebony sur­v­ole la sélec­tion. En novem­bre, elle inter­prète Sweet Dreams de Eury­th­mics dans un tableau légendaire mêlant danse et chant. Mais elle fait pen­dant
des mois l’objet d’un cyber­har­cèle­ment raciste et sex­iste. Ende­mol, la société de pro­duc­tion de l’émission, ain­si que l’association SOS Racisme por­tent plainte. En jan­vi­er 2025, elle s’incline en finale face à Marine Delplace, qui rem­porte la « Star Acad­e­my ».

À la sor­tie du château, Ebony Cham signe avec Epic Records. Elle par­ticipe au Sidac­tion en reprenant sur scène, avec le chanteur Bilal Has­sani, le tube Bad Romance, de Lady Gaga. En mars 2025, lors d’une date de la tournée de la « Star Acad­e­my » à Lille, Ebony dénonce sur scène un geste de haine que lui a adressé une spec­ta­trice depuis le parterre. Ce geste raciste et la prise de parole de la chanteuse entraî­nent une nou­velle vague de cyber­har­cèle­ment à son égard.

Com­ment par­venez-vous à déploy­er cette douceur face à la haine raciale à laque­lle vous êtes con­fron­tée ?

EBONY Déjà, j’ai été énor­mé­ment pro­tégée à l’intérieur de la « Star Acad­e­my ». Je n’étais au courant de rien du tout. En revoy­ant cer­taines séquences, j’ai com­pris pourquoi cer­taines per­son­nes pen­saient que je savais ce qui se pas­sait à l’extérieur. Il y a plein de dis­cours que j’ai pu avoir dans le château qui étaient comme des répons­es à cette haine. En fait, je par­lais sim­ple­ment de mes trau­mas d’enfance.

À la sor­tie de la « Star Ac », je suis tombée sur une vidéo de l’influenceuse Sal­ly. Elle a fait un review de tous les com­men­taires me con­cer­nant pen­dant la « Star Ac » et là, j’ai tout vu. C’est la seule fois où j’ai pris les choses vrai­ment bru­tale­ment. J’ai fait une petite crise pen­dant deux jours, puis c’est passé. J’ai une par­tie de moi rem­plie de ten­dresse pour les autres, et une autre où je ren­tre chez moi et je tombe sur des dingueries sur les réseaux soci­aux. Face à ça, je peux com­pren­dre que cer­taines per­son­nes réagis­sent d’une manière plus vir­u­lente. Mais mon père et ma mère m’ont tou­jours trans­mis cette édu­ca­tion d’amour et de paix. C’est impor­tant pour moi de ne pas entr­er dans le jeu des racistes et de celles et ceux qui répan­dent la haine.


« Mon père et ma mère m’ont tou­jours trans­mis une édu­ca­tion d’amour et de paix. C’est impor­tant pour moi de ne pas entr­er dans le jeu des racistes et de celles et ceux qui répan­dent la haine. »

Ebony

La drag queen Soa de Muse de la pre­mière édi­tion de « Drag Race France » a témoigné5Estelle Ndjand­jo, « Queens et Noires : com­ment les clichés racistes s’infiltrent jusque sur les scènes du drag », Medi­a­part, 29 juin 2023. du racisme dont elle fai­sait l’objet lors de la tournée qui avait suivi l’émission. Keiona, avez-vous vécu une expéri­ence sim­i­laire ?

KEIONA Je n’en ai pas le sou­venir. Mais en par­lant avec d’autres can­di­dates de « Drag Race », je me suis ren­du compte que cer­taines per­son­nes ne savent pas inter­a­gir avec nous ou avec notre art. Il y a des remar­ques et des gestes qui ne sont pas malveil­lants, mais plutôt igno­rants. La vraie fatigue, c’est de devoir édu­quer les gens, alors que tout est disponible sur les réseaux pour s’informer.

De toute manière, avoir des haters, ça fait vrai­ment par­tie d’une suc­cess sto­ry. Moi, j’ai tou­jours dit à mes copines : « Si vous n’avez pas de haters, you’re not doing it right [vous ne le faites pas bien]. » Il faut avoir des haters, c’est vrai­ment un moteur. Quand je me lève, je vais voir des com­men­taires négat­ifs sur les réseaux et je me dis : « Je vais encore écrire une belle chan­son aujourd’hui. »

EBONY Je suis allée voir des com­men­taires sous les vidéos du con­cert à Lille. Ils dis­ent tou­jours : « Pourquoi elle a fait du ciné­ma ? Elle n’a jamais subi de racisme ! » Sincère­ment, qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Il y a des gens qui nient le racisme présent en France. Qui veu­lent que tout soit beau, sauf que ce n’est pas la vérité. Cer­taines per­son­nes vivent dans une bulle, avec des ressources d’information lim­itées et des œil­lères.


« Il y a des remar­ques et des gestes qui ne sont pas malveil­lants, mais plutôt igno­rants. La vraie fatigue, c’est de devoir édu­quer les gens. »

Keiona

Avant le suc­cès à « Drag Race », c’est sur la scène de la ball­room que vous avez émergé, Keiona. Avez-vous le sen­ti­ment que cet univers que vous avez fréquen­té ces dix dernières années est aujourd’hui devenu main­stream ?

KEIONA Oui, mais ce n’est pas si mal. Énor­mé­ment de per­son­nes dans la scène ball­room béné­fi­cient de cette expo­si­tion, que ce soit dans des séries télé, des doc­u­men­taires ou des créateur·ices de mode. Ces gens sont crédités et payés pour leur art. Bey­on­cé, qu’on appré­cie beau­coup, a basé son esthé­tique sur la scène ball­room bien avant l’album Renais­sance. Les clips Crazy in Love et Freakum Dress par exem­ple sont très ball­room cod­ed. Les artistes noir·es de la com­mu­nauté queer de New York, avec qui elle a tra­vail­lé, y sont pour beau­coup. Notre univers reste préservé. Il y a des règles. Il y a des par­ties de la per­for­mance qu’on ne peut pas filmer, des choses qu’on ne peut pas dire, des choses qu’on ne peut pas faire. On a un·e MC [maître·sse de céré­monie]. Tout est sacré et céré­mo­ni­al. On a vrai­ment créé un safe space. On ne va pas inviter le petit mec blond bour­ré, qui vient avec sa bière sur le dance­floor et la ren­verse partout. Ce n’est pas un night-club ! On est bien obligé·es de pro­téger notre espace, c’est le con­tre­coup de l’exposition.

Ebony lors de la finale de la « Star Academy » sur TF1, le 25 janvier 2025.
Ebony lors de la finale de la « Star Acad­e­my » sur TF1, le 25 jan­vi­er 2025. JP PARIENTE / SIPA

Est-ce qu’il y a, au sein des équipes de pro­duc­tion des émis­sions aux­quelles vous avez par­ticipé, une con­science des enjeux raci­aux ?

KEIONA Pas com­plète­ment, mais il y a un effort qui est fait quand même pour pro­téger au max­i­mum les can­di­dats et les can­di­dates. Per­son­nelle­ment, dans toutes les émis­sions aux­quelles j’ai par­ticipé, j’ai essayé de plac­er mes pio­ns : j’exprimais claire­ment les choses que je n’aimais pas, ce que je voulais porter, ce que je ne voulais pas porter.

EBONY Les pro­duc­tions met­tent à notre dis­po­si­tion des inter­mé­di­aires [attaché·es de presse ou respon­s­ables des rela­tions publiques] qui nous vien­nent en aide et nous accom­pa­g­nent. D’ailleurs il me sem­ble que nous avons les mêmes toutes les deux [Keiona acqui­esce]. Il y a tou­jours des per­son­nes bien­veil­lantes qui peu­vent faire pass­er un mes­sage à la pro­duc­tion si quelque chose nous dérange. Je pense que les ques­tions raciales dépassent le cer­cle de nos émis­sions de télé. Glob­ale­ment, per­son­ne n’est bien for­mé sur ce sujet.


« Les ques­tions raciales dépassent le cer­cle de nos émis­sions de télé. Glob­ale­ment, per­son­ne n’est bien for­mé sur ces sujets. »

Ebony

Vu les poli­tiques dis­crim­i­na­toires qu’il promeut, le chef de l’État lui-même ne sem­ble pas bien au fait de ces ques­tions. Keiona, regret­tez-vous la per­for­mance que vous avez don­née à l’Élysée, en 2018, en com­pag­nie du DJ Kid­dy Smile, à l’occasion de la Fête de la musique ?

KEIONA Pas du tout ! Je regrette juste de ne pas être venue en drag ce jour-là. La voiture est venue me chercher directe­ment au tra­vail, direc­tion le palais de l’Élysée et je n’ai pas eu le temps de me pré­par­er. C’est le genre de choses qu’il faut faire pour mon­tr­er aux gens à quel point nos exis­tences sont réelles. Nous voir per­former avec Kid­dy sur le per­ron de l’Élysée, ça a fait réalis­er aux Français et aux Français­es qu’il y a vrai­ment des per­son­nes queers et racisées bookées à l’Élysée. Ce n’est pas une fable. Brigitte Macron nous a accueilli·es, elle a été super sym­pa. Le mes­sage, c’était de dire : « Nous sommes des artistes. Nous avons notre place sur l’échiquier poli­tique et dans cet espace. Nous exis­tons aus­si en tant que citoyen·nes et nous votons. » De plus, l’événement était car­i­tatif. C’est l’unique rai­son qui nous a poussé·es à accepter l’invitation.

Le 21 juin 2018, le DJ Kiddy Smile (aux platines) se produit à l’Élysée pour la Fête de la musique. L’invitation ulcère la droite et l’extrême droite. « Le message, c’était de dire : nous avons notre place sur l’échiquier politique et dans cet espace », rappelle Keiona, qui faisait partie des danseur·euses (tout à droite).
EPA / CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL MAXPPP OUT
Le 21 juin 2018, le DJ Kid­dy Smile (aux platines) se pro­duit à l’Élysée pour la Fête de la musique. L’invitation ulcère la droite et l’extrême droite. « Le mes­sage, c’était de dire : nous avons notre place sur l’échiquier poli­tique et dans cet espace », rap­pelle Keiona, qui fai­sait par­tie des danseur·euses (tout à droite).
EPA / CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL MAXPPP OUT

EBONY Cette per­for­mance à la Fête de la musique a eu un impact sur beau­coup de monde, dont moi. J’étais en troisième. Je me sou­viens avoir vu les pho­tos et m’être dit : « Waow, c’est iconique ! »

KEIONA Nous avons aus­si reçu beau­coup de mes­sages de haine à la suite de cette per­for­mance. Après le show, je suis rapi­de­ment ren­trée chez moi. J’ouvre Twit­ter et je vois les com­men­taires. Je me rends compte que beau­coup de gens n’ont pas aimé qu’on soit là. J’ai vu des posts com­para­nt la venue de la reine d’Angleterre sur le per­ron de l’Élysée et notre per­for­mance sur le même per­ron… Sincère­ment, quel intérêt de com­par­er ces deux événe­ments ?

Est-ce que vous assumez égale­ment d’avoir par­ticipé au clip con­tre les LGBT­pho­bies com­mandé par le gou­verne­ment de Gabriel Attal en 2024 ?

KEIONA Ma présence peut déranger dans cer­tains espaces, qui sont à la base des espaces blancs ou pas fait pour des per­son­nes queers. J’ai con­fi­ance en moi, et quand j’arrive dans mon look, avec ma façon de par­ler, ça dérange. Pren­dre la parole pour ces caus­es-là, qui me tien­nent à cœur, à moi et à ma com­mu­nauté, je pense que c’est hyper impor­tant. Nous, per­son­nes queers racisées, nous ne sommes pas des dis­trac­tions. Nous exis­tons et nous mourons. En France, il y a des gens qui meurent parce qu’ils sont gays.


« Nous, per­son­nes queers racisées, nous ne sommes pas des dis­trac­tions. Nous exis­tons et nous mourons. »

Keiona

Ebony, les attaques que vous avez subies ont con­tribué à pop­u­laris­er le con­cept de mysogi­noir6Le terme «misog­y­noir» décrit une forme de dis­crim­i­na­tion, à l’égard des femmes noires spé­ci­fique­ment, qui com­bine misog­y­nie et racisme. Con­sul­ter notre glos­saire. Est-ce un terme que vous utilisez et défend­ez ? Et vous Keiona, en tant que drag, que vous évoque ce terme ? Craignez-vous d’être car­i­caturées en angry black women, des femmes noires en colère ?

EBONY Moi, j’ai tou­jours été con­sid­érée comme une femme noire en colère. J’avais vague­ment enten­du par­ler de misog­y­noir à pro­pos d’Aya Naka­mu­ra, avant ce qui m’est arrivé à la « Star Acad­e­my ». Je ne suis pas allée m’informer, j’ai très mal com­pris ce que ça voulait dire, j’ai eu une prise de con­science tar­dive. C’est dif­férent quand les choses nous arrivent à nous. Et puis j’ai eu des flash-back de toutes les sit­u­a­tions où, en fin de compte, j’ai été con­fron­tée à de la misog­y­noir. J’ai pu met­tre des mots sur ces sit­u­a­tions. Alors aujourd’hui c’est un mot que je défends, bien sûr.

KEIONA Le stéréo­type de la femme noire en colère est très réduc­teur pour toutes les per­son­nes noires et fem [femmes]. C’est une pro­jec­tion de ce que les gens veu­lent voir de nos corps, de nos arts et de ce qu’on représente. C’est comme si on était toutes la même per­son­ne, alors que toutes les femmes noires sont dif­férentes.

Au ball La Récré, à L’Alimentation générale à Paris, en avril 2018. Keiona, mother de la House of Revlon, est sur le point de réaliser un dip. Cette figure emblématique du voguing consiste 
à tomber au sol sur le dos, une jambe repliée et l’autre tendue en l’air.
Photo publiée dans le portfolio 
de La Déferlante no 10, mai 2023.
Teresa Suárez
Au ball La Récré, à L’Alimentation générale à Paris, en avril 2018. Keiona, moth­er de la House of Revlon, est sur le point de réalis­er un dip. Cette fig­ure emblé­ma­tique du vogu­ing con­siste à tomber au sol sur le dos, une jambe repliée et l’autre ten­due en l’air. Pho­to de Tere­sa Suárez pub­liée dans le port­fo­lio de La Défer­lante no 10, mai 2023.

Kova Rea, drag queen noire âgée d’une soix­an­taine d’années, regrette le manque de trans­mis­sion intergénéra­tionnelle par­mi les drags noires. Com­ment vous sai­sis­sez-vous de cette ques­tion, Keiona ? Quel con­seil de grande sœur souhai­teriez-vous don­ner à Ebony ?

KEIONA C’est un con­seil que je donne à mes filles [lire l’encadré ci dessous]. J’ai des filles trans, des filles drags, des filles queers aus­si. Le con­seil que je leur donne, c’est de ne jamais, jamais, jamais s’excuser d’être elles-mêmes. Ebony, tu as mal­heureuse­ment vécu un con­cen­tré de haine dans un espace-temps réduit à la « Star Ac », mais ne doute pas de toi, parce que nous, on a besoin de qui tu es et de ce que tu représentes. Les futures généra­tions, qui vont venir après toi, vont regarder tout ce que tu as fait, tout ce que tu as dit, dont cette inter­view avec La Défer­lante, mais aus­si tes chan­sons et tes per­for­mances. Il faut vrai­ment met­tre ton essence, ton authen­tic­ité dans ton art, parce que c’est ça qui fait qu’on t’aime. •

Aux origines de la ballroom

La ball­room est un mou­ve­ment cul­turel d’expression queer qui émerge dans les clubs de la scène under­ground gay afro et lati­no de New York au cours des années 1980. La ball­room est organ­isée en house (mai­son), à la tête desquelles se trou­vent des « mères » (moth­ers) qui pren­nent sous leur aile les per­son­nes moins expéri­men­tées, qui devi­en­nent leurs « filles » (daugh­ters).

Les maisons se défient dans le cadre de balls (bals) où les participant·es per­for­ment dans dif­férentes caté­gories – Real­ness, où on juge leur capac­ité à se fon­dre dans la norme des hommes ou des femmes cis hétéro­sex­uelles, ou Bizarre qui porte sur la créa­tiv­ité des cos­tumes… Ces caté­gories peu­vent inclure le drag et la danse. C’est au sein de la cul­ture de la ball­room que le danseur Willi Nin­ja pop­u­larise le vogu­ing : cette danse con­siste à imiter les pos­es de mag­a­zines de mode jusqu’à l’outrance et au maniérisme. Le grand pub­lic la décou­vre avec le clip Vogue, que signe Madon­na en 1990.

En 1991, le film Paris is burn­ing de Jen­nie Lev­ingston immor­talise ces com­mu­nautés racisées et queers mar­gin­al­isées. En France, la scène ball­room émerge à la fin des années 2010 à Paris avec des performeur·euses
afro-descendant·es comme le DJ Kid­dy Smile, Nik­ki Guc­ci ou encore Maty­ouz. Des balls sont organ­isés
au Car­reau du Tem­ple ou encore à la Gaîté lyrique.

Entre­tien et pho­tos réalisé·es dans l’exposition « Paris noir. Cir­cu­la­tions artis­tiques et luttes anti­colo­niales (1950–2000) », au Cen­tre Pom­pi­dou, le 1er avril 2025.

  • 1
    Paint est un média numérique créé par Aline et Cédric Feito, jumelle et jumeau et par ailleurs homosexuel·les. Il entend don­ner plus de vis­i­bil­ité à la com­mu­nauté LGBTQIA+ fran­coph­o­ne.
  • 2
    Un rab­bit hole ou « ter­ri­er de lapin » est un phénomène des réseaux soci­aux : les utilisateur·ices sont entraîné·es dans des séquences de con­tenus cap­ti­vantes sans fin.
  • 3
    Le lip sync ou « syn­chro­ni­sa­tion faciale » est l’une des per­for­mances de la scène drag : il s’agit de chanter en play-back de façon syn­chro­nisée.
  • 4
    Plusieurs hommes ont accusé Michael Jack­son de les avoir soumis à des vio­lences sex­uelles quand ils étaient enfants. Dans un cas, une trans­ac­tion à l’amiable lui a évité le procès ; dans l’autre, il a été acquit­té. Les deux derniers témoignages sont inter­venus après sa mort, en 2009.
  • 5
    Estelle Ndjand­jo, « Queens et Noires : com­ment les clichés racistes s’infiltrent jusque sur les scènes du drag », Medi­a­part, 29 juin 2023.
  • 6
    Le terme «misog­y­noir» décrit une forme de dis­crim­i­na­tion, à l’égard des femmes noires spé­ci­fique­ment, qui com­bine misog­y­nie et racisme. Con­sul­ter notre glos­saire

Les mots importants

Misogynoir

Ce terme a été con­cep­tu­al­isé par la chercheuse et...

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Estelle Ndjandjo

Estelle Ndjandjo est journaliste chez Arrêts sur images, et collabore avec de nombreux autres médias. Également porte-parole de l’AJAR (l’association des journalistes antiracistes et racisées), elle co-signe l’enquête sur les VSS commises contre les femmes noires dans les milieux culturels. Voir tous ses articles

Pour une éducation qui libère !

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°18 Édu­quer, parue en mai 2025. Con­sul­tez le som­maire.


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