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À quand un musée des féminismes en France ?

Mal­gré les promess­es d’hommes et de femmes poli­tiques de gauche comme de droite depuis vingt-cinq ans, aucun musée de l’histoire des femmes n’a encore vu le jour en France. Une ver­sion recen­trée sur les fémin­ismes pour­rait ouvrir à Angers, mais pas avant 2030. Pourquoi un tel retard ? Enquête sur presque trois décen­nies d’enlisement.
Publié le 27/01/2025

Modifié le 24/04/2025

illustration Camille Jacquelot pour La Déferlante Illustratrice de presse. Son travail est surtout porté par les questions écologiques et sociales.
Camille Jacquelot pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.

C’est une expo­si­tion atten­due de longue date. De la marche des femmes sur Ver­sailles en octo­bre 1789 au défilé du 8 mars 1978 à Madrid, on y ver­ra deux siè­cles de man­i­fes­ta­tions fémin­istes.

Avec l’exposition « Les femmes sont dans la rue ! Révolte, sub­ver­sion, éman­ci­pa­tion », du 27 févri­er au 22 juin 2025 au cœur de la Bib­lio­thèque uni­ver­si­taire (BU) Belle-Beille à Angers (Maine-et-Loire), l’Association pour un musée des fémin­ismes (AFé­Muse) espère pos­er la pre­mière brique, solide et pérenne, du musée pour lequel elle œuvre.

Chris­tine Bard, enseignante-chercheuse en his­toire, angevine, à l’origine du pro­jet, veut y croire : « Cette expo­si­tion, comme ce musée, mon­tr­era les enjeux poli­tiques, soci­aux, cul­turels con­tem­po­rains et his­toriques qui ont façon­né et façon­nent encore l’émancipation des femmes. » L’ouverture du musée a été annon­cée pour 2027, mais toute date paraît incer­taine tant le pro­jet sem­ble aus­si peu soutenu poli­tique­ment que financièrement.eto

Retour en jan­vi­er 2021 : la BU Belle-Beille se voit accorder une enveloppe de 9,8 mil­lions d’euros pour sa réno­va­tion, dans le cadre du con­trat de plan État-Région Pays de la Loire. Nathalie Clot, direc­trice du ser­vice doc­u­men­taire et d’archives de l’université d’Angers, saisit l’occasion pour ajouter une ligne dans le con­trat budgé­taire : « Don­ner à voir le Cen­tre des archives du fémin­isme ». Ce fonds, créé par Chris­tine Bard en 2001 et dirigé par Nathalie Clot depuis 2013, com­porte aujourd’hui 400 mètres linéaires d’archives fémin­istes privées français­es, de toutes sen­si­bil­ités, et fait d’Angers l’un des épi­cen­tres de la con­ser­va­tion de ces luttes.

« Une fois le finance­ment obtenu, j’ai demandé à Chris­tine Bard : “Est-ce que tu as des idées ?”, racon­te Nathalie Clot. Elle m’a répon­du : “Il faut faire un musée, sinon d’autres le fer­ont avant nous.” »

Chris­tine Bard se mobilise dès les années 2000 pour un musée fémin­iste. « Il y a vingt ans, la France avait déjà vingt ans de retard sur les autres pays », souligne-t-elle. Avec d’autres his­to­ri­ennes, elle lance en 2002 l’association La Cité des femmes. Le 8 mars de cette année-là, le maire social­iste de Paris, Bertrand Delanoë, et sa pre­mière adjointe chargée de l’égalité femmes-hommes, Anne Hidal­go, promet­tent l’ouverture d’un musée d’histoire des femmes. Mais le pro­jet n’obtient aucun bud­get. « Face à la pres­sion des asso­ci­a­tions de ter­rain », assure Hélène Bidard, adjointe à l’égalité femmes-hommes à la mairie de Paris, c’est finale­ment « un lieu tourné vers l’aide d’urgence et le sou­tien juridique pour les femmes vic­times de vio­lences qui s’est dess­iné avec l’ouverture de la Cité auda­cieuse en [mars] 2020 », dans le 6e arrondisse­ment parisien. L’association La Cité des femmes se dis­sout en 2004, cer­taines de ses mem­bres préférant con­sacr­er leurs forces à la créa­tion d’un musée en ligne, qui « n’a pas eu tant de vis­ites que ça », regrette Chris­tine Bard.

Le temps muséal, déjà long d’ordinaire, l’est encore davan­tage pour des sujets longtemps évac­ués des recherch­es uni­ver­si­taires. Ain­si, Con­stance Riv­ière, direc­trice générale du palais de la Porte-Dorée, rap­pelle que, pour le Musée nation­al de l’Histoire de l’immigration, « il a fal­lu des années entre la pre­mière idée, qui émerge au début des années 1990, et le moment où le musée ouvre, en 2007 » : « Le lieu cul­turel vient for­cé­ment après la pen­sée et la recherche. L’immigration, comme les femmes, a longtemps été écartée comme objet his­torique. Or, sans ce tra­vail, il ne peut pas y avoir de musée puisque ce qu’on expose repose sur l’approche sci­en­tifique. » Julie Botte, autrice d’une thèse sur les musées « de femmes », abonde : « La ques­tion de l’histoire des femmes entre à l’université dans les années 1980. C’est simul­tané­ment que l’on voit appa­raître les pre­miers musées sur ces sujets. » Chris­tine Bard con­firme : « Si l’on crée un lieu, c’est pour mon­tr­er qu’il y a une his­toire, une mémoire et des archives à préserv­er. » C’est pourquoi il aura fal­lu atten­dre l’arrivée des études sur le genre en France, au début des années 2010 (1), pour qu’enfin une struc­ture muséale puisse être pen­sée.

Faire cohabiter des courants variés

Près de deux décen­nies après la pre­mière ten­ta­tive de La Cité des femmes, la fuite dans la presse de la future annu­la­tion de l’arrêt Roe vs Wade aux États-Unis (2) pousse Mag­a­li Lafour­cade, mag­is­trate à la Com­mis­sion nationale con­sul­ta­tive des droits de l’homme, à pub­li­er dans Le Monde (3) une tri­bune pour l’ouverture d’un musée des con­quêtes fémin­istes – sans avoir con­nais­sance du pro­jet ini­tial de Chris­tine Bard. « Je me dis­ais : “Il faut absol­u­ment un lieu qui insti­tu­tion­nalise les con­quêtes fémin­istes de façon à ce que, ensuite, il soit très dif­fi­cile de revenir dessus” », racon­te la mag­is­trate. Mag­a­li Lafour­cade et Chris­tine Bard se ren­con­trent et créent en octo­bre 2022 l’Association pour un musée des fémin­ismes (AFé­Muse). L’historienne est alors com­mis­saire de l’exposition « Parisi­ennes Citoyennes ! » au Musée Car­navalet, qui, avec plus de 90 000 visiteur·euses, est un suc­cès. « Cette expo a mon­tré la puis­sance que peut recel­er un musée des fémin­ismes », s’enthousiasme Mag­a­li Lafour­cade.


« Il faut absol­u­ment un lieu qui insti­tu­tion­nalise les con­quêtes fémin­istes de façon à ce que, ensuite, il soit très dif­fi­cile de revenir dessus. »

Mag­a­li Lafour­cade, mag­is­trate à la Com­mis­sion nationale con­sul­ta­tive des droits de l’homme



Tan­dis que l’ancienne juge d’instruction s’attelle à « installer le pro­jet dans le paysage poli­tique en faisant le tour des min­istères con­cernés », son binôme toque aux portes d’institutions fémin­istes. Pour Lau­ra Sli­mani, direc­trice du pôle Pro­jets de la Fon­da­tion des femmes, « Chris­tine Bard, en tant qu’historienne recon­nue, offre des gages de sérieux et de crédi­bil­ité au pro­jet ».

« Il y a une grosse dif­férence entre ce nou­veau pro­jet et celui de 2002, souligne Chris­tine Bard. Le pre­mier por­tait sur l’histoire des femmes en général et devait se réalis­er à Paris, quand le deux­ième est un musée des fémin­ismes, à Angers. » Ce dernier se veut mod­u­la­ble en fonc­tion des change­ments socié­taux. Il compte faire « enten­dre divers points de vue », selon les mots de sa future direc­trice pressen­tie, Chris­tine Bard. Cette volon­té se retrou­ve dès le nom du musée : « des fémin­ismes » : « Le pluriel con­tribue à ancr­er la légitim­ité du mot et du com­bat qui l’accompagne et à met­tre l’accent sur sa diver­sité. »

L’exposition tem­po­raire de pré­fig­u­ra­tion de 2025, dirigée par l’historienne Ludi­vine Bantigny, don­nera déjà des indi­ca­teurs. « Les femmes présen­tées le seront dans une démarche inter­sec­tion­nelle, promet-elle. Il est impor­tant de don­ner à voir la diver­sité des mobil­i­sa­tions et des pro­tag­o­nistes : les luttes les­bi­ennes, celles con­tre le racisme et le colo­nial­isme, mais aus­si les luttes chi­canas des peu­ples autochtones d’Amérique latine. »

Pour faire cohab­iter des courants fémin­istes var­iés, l’association a mis en place au début de 2024 un comité sci­en­tifique. Ce col­lec­tif bénév­ole regroupe 28 per­son­nes spé­cial­isées en his­toire des femmes, de la cul­ture et des insti­tu­tions cul­turelles et muséales, mais aus­si des représentant·es de la société civile et des artistes – la plas­ti­ci­enne guade­loupéenne Minia Biabi­any, la dessi­na­trice et pho­tographe fran­co-gabonaise Maya Mihin­dou ou encore l’artiste et médiéviste Clo­vis Mail­let…
Le comité compte égale­ment dans ses mem­bres Nicole Fer­nán­dez Fer­rer, coprési­dente du cen­tre audio­vi­suel Simone de Beau­voir et experte en archives audio­vi­suelles. Le cen­tre four­nit qua­tre films et vidéos qui seront présen­tés lors de la pre­mière expo­si­tion.
En revanche, la bib­lio­thèque Mar­guerite Durand (4), autre gar­di­enne his­torique des archives fémin­istes, n’y est pas asso­cié. Car­ole Chabut, direc­trice de la bib­lio­thèque, regrette qu’« aucun parte­nar­i­at n’ait été for­mal­isé ». « Un tra­vail de réseau et de col­lec­tif autour de l’idée d’un musée d’ambition nationale aurait dû s’amorcer avant l’annonce, con­cède Nathalie Clot. Nous pen­sions que la rela­tion nouée dans le cadre de l’association Archives du fémin­isme suf­fi­rait à nous fédér­er. »

Dif­fi­cile d’imaginer une expo­si­tion fémin­iste sans les fonds parisiens, ce que recon­naî­tra d’ailleurs le con­seil sci­en­tifique de l’AFéMuse, en févri­er 2024 : aucune « expo­si­tion n’est pos­si­ble sur le fémin­isme sans faire appel aux struc­tures essen­tielles de la bib­lio­thèque Mar­guerite-Durand ».

Collecter et exposer

Au début de l’année 2023, le pro­jet de musée n’a « ni busi­ness plan, ni pro­jet cul­turel et sci­en­tifique » d’après les respon­s­ables de l’AFéMuse. Pour­tant, l’achat d’une pre­mière œuvre est l’acte fon­da­teur du Musée des Fémin­ismes français.

Il s’agit de Mme Maria Vérone à la tri­bune, réal­isée par le pein­tre et illus­tra­teur de presse Léon Fau­ret en 1910. « On y voit Maria Vérone, fémin­iste de la pre­mière vague en France, en train de plaider pour renom­mer la Déc­la­ra­tion des droits “de l’homme et du citoyen” par droits “humains”, décrit Mag­a­li Lafour­cade. Raris­sime tableau non sex­iste, c’est le seul qui donne à voir les suf­fragettes français­es et leurs impli­ca­tions poli­tiques. » Un finance­ment par­tic­i­patif récolte les 21 000 euros néces­saires en quelques jours. L’œuvre attend son heure dans les réserves des Beaux-Arts d’Angers.

Puis, à l’été 2023, l’association AFé­Muse et le cen­tre audio­vi­suel Simone de Beau­voir lan­cent une col­lecte nationale d’objets util­isés en man­i­fes­ta­tion. Foulards verts d’une asso­ci­a­tion argen­tine, imposante ban­de­role jaune de la Coor­di­na­tion les­bi­enne en France ou frag­ile pan­car­te car­ton­née col­orée de dra­peaux de la com­mu­nauté queer : la pre­mière récolte est présen­tée six mois plus tard à la Cité auda­cieuse. Ce tableau et ces objets fer­ont par­tie des col­lec­tions du futur musée. « On a récupéré plein d’objets gyné­cologiques, essen­tiels à la con­tra­cep­tion des per­son­nes men­struées. Com­ment expos­er, sans le détéri­or­er, un diaphragme des années 1970 ? Ce ne sont pas les con­ser­va­teurs du Lou­vre qui vont pou­voir nous répon­dre », iro­nise Nathalie Clot, con­sciente des ques­tions que soulève la con­ser­va­tion de telles pièces.

Des musées féministes partout dans le monde depuis 1945

Du Séné­gal à l’Écosse, en pas­sant par le Viet­nam et la Zam­bie, 101 musées de l’histoire des femmes ou des fémin­ismes, du genre ou de l’histoire des femmes exis­tent, dans 35 pays. « Le pre­mier musée des femmes est créé aux États-Unis, il est con­sacré à une mil­i­tante fémin­iste, Susan B. Antho­ny, mais il racon­te aus­si un mou­ve­ment mil­i­tant plus large, souligne l’historienne de l’art Julie Botte, autrice d’une thèse sur les musées de femmes. Dans les années 1980, on voit appa­raître des lieux fémin­istes partout dans le monde. Ils sont à chaque fois portés par un groupe de per­son­nes dis­crim­inées qui s’emparent de l’institution “musée” pour devenir vis­i­bles et légitimes. »

À la Women’s Library de Glas­gow (Roy­aume-Uni), une bib­lio­thèque pro­pose une large col­lec­tion d’ouvrages fémin­istes en plusieurs langues. Les respon­s­ables du musée créent plusieurs expo­si­tions tem­po­raires par an avec un ancrage local en s’alliant aux asso­ci­a­tions écos­sais­es.

À Aarhus, deux­ième ville du Dane­mark, le Musée des Femmes, ouvert en 1982, est devenu Musée du Genre en 2021. Il pro­pose des expo­si­tions tem­po­raires et per­ma­nentes qui expliquent
la con­struc­tion du genre dans l’enfance
en exposant des objets du quo­ti­di­en.

Accumulation de retards

Tout reste par ailleurs à faire au sujet de la médi­a­tion muséale, pri­mor­diale dans une telle struc­ture, et pour laque­lle aucun finance­ment n’est encore prévu. Pour Con­stance Riv­ière, « quand on est un lieu de trans­mis­sion sur des sujets sen­si­bles et com­plex­es, les publics peu­vent avoir des préjugés et des peurs. La médi­a­tion per­met d’ouvrir le dia­logue ».

Quant au recrute­ment d’une chargée de pro­jet pour l’exposition de 2025, il com­mençait tout juste fin 2024. Des retards dont Nathalie Clot tire une pre­mière con­clu­sion : « Il y avait une forme d’opportunisme à courte vue de ma part. J’ai vu la pos­si­bil­ité de com­pléter un bud­get d’investissement, sans cal­culer les bud­gets de fonc­tion­nement à long terme. Tout est cher dans cet exer­ci­ce-là : une sim­ple expo avec des objets pat­ri­mo­ni­aux, c’est 18 mois de pré­pa­ra­tion et ça coûte facile 100 000 euros, alors un musée… ».

C’est la réno­va­tion de la BU d’Angers qui a fait naître ce pro­jet au cœur d’une uni­ver­sité, mais trans­former une par­tie de la bib­lio­thèque en musée est une mis­sion de grande enver­gure. « Notre cul­ture, à la BU, c’est qu’on y entre comme dans un moulin, explique Nathalie Clot. Pour une expo­si­tion d’objets prêtés par des musées, on se met tout d’un coup à par­ler con­trôle d’accès, gar­di­en­nage. Les pas­sages jour­naliers devi­en­nent presque un prob­lème ! » Cather­ine Pas­sir­ani, vice-prési­dente Égal­ité de l’université d’Angers, com­plète : « Trans­former [les locaux de la BU] en musée demande de nom­breux amé­nage­ments que nous n’avions pas éval­ués à leur juste valeur. » *

Or, le min­istère de l’Enseignement supérieur ne peut les financer. « Il n’y a pas de bud­get pour des poli­tiques muséales dans les uni­ver­sités », se désole Nathalie Clot ; Chris­tine Bard rap­pelle que les uni­ver­sités aus­si sont frap­pées par « l’austérité économique, avec une réduc­tion de 30 % des bud­gets pour l’année 2024–2025 ». Signe du peu d’enthousiasme que le pro­jet soulève du côté des insti­tu­tions, le min­istère de l’Éducation nationale a refusé de répon­dre à nos ques­tions, tout comme celui de l’Enseignement supérieur qui nous a ren­voyé vers celui de la Cul­ture. Après des mois d’attente, ce dernier n’a finale­ment pas don­né suite.

Le sou­tien insti­tu­tion­nel a fail­li se con­cré­tis­er : l’inscription du futur musée dans le plan inter­min­istériel pour l’égalité 2023–2027 a ravivé l’espoir de finance­ments éta­tiques pour quelques années, mais l’instabilité poli­tique depuis l’été 2024 n’a pas per­mis la mise en appli­ca­tion des dis­po­si­tions du plan. Une fois l’annonce de cette inscrip­tion passée, les min­istères de la Cul­ture, de l’Égalité et de l’Enseignement supérieur se ren­voient la balle. « L’État n’a pas d’argent mais sait en trou­ver quand la volon­té poli­tique est là », con­teste Nathalie Clot, évo­quant les 234 mil­lions d’euros alloués à la créa­tion de la Cité inter­na­tionale de la langue française entre 2018 et 2023.

Avec des insti­tu­tions qui offrent si peu de garanties, la fais­abil­ité du musée dépend désor­mais de finance­ments privés. Mag­a­li Lafour­cade, qui s’attelle à en trou­ver depuis 2023, se rend à l’évidence : « Ce sont encore les vieux mâles blancs qui finan­cent le monde. Les financeurs privés avec une approche human­iste sont peu nom­breux et le mot “fémin­isme” fait peur. »

Les sub­ven­tions de la Fon­da­tion des femmes (80 000 euros), des min­istères de l’Égalité et de la Cul­ture (50 000 euros cha­cun) restent insuff­isantes. En févri­er 2024, l’AFéMuse avait éval­ué les besoins financiers pour garan­tir l’ouverture du musée à 2,5 mil­lions d’euros, assor­tis de 250 000 euros annuels. L’espoir d’obtenir un sou­tien du min­istère de l’Enseignement supérieur et du min­istère de l’Éducation nationale ain­si que de la région Pays de la Loire s’amenuise dans le con­texte poli­tique actuel. En décem­bre 2024, Nathalie Clot se résig­nait : « [Avec les seuls finance­ments d’amorçage], l’horizon 2027 n’est plus envis­age­able et les efforts se con­cen­trent désor­mais unique­ment sur l’exposition de pré­fig­u­ra­tion en 2025. »

Enlisement et questions sans réponses

Un autre élé­ment remet en ques­tion la fais­abil­ité du pro­jet : sa local­i­sa­tion. Aucun bud­get n’est attribué à la com­mu­ni­ca­tion sur ce sujet ; la direc­trice de la BU d’Angers s’interroge : « Qui vien­dra dans une bib­lio­thèque uni­ver­si­taire au fin fond d’une zone d’urbanisation pri­or­i­taire, au bout d’une ligne de tramway, dans une ville de province de droite, loin de Paris ? »

Le pro­jet de musée s’enlise et l’équipe se lasse. Au print­emps 2024, l’association AFfé­Muse se réor­gan­ise. Le tré­sori­er, Damien Hamard, quitte le pro­jet pour se con­sacr­er à ses fonc­tions de directeur adjoint de la BU d’Angers chargé du Cen­tre d’archives des fémin­ismes. Il évoque « des con­flits d’intérêts » entre son engage­ment asso­ci­atif et son emploi à l’université et « un rôle de relais qui s’est com­pliqué au fil des mois ». Mag­a­li Lafour­cade, cofon­da­trice et prési­dente de l’association, a elle aus­si quit­té ses fonc­tions (5).

À la tête de ce pro­jet depuis des années, Chris­tine Bard fait l’objet de cri­tiques. Plusieurs ancien·nes collaborateur·ices (qui n’ont pas souhaité que leurs noms soient men­tion­nés) cri­tiquent sa « main­mise ». Comité opéra­tionnel, comité dons et acqui­si­tions, comité de pilotage, l’historienne s’est investie à tous les niveaux : « Ce musée compte beau­coup dans ma vie », admet l’historienne, qui pré­cise qu’il s’agit d’une « ini­tia­tive col­lec­tive avec des gens très motivés ».

Les ques­tions sans répons­es se mul­ti­plient. L’université d’Angers doit-elle con­tin­uer à porter ce pro­jet ? Un sou­tien éta­tique est-il pos­si­ble ? Les équipes de l’AFéMuse et de l’université d’Angers atten­dent le bilan de l’exposition à l’été 2025. Nathalie Clot imag­ine désor­mais « une BU rénovée façon tiers-lieu, avec un bel espace cen­tral con­sacré à une expo­si­tion tem­po­raire annuelle qui don­nerait à voir les enjeux de l’histoire des luttes fémin­istes au prisme des col­lec­tions con­servées par le Cen­tre des archives du fémin­isme et par nos parte­naires ».

Un beau pro­jet, mais bien loin d’un musée nation­al à la hau­teur des luttes sociales fémin­istes. Nathalie Clot se ras­sure : « J’espère que ce que nous arriverons à faire vivre, année après année, dans notre coin de BU, con­tribuera à nour­rir la réflex­ion et les débats sur le pro­jet sci­en­tifique et cul­turel d’un “vrai” musée d’ambition nationale. Dans tous les cas, nous aurons réfléchi et nous aurons fait pren­dre con­science du manque d’un tel musée en France. » •

vingt-cinq ans de promesses non tenues

2001

Pre­mière réu­nion de la future asso­ci­a­tion La Cité des femmes, avec Chris­tine Bard. Elle sera offi­cielle­ment créée en jan­vi­er 2002.

2002

« Le musée d’histoire des femmes s’ouvrira prochaine­ment à Paris » : le maire social­iste, Bertrand Delanoë, et sa pre­mière adjointe chargée de l’Égalité, Anne Hidal­go, annon­cent le sou­tien de la Ville au pro­jet, le 8 mars à l’oc­ca­sion de Journée inter­na­tionale des droits des femmes.

2004

La Cité des femmes est dis­soute. Les his­to­ri­ennes mil­i­tantes créent un musée d’histoire des femmes virtuel : Musea, hébergé
par l’université d’Angers.

2021

Le con­trat de plan État-Région acte un finance­ment de 9,8 mil­lions d’euros pour la réno­va­tion (2026–2027) de la bib­lio­thèque uni­ver­si­taire d’Angers, où sera implan­té le musée.

2022

Créa­tion, en octo­bre, de l’Association pour un musée des fémin­ismes (AFé­Muse), qui a pour objet d’accompagner
la créa­tion d’un musée des fémin­ismes à Angers pour le print­emps 2027.

2023

En févri­er, AFé­Muse acquiert la pre­mière pièce du futur musée, un tableau inti­t­ulé Mme Maria Vérone
à la tri­bune.

2023

Le 8 mars, Élis­a­beth Borne, Pre­mière min­istre, ain­si qu’Isabelle Rome et Rima Abdul Malak, respec­tive­ment chargées de l’Égalité et de la Cul­ture, inscrivent le pro­jet de musée des fémin­ismes dans le plan inter­min­istériel 2023–2027.

2025

L’historienne Ludi­vine Bantigny devrait présen­ter la pre­mière expo­si­tion
du musée : « Les femmes sont dans la rue », du 27 févri­er au 22 juin, au sein
de la bib­lio­thèque uni­ver­si­taire d’Angers.

NOTE DE LA RÉDACTION

À la suite de la pub­li­ca­tion dans La Défer­lante no 17 (févri­er 2025) de l’article « À quand un musée des fémin­ismes en France ? », l’Association pour un musée des fémin­ismes (AFé­Muse) nous a écrit, con­sid­érant que cet arti­cle lui « por­tait préju­dice ».  Sa prési­dence – Julie Ver­laine, Chris­tine Bard et Lucile Devul­der – regrette que l’historienne Julie Ver­laine, qui copré­side l’association depuis 2022, ne soit pas citée. L’article ne men­tionne pas non plus le sou­tien de la Fon­da­tion de France à hau­teur de 100 000 euros. Selon l’AFéMuse, il n’y a pas de mise à l’écart ou de refus de parte­nar­i­at avec la bib­lio­thèque Mar­guerite-Durand. Elles pré­cisent égale­ment que les tableaux acquis par finance­ment par­tic­i­patif seront « mon­trés au pub­lic lors de con­férences autour de ces oeu­vres, dès cette année, dans dif­férents musées ». Enfin, Chris­tine Bard nous sig­nale son désac­cord avec la phrase que lui attribue Nathalie Clot (« Il faut faire un musée, sinon d’autres le fer­ont avant nous »), et nous écrit : « Ma moti­va­tion est de con­tribuer à la créa­tion d’un musée, ces “autres” évo­qués dans cette phrase n’existent pas. Je suis blessée qu’une moti­va­tion aus­si bête et incon­sis­tante me soit ain­si prêtée. » Par ailleurs, Nicole Fer­nán­dez Fer­rer, coprési­dente du cen­tre Simone-de-Beau­voir, nous a sig­nalé qu’il était « faux » de con­sid­ér­er que ce cen­tre des archives audio­vi­suelles avait été nég­ligé, étant elle-même mem­bre du con­seil sci­en­tifique de l’AFéMuse. Elle nous pré­cise d’autre part que le cen­tre présente qua­tre films et vidéos de son fonds lors de la pre­mière expo­si­tion « Les femmes sont dans la rue ».


(1) Lire Emmanuelle Josse et Han­neli Vic­toire, « Études de genre : le fémin­isme dans les amphis », La Défer­lante no 9, févri­er 2023).

(2) Cet arrêt de 1973 stip­u­lait que le droit au respect de la vie privée, garan­ti par la Con­sti­tu­tion améri­caine, s’appliquait à l’avortement, accor­dant ain­si aux femmes le droit d’avorter dans tout le pays. En juin 2022, la Cour suprême états- uni­enne a annulé cet arrêt, lais­sant chaque État libre d’interdire l’IVG.

(3) Mag­a­li Lafour­cade, « Un musée des con­quêtes fémin­istes légitimerait la place des femmes dans tous les champs des arts et de la con­nais­sance », Le Monde, 10 mai 2022.

(4) La bib­lio­thèque Mar­guerite-Durand a été ouverte en 1931 par la Ville de Paris, après un don des col­lec­tions con­sti­tuées par la jour­nal­iste et mil­i­tante du même nom. La fon­da­trice du jour­nal fémin­iste La Fronde entendait ain­si créer la pre­mière bib­lio­thèque offi­cielle de doc­u­men­ta­tion fémin­iste.

(5) Con­tac­tée, elle n’a pas souhaité répon­dre à nos ques­tions sur les raisons de son départ.

Marie-Agnès Laffougère

Journaliste indépendante, elle travaille pour Têtu, Livres Hebdo et Radio France sur des sujets liés au genre et aux questions LGBT+. Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.


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