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Nous sommes des millions

Dans cette chronique, la mil­i­tante antiraciste Goun­do Diawara rap­pelle le pou­voir de l’action col­lec­tive. À rebours du fatal­isme ambiant, elle con­state une réelle envie de change­ment, notam­ment chez les jeunes des quartiers pop­u­laires.
Publié le 27/01/2025

Modifié le 10/03/2025

Nous sommes des millions par Goundo Diawara

Je ne suis pas de nature hyper opti­miste. On me dit plutôt que je suis trop réal­iste, lucide et prag­ma­tique. Le fait de militer pour l’égalité et la jus­tice depuis l’entrée dans l’âge adulte m’a empêchée de cul­tiv­er un regard un peu plus rêveur vis-à-vis du monde humain qui, en effet, ne me fait pas rêver. C’est la rai­son pour laque­lle je me sens davan­tage à ma place dans l’engagement et l’action col­lec­tive, qui, plutôt que de rêver une réal­ité dif­férente, pose vision et plans pour la faire advenir.
À l’heure où j’écris ces lignes, le monde est dans un tel état de déso­la­tion qu’il sem­ble dif­fi­cile d’entrevoir un avenir plus lumineux.

Des raisons de ne plus y croire, nous en avons. Par « nous », j’entends les mil­lions de per­son­nes de ce pays, visées à longueur d’année par les vio­lences et les dis­cours de haine : les pau­vres « qui prof­i­tent des aides sociales », les musul­mans « rad­i­cal­isés » et les musul­manes « soumis­es qui ne pensent pas aux Irani­ennes qui se bat­tent pour se libér­er », les exilé·es « qui ne fuient pas tant que ça la mis­ère puisqu’elles et ils ont des smart­phones », les immigré·es « sans papiers qui volent le tra­vail des hon­nêtes gens », les femmes « misan­dres qui accusent les hommes pour détru­ire leurs car­rières », les per­son­nes issues de l’immigration « ingrates qui refusent de s’intégrer », les banlieusard·es « qui ne se bougent pas assez pour mérit­er les mêmes droits que tous·tes », ou encore les per­son­nes LGBT+ « qui imposent leur pro­pa­gande pour détru­ire la société ».
En somme, nous, dont les exis­tences sont con­di­tion­nées par les sys­tèmes d’oppression struc­turant cette société, et à qui les privilégié·es – par leurs con­di­tion, iden­tité, ressources et rang social – deman­dent d’exprimer leur rage avec le sourire et des fleurs.
Nous sommes des mil­lions.
Épuisé·es par des décen­nies de luttes, de cris, de révoltes et de résis­tances, obser­vant la pente tou­jours plus raide qui fait gliss­er cette société vers le fas­cisme et ses con­séquences désas­treuses pour la planète et pour nos vies, nous n’en sommes pas moins des mil­lions.

Le pouvoir de faire le monde


Nous avons vu ces derniers mois ce que notre con­science d’être autant, cou­plée à une volon­té d’atteindre un objec­tif clair – ici empêch­er l’extrême droite de gou­vern­er (du moins offi­cielle­ment) –, pou­vait don­ner comme résul­tat. Si peu habitué·es à gag­n­er des batailles à une échelle aus­si grande (même si cette vic­toire-là nous a été con­fisquée), nous avons été les premier·es surpris·es d’arriver en tête, alors que c’était le tri­om­phe de nos ennemi·es poli­tiques qui était annon­cé. Nous sommes des mil­lions et nous avons du pou­voir. Dire cela, ce n’est ni rêver ni être trop opti­miste (ce n’est pas mon genre, vous l’aurez com­pris), c’est seule­ment con­sci­en­tis­er notre pou­voir de faire le monde. Je ne le répéterai jamais trop : l’espoir et la per­spec­tive d’un monde qui change ne vien­dront de nulle part ailleurs que de nous-mêmes.

Comme pour toute règle, il est une excep­tion qui me fait toute­fois pass­er du côté des « opti­mistes » : être témoin de l’éveil poli­tique des jeunes généra­tions de France. Les jeunes de quartiers pop­u­laires et les jeunes fémin­istes, antiracistes et antifas­cistes vont chang­er cette société. Nom­bre d’entre elles et eux sont mieux outillé·es poli­tique­ment que nous au même âge. Elles et ils ont une con­science du monde, un regard affûté et des straté­gies qui fer­ont trem­bler les patron·es et les hommes et femmes poli­tiques réac­tion­naires habitué·es à régir le monde à leur guise.

Sans demander la permission


Pen­dant que ces costards-crevards jouent à « Qui veut vol­er des mil­lions », elles et ils s’organisent pour dénon­cer des mas­sacres partout dans le monde, des vio­lences sex­istes et sex­uelles, exprimer leur saine colère par tous les moyens néces­saires lorsque l’un des leurs est assas­s­iné par la police (1), revendi­quer leurs droits et ren­dre vis­i­ble tout ce qui ne tourne pas rond dans ce pays, sans deman­der la per­mis­sion ni s’embarrasser de for­mules de politesse, tor­dant ain­si le cou à l’idée selon laque­lle elles et ils n’auraient aucune con­science poli­tique. Ce sont ces mêmes jeunes, et notam­ment celles et ceux des quartiers pop­u­laires, qui ont changé la donne par leur mobil­i­sa­tion lors des dernières lég­isla­tives (2), alors même qu’elles et ils font par­tie des pop­u­la­tions les plus trahies par la gauche dans l’histoire de ce pays.
Nos cris, nos révoltes et le tra­vail de vis­i­bil­i­sa­tion des oppres­sions, dont nous sommes nous-mêmes héritier·es et que nous avons ten­té de pour­suiv­re, n’ont pas été inutiles.

Pour autant, j’ai con­science que ces jeunes engagé·es ne sont pas (encore) majori­taires et qu’une par­tie d’entre elles et eux s’engagent même aux côtés de nos ennemi·es. Je sais aus­si qu’une large par­tie de cette jeunesse est trop occupée à sur­vivre aux vio­lences de ce monde pour pou­voir s’engager poli­tique­ment. Mais une révo­lu­tion silen­cieuse s’opère assuré­ment dans les esprits de tous·tes, car, pour écouter et voir ces jeunes évoluer au quo­ti­di­en en tant que con­seil­lère prin­ci­pale d’éducation, je vois que le monde est en train de chang­er. Il y a aujourd’hui des choses, notam­ment dans les rela­tions entre filles et garçons ou d’adulte à enfant, dans le rap­port aux corps ou au monde du tra­vail, aupar­a­vant con­sid­érées comme nor­males qui ne le sont plus du tout aujourd’hui. C’est un bon indi­ca­teur de la marche du monde même si, en face, d’autres mou­ve­ments émer­gent avec vio­lence pour l’empêcher de faire sa mue.

Soyons col­lec­tive­ment sourd·es aux dis­cours passéistes qui rado­tent l’idée selon laque­lle « nous étions de meilleur·es jeunes » que celles et ceux d’aujourd’hui, oubliant par ailleurs que nos aîné·es dis­aient déjà cela de nous-mêmes, qui étions alors « une généra­tion per­due »… Nous sommes des mil­lions et n’avons pas leur temps.
Osons faire con­fi­ance à ces jeuness­es pour faire explos­er les murs qui main­ti­en­nent tou­jours les mêmes aux marges de la société. Avec ou sans opti­misme, il nous fau­dra met­tre la for­ma­tion et le soin de nos jeunes au cœur de nos straté­gies poli­tiques afin qu’elles et ils pren­nent notre relève pour faire mieux – et qu’on leur épargne nos erreurs grâce au tra­vail de trans­mis­sion des luttes. Si les années à venir vont être dif­fi­ciles, le fait de s’attendre au pire ne doit pas nous empêch­er d’espérer et de lut­ter pour le meilleur.
Nous sommes des mil­lions, nous sommes le monde d’aujourd’hui et fer­ons celui de demain. •

Goun­do Diawara est cose­cré­taire de l’association Front de mères, coautrice de l’ouvrage Nos enfants nous-mêmes. Manuel de parental­ité fémin­iste (Hors d’atteinte, 2024). Cette chronique est la dernière d’une série de qua­tre.


(1) Le 27 juin 2023, Nahel Mer­zouk, 17 ans, est tué par un polici­er lors d’un con­trôle routi­er à Nan­terre. S’ensuivent deux semaines de révoltes urbaines très bru­tale­ment réprimées. Près de 3 500 per­son­nes, dont la moitié mineures, sont inter­pel­lées et sont con­damnées à très lour­des peines au regard des faits.

(2) En juin 2024, à la suite du choc de la vic­toire du Rassem­ble­ment nation­al aux élec­tions européennes et de la dis­so­lu­tion de l’Assemblée nationale, le col­lec­tif le Front de la jeunesse pop­u­laire est créé à Saint-Denis pour inviter les jeunes à se mobilis­er lors des élec­tions lég­isla­tives.

Goundo Diawara

Cosecrétaire nationale de l’association Front de mères, militante des quartiers populaires, elle est également coautrice de l’ouvrage Nos enfants nous-mêmes, Manuel de parentalité féministe (Hors d’Atteinte, 2024). Voir tous ses articles


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