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Dans le Finistère, l’adieu aux sardinières

Le 20 décem­bre 2024, la dernière usine du groupe Saupi­quet, implan­tée à Quim­per, a fer­mé ses portes. Avec elle s’éteint un pan de l’histoire ouvrière de la région, dont les tra­vailleuses des con­server­ies de pois­son ont été des fig­ures essen­tielles.
Publié le 23/01/2025

Modifié le 11/02/2025

La conductrice de ligne Valérie Bonder (à gauche) supervisait une équipe de trente à quarante ouvrières à la conserverie quimpéroise. Rachel (à droite) y a travaillé douze ans comme opératrice de production, puis comme chargée des sauces.
La con­duc­trice de ligne Valérie Bon­der (à gauche) super­vi­sait une équipe de trente à quar­ante ouvrières à la con­server­ie quim­péroise. Rachel (à droite) y a tra­vail­lé douze ans comme opéra­trice de pro­duc­tion, puis comme chargée des sauces. Crédit : Jean-Marie Hei­dinger pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.

Dans la région, c’est une périphérie de ville comme une autre, jalon­née de pavil­lons néo­bre­tons qui se suiv­ent. Mais dès l’entrée dans l’agglomération quim­péroise, en con­tre­bas des pre­mières maisons, se révèle un géant de tôles gris­es.

Quand on s’en approche, une odeur car­ac­téris­tique imprègne l’atmosphère : celle du maque­reau gril­lé, la spé­cial­ité de cette usine du groupe Saupi­quet. « Elle reste telle­ment mar­quée qu’à la mai­son, je range tous mes vête­ments de tra­vail lavés dans une boîte en plas­tique, décrit de sa voix rocailleuse Rachel*. Le 20 décem­bre, j’ai prévu de tous les brûler. »

Quand nous la ren­con­trons début novem­bre 2024, la quin­quagé­naire, qui a trimé douze ans à la con­server­ie quim­péroise en tant qu’opératrice de pro­duc­tion, puis comme chargée des sauces, appréhende l’échéance à venir. « Jusqu’ici, j’étais un peu dans le déni », avoue-t-elle en soupi­rant. Car la direc­tion a annon­cé avant l’été que l’entreprise, qui employ­ait 151 salarié·es et 70 intéri­maires, fer­merait le 20 décem­bre pour délo­calis­er ses ate­liers en Espagne et au Maroc. La faute aux coûts de pro­duc­tion devenus trop élevés, selon la direc­tion finan­cière. Ce départ signe la fin d’une aven­ture indus­trielle : le site de Quim­per était le dernier de la mar­que Saupi­quet encore présent en France.

L’usine Saupiquet de Quimper, qui employait 151 salarié·es 
et 70 intérimaires, 
a définitivement fermé ses portes le 20 décembre 2024. Les ateliers ont été délocalisés en Espagne et au Maroc. Crédit : Jean-Marie Heidinger pour La Déferlante.
L’usine Saupi­quet de Quim­per, qui employ­ait 151 salarié·es et 70 intéri­maires, a défini­tive­ment fer­mé ses portes le 20 décem­bre 2024. Les ate­liers ont été délo­cal­isés en Espagne et au Maroc.


Si Saupi­quet appar­tient depuis 2000 à la multi­nationale Bolton Food, l’entreprise a, depuis sa nais­sance à Nantes en 1891, longtemps cam­pé le rôle de fleu­ron français dans le secteur de l’agroalimentaire. Pont‑l’Abbé (Fin­istère), Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée), Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlan­tiques)… elle avait de nom­breux ate­liers de con­serves de pois­sons et de légumes dans tout le pays. Mais ils ont fer­mé les uns après les autres, mal­gré les mobil­i­sa­tions s’opposant à leur dis­pari­tion.

En 1989, par exem­ple, les salarié·es fai­saient grève pour éviter un plan social mas­sif. Ils et elles ont à nou­veau débrayé au moment du rachat par Bolton, ain­si qu’en 2010 à l’annonce de la fer­me­ture du site de Saint-Avé (Mor­bi­han). En tête des man­i­fes­ta­tions, bien sou­vent, des femmes. Aujourd’hui encore, elles représen­tent 76 % des effec­tifs chargés de la pro­duc­tion des con­serves de Saupi­quet à Quim­per, con­tre 35 % seule­ment à la logis­tique et à la main­te­nance (1).

Devant la man­u­fac­ture, par un lumineux après-midi d’automne, Rachel, son con­frère ingénieur en recherche et développe­ment Guil­laume, et la con­duc­trice de ligne (2) Valérie Bon­der font part de leur acca­ble­ment. « Nous avions un plan de pro­duc­tion jusqu’en 2027, avec des objec­tifs chiffrés, donc nous ne pou­vions pas imag­in­er un tel scé­nario », assure cette dernière, déléguée syn­di­cale CFDT de 57 ans. Son col­lègue trente­naire ne cache pas sa colère : « Les filles ont fait des efforts et la façon dont on les remer­cie, c’est de fer­mer l’usine ! »


« Il m’est arrivé de dormir les deux mains dans l’eau telle­ment elles me brûlaient. »

Agnès Gloaguen, anci­enne ouvrière chez Saupi­quet


« Les filles » : c’est ain­si que les ouvrières se nom­ment entre elles et ain­si qu’on les présente en retour. « Il y a un côté très pater­nal­iste, inféri­or­isant à les appel­er de cette manière. En même temps, cela peut créer une sorte de pop­u­lar­ité : ce sont “nos” filles qui sont vic­times de licen­ciement ou qui subis­sent de mau­vais­es con­di­tions de tra­vail. Il s’agit alors de les pro­téger », remar­que Fan­ny Gal­lot, his­to­ri­enne spé­cial­iste des mobil­i­sa­tions de tra­vailleuses, con­tac­tée quelques jours plus tard.

Chez Saupi­quet, il y a « les filles » au par­age, à l’emboîtage, au ser­tis­sage (3), toutes ces étapes clés dans la fab­ri­ca­tion d’une con­serve de pois­son. Sur le site de Quim­per, on trans­forme le maque­reau et les sar­dines ; on tra­vaille égale­ment les pois­sons des­tinés à de gros boî­tages pour la restau­ra­tion col­lec­tive.

Les con­server­ies de l’ouest de la France ont presque tou­jours dévolu ces métiers physiques, mal rémunérés et répéti­tifs aux femmes. Au XIXe siè­cle, c’étaient déjà elles qui, au retour des bateaux sur lesquels avaient œuvré leurs maris, miton­naient le fruit de la pêche et le met­taient en boîte dans les cen­taines d’ateliers de la région.

Cette répar­ti­tion gen­rée s’est figée dans le temps. « On dit aux ouvrières que leurs gestes de pré­pa­ra­tion du pois­son sont plus effi­caces que ceux des hommes », explique Valérie Bon­der, alors qu’à ses côtés Rachel mime de ses petites mains celui con­sis­tant à s’emparer d’une sar­dine et à la découper en quelques sec­on­des.

Un argu­ment qu’on retrou­ve dans tous les secteurs pro­fes­sion­nels, selon l’historienne Fan­ny Gal­lot, qui souligne un phénomène de « nat­u­ral­i­sa­tion des com­pé­tences » : « On assigne les femmes à des emplois peu qual­i­fiés parce qu’elles seraient adap­tées aux “tâch­es répéti­tives et sim­ples”, selon le terme employé en 1971 par le CNPF, l’ancêtre du Medef (4). Il n’y a évidem­ment rien de naturel dans tout cela. La dex­térité, comme les autres apti­tudes, est un appren­tis­sage. »

« Ce qui est éton­nant, c’est que la plu­part des femmes s’approprient ce dis­cours », relève pour sa part Tiphaine Guéret, autrice d’Écoutez gron­der leur colère. Les héri­tières des Penn sardin de Douarnenez (Lib­er­talia, 2024), une enquête réal­isée auprès des ouvrières actuelles de con­server­ies de Douarnenez, à une ving­taine de kilo­mètres de Quim­per. D’anciennes employées de Saupi­quet évo­quent ain­si tour à tour leur déli­catesse, leur minu­tie, leur pro­preté pour expli­quer la divi­sion sex­uée du tra­vail. « Les hommes à l’emboîtage ? Ce serait trop répéti­tif pour eux », estime Mathilde Tom­pors­ki, qui a turbiné sept ans chez Saupi­quet.

La révolte méconnue des sardinières bigoudènes

La grève vic­to­rieuse des sar­dinières de Douarnenez durant l’hiver 1924 a occulté, dans la mémoire col­lec­tive, celle des ouvrières du pays Bigouden, au sud-ouest de Quim­per, entre 1926 et 1927.

Des mil­liers d’entre elles blo­quent alors les ate­liers pour obtenir elles aus­si un salaire plus élevé. L’historienne Fan­ny Bugnon, qui dans L’Élection inter­dite. Itinéraire de Joséphine Pen­calet, ouvrière bre­tonne (1886–1972) (Seuil, 2024) retrace le des­tin poli­tique de Joséphine Pen­calet, sar­dinière à Douarnenez, fait ressor­tir un con­traste entre les deux grèves : « Douarnenez va devenir une vit­rine pour les luttes ouvrières et le mou­ve­ment com­mu­niste ; les Bigoudènes, elles, n’ont pas été autant médi­atisées et soutenues poli­tique­ment. »

Le patronat lance une répres­sion féroce à leur égard, n’hésitant pas à affamer ouvrières et marins-pêcheurs. Les anci­ennes ont préféré taire cette péri­ode très dure : « Elles ne pou­vaient pas dire avec des mots ce qui s’était passé », souligne Marie-Aline Lagadic, qui a ten­té d’interroger des femmes de sa famille ayant con­nu la grève, sans suc­cès.

Une image de cette mobil­i­sa­tion est néan­moins par­v­enue jusqu’à nous : la toile de Charles Tillon La Révolte des sar­dinières. La scène se déroule sur une dune, à Lesconil, à l’extrémité sud du pays Bigouden. Des femmes en coiffe mènent le cortège, dra­peau rouge dans les airs, des marins en vareuse dans leur sil­lage. Ce tableau est par­fois util­isé, à tort, pour illus­tr­er la révolte de Douarnenez, ville située hors du pays Bigouden à une quar­an­taine de kilo­mètres plus au nord.

Des cadences qui abîment le corps


Celle qui a effec­tué une grande par­tie de sa vie pro­fes­sion­nelle dans l’agroalimentaire exerçait ce méti­er pour « pay­er [s]es fac­tures et nour­rir [s]a famille », mais elle a dû quit­ter l’entreprise en 2018. « C’était soit ça, soit je per­dais mon épaule », explique l’ex-conductrice de ligne qui enchaî­nait ten­dinites et séances de kiné.

Car dans l’enceinte de l’usine, on tra­vaille debout, en 2/8 (5). Deux paus­es chronométrées vien­nent ponctuer chaque journée, une de 13 min­utes et une de 23 min­utes. Les sar­dines et les maque­reaux s’écoulent sans dis­con­tin­uer sur les tapis qui défi­lent, char­ri­ant jusqu’à 10 tonnes par ligne. Les ouvrières tra­vail­lent en binôme la plu­part du temps. « En moyenne, par minute, les pareuses net­toient 10 pois­sons et les emboî­teuses en met­tent 12 en con­serve », chiffre Valérie Bon­der. Elle super­vise de son côté une équipe de trente à quar­ante ouvrières en veil­lant au respect des con­signes d’hygiène et de sécu­rité. L’ancienne gérante de dis­cothèque, arrivée en 2010, a comp­té : elle par­court plus de 20 000 pas au quo­ti­di­en.

Dans le brouha­ha assour­dis­sant des machines, les gestes – tou­jours les mêmes – sont effec­tués à une cadence infer­nale. « À force de les répéter, cela crée presque un manque » quand on cesse de les pra­ti­quer, remar­que Agnès Gloaguen, 68 ans aujourd’hui. Nous l’avons ren­con­trée via les réseaux soci­aux et les posts dans lesquels elle évo­quait avec nos­tal­gie son passé à l’usine. Cette native de Pont‑l’Abbé a, comme sa mère et sa grand-mère avant elle, rejoint la con­server­ie.

C’était en 1972, elle n’avait que 16 ans. Pen­dant sept ans, elle a net­toyé ou mis en boîte le pois­son avec une binôme. Elle se sou­vient de la fer­raille qui coupait ses doigts et du feu au con­tact des piments : « Il m’est arrivé de dormir les deux mains dans l’eau telle­ment elles me brûlaient. »

Ces con­di­tions de tra­vail par­ti­c­ulière­ment âpres expliquent les réper­cus­sions physiques récur­rentes chez les salarié·es. « J’ai de l’arthrose sur tout le côté gauche de mon corps », racon­te Clau­dine Le Cam, 66 ans, dont 39 – toute sa car­rière – passés chez Saupi­quet en tant qu’ouvrière poly­va­lente. Dans une analyse por­tant sur l’année 2018, la Direc­tion de l’économie, de l’emploi, du tra­vail et des sol­i­dar­ités de la région Bre­tagne soulig­nait la respon­s­abil­ité de l’industrie agroal­i­men­taire locale dans la sur­v­enue des mal­adies pro­fes­sion­nelles, et notam­ment des trou­bles mus­cu­losquelet­tiques (6). Clau­dine, désor­mais retraitée avec qua­tre médailles du tra­vail au comp­teur, se remé­more com­ment on ten­tait d’oublier la dureté de la tâche : « À mes débuts dans les années 1980, il nous arrivait de chanter, telle­ment c’était con­vivial et famil­ial entre nous. »

Des chansons pour mémoire

Durant des décen­nies, les ouvrières ont enton­né des mélodies en chœur au sein des ate­liers quim­pérois, comme partout ailleurs dans les con­server­ies bre­tonnes. Puis la musique s’en est allée. Même les con­ver­sa­tions ont dis­paru pen­dant la péri­ode covid. Rachel se rap­pelle des parois en plex­i­glas qui séparaient les ouvrières sur les lignes, et des masques : « Alors qu’avant on arrivait à se par­ler en lisant sur les lèvres, d’un coup on pas­sait la journée toute seule, sans dis­cuter avec per­son­ne. Vous imag­inez ? »

Mais au-delà du con­texte san­i­taire des années 2020, « aujourd’hui, les usines ne sont plus faites pour chanter », remar­que Klervi Riv­ière. La bre­ton­nante a recueil­li avec sa mère Marie-Aline Lagadic des chan­sons regroupées sur un CD inti­t­ulé Les Chants des sar­dinières. Elles ont ensuite inter­prété en con­cert ce mat­ri­moine décou­vert notam­ment par leurs aïeules, ouvrières de con­server­ie qui répé­taient les chants en famille.

Entre novembre 2024 et janvier 2025, plusieurs initiatives ont commémoré le centenaire de la grève des sardinières de Douarnenez. Ici, 300 personnes sont réunies à la salle des fêtes de la ville pour répéter les chants qui rendent hommage aux 2 000 ouvrières qui se sont mobilisées avec succès pour de meilleurs salaires.
Entre novem­bre 2024 et jan­vi­er 2025, plusieurs ini­tia­tives ont com­mé­moré le cen­te­naire de la grève des sar­dinières de Douarnenez. Ici, 300 per­son­nes sont réu­nies à la salle des fêtes de la ville pour répéter les chants qui ren­dent hom­mage aux 2 000 ouvrières qui se sont mobil­isées avec suc­cès pour de meilleurs salaires. Crédit : Jean-Marie Hei­dinger pour La Défer­lante


Toutes les deux ont besogné chez Saupi­quet : Klervi à Quim­per comme con­duc­trice de ligne et Marie-Aline sur l’ancien site de Pont‑l’Abbé, où elle découpait et met­tait le pois­son en boîte. « L’association de col­lec­tage Das­tum cher­chait des chants pat­ri­mo­ni­aux bre­tons. Je leur avais dit : “Il faut aller dans les con­server­ies, c’est incroy­able ce que les femmes nous ont lais­sé” », se remé­more Marie-Aline, qui avait incité les salariées les plus âgées à dévoil­er leur réper­toire musi­cal au tra­vail.

C’est une par­tie de celui-ci qui résonne dans la salle des fêtes de Douarnenez : dans une ambiance chaleureuse, Manon Hamard, ent­hou­si­aste cheffe de chœur au béret rouge, fait répéter une foule de plus de 300 per­son­nes, retraité·es, par­ents et jeunes enfants réuni·es pour com­mé­mor­er, entre novem­bre 2024 et jan­vi­er 2025, le cen­te­naire de la grève des sar­dinières.

Portée par deux col­lec­tifs locaux, cette grande fête avec con­certs, expo­si­tions et con­férences souhaite ren­dre hom­mage aux 2 000 sar­dinières qui se sont mobil­isées avec suc­cès pour de meilleurs salaires entre 1924 et 1925. Dans la ville, ce mou­ve­ment social est devenu un objet mémoriel à par­tir des années 1980, « notam­ment à l’initiative de femmes qui ont voulu trans­met­tre l’histoire de leur famille, mais aus­si de la munic­i­pal­ité com­mu­niste de l’époque », explique Camille Cour­geon, doctorant·e en his­toire dont le mémoire de mas­ter por­tait sur cette ques­tion.

Pour Sarah et Val (elles n’ont pas souhaité don­ner leur nom de famille), bénév­oles : « C’est un héritage à dif­fuser. » Elles recon­nais­sent toute­fois la dif­fi­culté de mobilis­er les ouvrières des con­server­ies d’aujourd’hui dans ce rassem­ble­ment : « Cela néces­site un tra­vail de fond, car il y a des cas­sures dans la société. »

Klervi Rivière (à gauche) et sa mère Marie-Aline Lagadic (à droite), 
toutes deux passées par les usines Saupiquet, ont connu les chants 
des sardinières par leurs aïeules, ouvrières de conserverie qui reprenaient ces chansons en famille.
Klervi Riv­ière (à gauche) et sa mère Marie-Aline Lagadic (à droite), toutes deux passées par les usines Saupi­quet, ont con­nu les chants des sar­dinières par leurs aïeules, ouvrières de con­server­ie qui repre­naient ces chan­sons en famille. Crédit : Jean-Marie Hei­dinger pour La Défer­lante

Un savoir-faire délocalisable ?

L’écho de ce com­bat cen­te­naire ne s’est pas fait enten­dre jusqu’à l’usine Saupi­quet de Quim­per lorsque la direc­tion a annon­cé l’arrêt plan­i­fié de son activ­ité. Con­traire­ment aux anniver­saires des décen­nies précé­dentes, ni cortèges ni man­i­fes­ta­tions ne sont organ­isées. « L’important pour nous était de négoci­er en bonne intel­li­gence, notam­ment sur le mon­tant des indem­nités de départ », explique la déléguée syn­di­cale Valérie Bon­der. Mais, comme Rachel et Guil­laume à ses côtés, elle n’a aucune idée d’où elle tra­vaillera ensuite.

La résig­na­tion l’a emporté et a creusé des fos­sés entre salarié·es, lais­sant l’amertume s’emparer de celles et ceux qui « n’arrivent pas à digér­er la sit­u­a­tion », con­sta­tent les trois travailleur·euses. Seules les anci­ennes, tou­jours fières d’avoir œuvré à la machine réputée pour sa qual­ité, ont envoyé du sou­tien à leurs ex-col­lègues. « On a changé qua­tre fois de patron, on a relevé des grèves avec les syn­di­cats, on a don­né de notre per­son­ne pour cette usine », s’attriste Clau­dine Le Cam. « C’est un pan de l’économie qui s’effondre, un morceau de l’histoire de la Cor­naille qui s’en va », déplore la chanteuse Klervi Riv­ière.

Ces ouvrières dont le savoir-faire dans le tra­vail du pois­son a tou­jours été recon­nu décou­vrent que leurs com­pé­tences sont délo­cal­is­ables… quand bien même les ate­liers espag­nols et maro­cains ne sont pour le moment pas capa­bles de les repro­duire. Ironie du sort, elles doivent met­tre les bouchées dou­bles pour pré­par­er de quoi con­tin­uer à ali­menter le marché entre la fer­me­ture de leur usine et la mise en ser­vice des lignes de pro­duc­tion espag­noles et maro­caines. « On n’a jamais eu de tels stocks de boîtes de maque­reau à la moutarde », raille Rachel. Une chose est sûre, même loin de l’usine, loin des con­serves et loin du pois­son, elle emportera le sou­venir d’une odeur : « C’est quelque chose que l’on n’oublie pas. » •

Reportage réal­isé les 7 et 19 novem­bre 2024, à Quim­per et Douarnenez (Fin­istère).

* Ces per­son­nes ne souhait­ent pas que leur nom de famille soit men­tion­né.


(1) Source syn­di­cale.

(2) Ce poste con­siste à super­vis­er les salarié·es œuvrant sur une même ligne de pro­duc­tion.

(3) Le par­age con­siste à débar­rass­er le pois­son de ses par­ties les moins nobles. Le ser­tis­sage con­siste à fer­mer les boîtes de façon her­mé­tique.

(4) Le Prob­lème des O.S. Rap­port du groupe d’étude patronal, Édi­tions du CNPF, 1971.

(5) . Deux équipes tour­nent sur un même poste par roule­ment de huit heures l’une et l’autre, assur­ant ain­si la pro­duc­tion pen­dant seize heures au total.

(6) « Les acci­dents du tra­vail et mal­adies pro­fes­sion­nelles en Bre­tagne en 2018 », juil­let 2022. Con­sultable en ligne sur le site de la Dreets.

Travailler, à la conquête de l’égalité

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