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« Vous comptez retirer votre voile ? »

Marie-Cécile, 43 ans, est une femme noire, musul­mane, qui porte le voile. Au cours d’une vie pro­fes­sion­nelle riche mais semée d’embûches, elle a essuyé de nom­breux refus de can­di­da­ture, ain­si que des pro­pos et des actes dis­crim­i­nants.

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Publié le 24/01/2025

Modifié le 20/02/2025

photo Lynn S.K. pour La Déferlante Photographe et artiste visuelle, elle travaille autour des identités diasporiques et des mémoires de l’exil.
Marie-Cécile, le 24 novem­bre 2024 en Île-de-France. Crédit : Lynn S.K. pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.

« J’ai gran­di en ban­lieue et j’ai fait des études d’assistante de direc­tion. À 25 ans, je me suis con­ver­tie à l’islam. J’ai décidé à ce moment-là de faire une pause pro­fes­sion­nelle, de voy­ager, et j’ai com­mencé à porter le voile peu après.

À Lon­dres, j’ai tra­vail­lé comme vendeuse, comme garde d’enfants, puis j’ai été assis­tante de pro­fesseur. On ne m’a jamais fait de réflex­ions.

Quand je suis ren­trée en France, en 2010, en plein débat (1) sur la burqa, j’ai vrai­ment pris con­science qu’aux yeux des gens j’étais avant tout une femme racisée et voilée.

J’ai d’abord can­di­daté à un poste de secré­taire de direc­tion. À un moment de l’entretien, qui jusque-là se déroulait nor­male­ment, ils m’ont dit : “Par con­tre, vous comptez retir­er votre voile ?” Ça a été une vraie humil­i­a­tion.

Pour que ça ne se repro­duise pas, je me suis tournée vers l’enseignement privé musul­man où j’ai été pro­fesseure pen­dant trois ans. Ensuite, avec mon mari de l’époque, nous avons vécu en Égypte, puis au Mali. J’aurais pu avoir un poste dans une école française à con­di­tion d’enlever mon voile, ce qui est absurde, car les étab­lisse­ments français à l’étranger ont plus de sou­p­lesse dans leurs règle­ments.

J’ai fini par avoir un poste dans un étab­lisse­ment homo­logué par le min­istère de l’Éducation nationale. J’avais telle­ment intéri­or­isé le rejet que pen­dant l’entretien d’embauche j’ai demandé à la recru­teuse si elle était sûre que mon voile ne la dérangeait pas. C’était devenu un réflexe.

Les femmes portant un vêtement religieux discriminées au travail

En France, le port de signes religieux est inter­dit dans la fonc­tion publique, mais il est en théorie autorisé dans le privé. Cette inter­dic­tion, qui vise prin­ci­pale­ment le voile musul­man, peut être inscrite dans le règle­ment intérieur des entre­pris­es. En 2021, un arrêt de la Cour de jus­tice de l’Union européenne a validé la légal­ité de cette mesure dès lors qu’elle est jus­ti­fiée par un « besoin réel » de l’employeur.

Selon un rap­port de l’Agence des droits fon­da­men­taux de l’Union européenne pub­lié en octo­bre 2024, dans l’Union, 45 % des musul­manes por­tant un signe religieux (foulard, hid­jab ou niqab) ont été vic­times de dis­crim­i­na­tions dans leur recherche d’emploi, con­tre 31 % pour celles qui n’en por­tent pas. Ce taux grimpe à 58 % chez les femmes âgées de 16 à 24 ans.


En 2018, nous sommes rentré·es en France et j’ai divor­cé. J’ai recom­mencé à chercher du tra­vail en regar­dant les annonces qui cir­cu­laient dans les groupes de femmes musul­manes qui recom­man­dent des entre­pris­es accep­tant le voile ou le tur­ban. On est oblig­ées de fonc­tion­ner comme ça pour éviter les mau­vais­es expéri­ences.

C’est ce qui m’a amenée à tra­vailler dans un cen­tre d’appels, puis à réin­té­gr­er une école musul­mane. Un jour, alors que je ren­trais de mes cours et que je mar­chais dans la rue avec une copine, une per­son­ne qui pas­sait en voiture a pointé deux doigts sur nous à la manière d’un pis­to­let. Il arrive aus­si que des gens crachent par terre sur mon pas­sage.

Le résul­tat, c’est que je suis tou­jours en hyper-vig­i­lance. Je ne m’en rendais pas compte, jusqu’au jour où j’ai assisté à une con­férence de la soci­o­logue fémin­iste et musul­mane Hanane Kari­mi, qui par­lait de son livre Les femmes musul­manes ne sont-elles pas des femmes ? [éd. Hors d’atteinte, 2023]. J’ai réal­isé toutes les micro-agres­sions que je vivais au quo­ti­di­en : j’en ai pleuré. Il y a deux ans, j’ai rejoint l’association Lal­lab, qui lutte pour les droits des femmes musul­manes.

J’ai fait une recon­ver­sion pro­fes­sion­nelle dans la tech – secteur dont on loue sou­vent l’ouverture – avec une for­ma­tion de data-ana­lyste. Je me dis­ais que je pour­rais y trou­ver une place où, à défaut, tra­vailler à mon compte. Pour décrocher un con­trat de pro­fes­sion­nal­i­sa­tion et valid­er ma for­ma­tion, j’ai envoyé 350 CV en six mois. J’avais fait le choix de met­tre ma pho­to. Entre ma couleur de peau, mes 41 ans et mon voile, c’était le tier­cé gag­nant. Seule­ment 10 % des entre­pris­es m’ont répon­du, pour me dire que mon pro­fil ne cor­re­spondait pas.

Je tra­vaille depuis juil­let 2024 comme référente péd­a­gogique dans une asso­ci­a­tion qui per­met aux femmes issues des quartiers défa­vorisés d’accéder aux métiers de la tech. À 43 ans, je suis payée à ma juste valeur et je n’ai plus à me deman­der com­ment je vais faire avec mon voile. C’est peu de choses, mais c’est une libéra­tion.

Mes expéri­ences pro­fes­sion­nelles ont un peu abîmé mon estime de moi. Dans un autre con­texte, j’aurais peut-être fait une car­rière de juriste. Mais je pense aus­si que ce sont ces obsta­cles qui ont fait ma force. Mes filles, qui ont 11 et 12 ans, voient le monde à tra­vers mes expéri­ences. Me voir m’épanouir dans mon poste actuel leur ouvre des per­spec­tives. Récem­ment, j’ai eu une dis­cus­sion avec l’une d’elles, qui veut être vétéri­naire. Elle m’a dit : “Imag­ine s’ils n’acceptent pas le voile ?” et elle a pour­suivi : “C’est pas grave, j’ouvrirai mon pro­pre che­nil.” » •


(1) Lancé en juin 2009 par le député com­mu­niste André Gérin, le débat sur le port du niqab ou de la burqa en France est ali­men­té par Nico­las Sarkozy, alors prési­dent de la République. Il débouche, en 2010 sur une loi inter­dis­ant de mas­quer son vis­age dans l’espace pub­lic et donc, de fait, de porter le voile inté­gral.

Sarah Bos

Journaliste indépendante, spécialisée dans les questions de discriminations, elle est membre de l'association des journalistes antiracistes et racisé·e–s (Ajar). Elle a notamment réalisé l’interview croisée de Assa Traoré et Sophie Binet ainsi que le débat « Faut-il débattre avec l’extrême droite ? » Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.


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