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« Le procès de Mazan : une pierre angulaire dans l’histoire pénale en matière de violences sexuelles »

En exposant l’ampleur d’un crime col­lec­tif misog­y­ne, le procès des vio­leurs de Mazan a soulevé des ques­tions cru­ciales sur le con­sen­te­ment, le viol con­ju­gal et la soumis­sion chim­ique. His­to­ri­enne du droit, Vic­to­ria Van­neau revient sur la manière dont ce procès a boulever­sé l’institution judi­ci­aire et la société.
Publié le 28/01/2025

Modifié le 11/03/2025

Vic­to­ria Van­neau, his­to­ri­enne du droit et spé­cial­iste des vio­lences de genre. Crédit : Claire Ruiz

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.

En quoi le procès des vio­leurs de Mazan est-il his­torique ?

D’abord, par le nom­bre d’accusés pour une seule vic­time.

Jamais la jus­tice n’a jugé le cas d’une femme vio­lée par une cinquan­taine d’hommes, encore moins avec le mari à la manœu­vre et sous soumis­sion chim­ique. On a aus­si été témoin de l’organisation crim­inelle des faits, avec des accusés qui ont repro­duit ou pro­jeté de repro­duire le pro­to­cole de soumis­sion chim­ique de Dominique Peli­cot sur leur pro­pre con­jointe. C’est totale­ment inédit.

Ensuite, par la mon­tagne de preuves qui doc­u­mentent les vio­ls. Sur le plan juridique, l’infraction de viol est ici retenue sans cor­rec­tion­nal­i­sa­tion (1) – une pra­tique cen­sée être de moins en moins util­isée depuis la général­i­sa­tion en 2023 des cours crim­inelles (2), main­tenant com­pé­tentes pour juger les affaires de viol. Le procès des vio­leurs de Mazan s’inscrit dans cette évo­lu­tion, qui est déjà un tour­nant his­torique en soi.

Pensez-vous que ce procès boule­versera le regard de la société civile sur le viol, notam­ment con­ju­gal ?

Comme les vio­ls ne sont qua­si­ment plus jugés devant une cour d’assises avec un jury pop­u­laire, il y a moins d’implication de la société civile aujourd’hui dans ces affaires. Certain·es regret­tent que les déci­sions judi­ci­aires soient unique­ment du ressort des professionnel·les de la jus­tice, d’autres con­sid­èrent que cela per­met d’éviter les biais émo­tion­nels dans le juge­ment. Dans cette affaire de Mazan, la société civile est restée impliquée du fait de la forte médi­ati­sa­tion du procès et de la lev­ée du huis clos [décidée après la demande de Gisèle Peli­cot qui souhaitait que « la honte change de camp »]. L’enjeu est majeur : il ne s’agit pas seule­ment de juger un crime, mais de faire évoluer la société dans sa manière de com­pren­dre et de traiter les vio­lences sex­uelles. La société française se ques­tionne sur les enjeux relat­ifs au con­sen­te­ment, en par­ti­c­uli­er sur la poten­tielle con­trac­tu­al­i­sa­tion de celui-ci (3).

Ce procès a juste­ment soulevé de nom­breux débats sur la redéf­i­ni­tion du viol ou l’inscription de la notion de con­sen­te­ment dans le Code pénal  (4). Dans quel sens la loi pour­rait-elle évoluer ?

Aujourd’hui, pour car­ac­téris­er juridique­ment un viol, il faut deux élé­ments : des preuves matérielles et l’intentionnalité du crime. La défense s’est beau­coup appuyée sur ce dernier principe en arguant, pour cer­tains accusés, qu’il n’y a pas eu viol puisqu’il n’y a pas eu d’intention de vio­l­er. Deux notions se dis­tinguent : le con­sen­te­ment de la vic­time – qui n’est pas posé comme tel dans le Code pénal – et l’intention de l’auteur, qui peut se con­fon­dre avec son pro­pre con­sen­te­ment. Pour repren­dre une phrase d’un sketch de Coluche : « Vio­l­er, c’est quand on veut pas, moi je voulais ! » [Le viol de Monique, 1979].

Définir juridique­ment le con­sen­te­ment de la vic­time se défend, mais cela peut aus­si avoir un effet per­vers : amen­er à exclure des cas par­ti­c­uliers. Je crois que le prob­lème ne se pose pas sur la déf­i­ni­tion des crimes ou des dél­its – leur qual­i­fi­ca­tion juridique –, mais plutôt autour de la dif­fi­culté à pro­duire des preuves, autant que sur les con­séquences du principe d’intentionnalité. Sou­vent, les vic­times por­tent plainte des années après les faits en rai­son du trau­ma­tisme, ce qui altère la pos­si­bil­ité de présen­ter des preuves matérielles. Cela soulève aus­si la ques­tion de la pre­scriptibil­ité des crimes. Par ailleurs, comme on l’a vu avec le procès de Mazan, même si les accusés peu­vent se défendre d’avoir vio­lé inten­tion­nelle­ment, ça ne change pas le fait que la vic­time a subi des vio­ls. Ces débats juridiques sont dif­fi­ciles à résoudre.

Que nous apprend spé­ci­fique­ment cette affaire sur la prise en charge des vic­times par les insti­tu­tions poli­cière et judi­ci­aire ?

Le procès a mon­tré qu’une chaîne de jus­tice bien coor­don­née peut fonc­tion­ner effi­cace­ment. Dès le début de l’enquête, Gisèle Peli­cot a été prise en charge [par les unités médi­co-judi­ci­aires] et les forces de l’ordre ont pour­suivi l’enquête, ne lais­sant pas les indices dis­paraître. Ce type d’implication des autorités est essen­tiel. Si, dès l’introduction d’une plainte, la police ou la gen­darmerie se mon­tre indif­férente ou défail­lante, cela com­pro­met le proces­sus judi­ci­aire. La rigueur et le suivi dans l’instruction des affaires doivent devenir la norme.

L’affaire des vio­leurs de Mazan fait-elle écho à d’autres affaires judi­ci­aires mar­quantes dans l’histoire des vio­lences sex­uelles ?

On pense au très médi­atisé procès d’Aix en 1978 (5), qui avait échap­pé à la cor­rec­tion­nal­i­sa­tion : le tri­bunal cor­rec­tion­nel avait recon­nu qu’il n’était pas com­pé­tent pour juger des faits d’une telle grav­ité. C’était une déci­sion majeure à l’époque. On a aus­si des exem­ples par­fois anciens de procès pour vio­ls con­ju­gaux, comme l’affaire Jiguet, en 1839 : une femme porte plainte con­tre son époux pour viol. L’avocat du mari, le célèbre répub­li­cain Alexan­dre Ledru-Rollin, s’était plaint auprès d’André Dupin, l’avocat général, que la jus­tice ne devait pas se trou­ver au pied du lit con­ju­gal. Dupin avait soutenu qu’elle se devait au con­traire d’intervenir, notam­ment lorsque la force était util­isée con­tre le plus faible. Cette prise de posi­tion a mar­qué un tour­nant, même si ce viol a été qual­i­fié d’attentat à la pudeur, en l’absence de notion de viol con­ju­gal dans le droit. Ce fut un pre­mier pas vers la recon­nais­sance que, même dans le cadre du mariage, un mari ne peut pas faire subir tout et n’importe quoi à sa femme.


« Ce procès pour­ra devenir une pierre angu­laire dans l’histoire pénale en matière de vio­lences sex­uelles. »


Vic­to­ria Van­neau, his­to­ri­enne

Selon vous, com­ment par­lera-t-on de ce procès dans dix ans et quelles traces lais­sera-t-il ?

Le procès de Mazan aura, je le crois, une postérité impor­tante, car il a eu lieu à un moment par­ti­c­uli­er de notre his­toire, où la société est plus atten­tive à ces ques­tions, et parce que la courageuse lev­ée du huis clos a empêché quiconque de détourn­er les yeux. Mais il ne faut pas que cette atten­tion s’essouffle. Qui, en dehors des milieux fémin­istes, se sou­ve­nait du procès d’Aix, pour­tant très médi­atisé à l’époque ? Le procès de Mazan pour­ra devenir une pierre angu­laire dans l’histoire pénale en matière de vio­lences sex­uelles. Pour cela, il est cru­cial d’en tir­er durable­ment toutes les leçons : la lutte sera longue, car de nom­breuses femmes atten­dent à leur tour qu’on leur rende jus­tice.


(1) La cor­rec­tion­nal­i­sa­tion des vio­ls con­siste à réduire judi­ci­aire­ment un crime en un délit – par exem­ple un viol en agres­sion sex­uelle – pour désen­gorg­er les cours d’assises au prof­it des tri­bunaux cor­rec­tion­nels, for­més de trois magistrat·es professionnel·les.

(2) Les cours crim­inelles départe­men­tales devaient dimin­uer la cor­rec­tion­nal­i­sa­tion. Non seule­ment, cela n’a pas été le cas, mais ces nou­velles juri­dic­tions sont tout autant cri­tiquées pour avoir égale­ment écarté les jurys citoyens au prof­it de juges professionnel·les, ici au nom­bre de cinq.

(3) En octo­bre 2024, le jour­nal­iste Thibaud Lep­lat a ren­du pub­lic un mod­èle de con­trat de con­sen­te­ment util­isé par des foot­balleurs de dif­férentes nation­al­ités. En France, un tel con­trat n’aurait pas de valeur juridique, le con­sen­te­ment étant révo­ca­ble à tout moment.

(4) Lire « Le con­sen­te­ment doit-il fig­ur­er dans la loi ? », La Défer­lante n° 14, mai 2024.

(5) Le « procès d’Aix », en 1978, égale­ment con­nu comme « l’affaire Ton­glet-Castel­lano », fut un tour­nant dans la per­cep­tion du viol dans la société française. Gisèle Hal­i­mi, une des avo­cates des vic­times, avait obtenu la lev­ée du huis clos afin de médi­a­tis­er l’affaire : le viol com­mis sur deux jeunes femmes les­bi­ennes par trois hommes dans les calan­ques de Mar­seille en 1974.


Vic­to­ria Van­neau est his­to­ri­enne du droit et spé­cial­iste des vio­lences de genre

Tal Madesta

Journaliste indépendant spécialisé dans les questions de discriminations, il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Fin des monstres (La Déferlante Éditions, 2023). Il co-anime le podcast Les Couilles sur la table (Binge Audio). Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.


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