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« Les cagoles montrent tout : les émotions, les seins, les fesses. »

Élue Miss Cagole 2024, l’artiste et stripteaseuse Lisa Grana­do explore depuis plusieurs années sa « féminité extrême ». Pour cette Mar­seil­laise, la cagole est por­teuse d’un mes­sage fémin­iste.
Publié le 21/10/2024

Modifié le 16/01/2025

Miss Cagole 2024. © Gaëlle Matata pour La Déferlante
Lisa Grana­do, Miss Cagole 2024 : « Être une cagole, c’est aus­si une manière de se tenir, de se com­porter, de par­ler… » Crédit pho­to : Gaëlle Mata­ta pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Com­ment définis­sez-vous la cagole ?

Une cagole, c’est une femme du Sud à la fois sexy, drôle et vul­gaire, qui n’a pas sa langue dans sa poche, occupe l’espace pub­lic et ne se laisse pas faire. Les cagoles sont bien recon­naiss­ables, elles sont habil­lées très court et super flashy. Elles remet­tent en cause l’idée d’une sex­u­al­ité fémi­nine retenue, qui ne se dévoil­erait que dans l’intime.

C’est rare dans un pays aus­si misog­y­ne que la France, où on demande aux femmes d’être pudiques et élé­gantes, c’est-à-dire de se con­tenir. Les cagoles mon­trent tout : les émo­tions, les seins, les fess­es. Elles tra­vail­lent sou­vent en extérieur, dans la restau­ra­tion, dans les bars, sur les marchés ou comme tra­vailleuses du sexe. Elles font la fête, elles boivent, elles sont indépen­dantes et par­lent fort. « Caguer » sig­ni­fie « défé­quer » en argot du sud de la France : la cagole, c’est celle qui fait chi­er (1). En fait, elles résis­tent à la misog­y­nie des rues mar­seil­lais­es par l’expression d’une féminité puis­sante. La cagole, c’est aus­si un délire pop­u­laire qui n’a rien à voir avec les codes bour­geois de la féminité parisi­enne. Se revendi­quer cagole, c’est répon­dre à un mépris parisien et de classe.

Peut-on dire que l’habit fait la cagole ?

Les vête­ments, c’est le nerf de la guerre pour la cagole. C’est un peu sa vit­rine, c’est à ça qu’on la recon­naît : la mini­jupe, les bijoux fan­taisie comme les créoles, les faux ongles, les cheveux longs. Sans vête­ments, il n’y a pas de cagole, juste une meuf qui insulte des gens dans la rue. Mais ce n’est pas parce qu’on porte une jupe léopard le temps d’une soirée qu’on en est for­cé­ment une. Être une cagole, c’est aus­si une manière de se tenir, de se com­porter, de par­ler. Et les cagoles sont plurielles. Une cagole en RTT – qui porte un jog­ging rose, des cla­que­ttes, des pinces dans les cheveux – est tout aus­si iden­ti­fi­able ! Même en pyja­ma, elle dégage un truc sexy, féminin et vul­gaire.

Lisa Granado, Miss Cagole 2024, à La Plaine (place Jean-Jaurès) à Marseille.

Lisa Grana­do, Miss Cagole 2024, à La Plaine (place Jean-Jau­rès) à Mar­seille. © Gaëlle Mata­ta pour La Défer­lante

Selon vous, en quoi ça peut être fémin­iste d’être une cagole ?

La cagole s’habille de manière extrême­ment désir­able en sachant que son allure dérange et qu’elle va devoir se défendre face à un har­cèle­ment con­stant. Cela demande du courage et de la déter­mi­na­tion d’assumer qui l’on est et de résis­ter au machisme quo­ti­di­en. La cagole vit selon ses pro­pres règles. Être une femme qui fait ce qu’elle veut, ça me sem­ble être une bonne déf­i­ni­tion de l’adjectif « fémin­iste ».

Que répon­dez-vous à celles et ceux qui pensent que la cagole serait con­stru­ite par et pour le regard mas­culin ?

La gag­nante de Miss Cagole 2023, Meureh, est une grosse gouine, je suis moi-même une grosse gouine. On n’en a rien à faire du regard des hommes. Cette idée que les femmes qui sont féminines et sexys seraient for­cé­ment aliénées, c’est de la fem­pho­bie (2). Au con­traire, l’hyper­féminité des cagoles est tout sauf con­forme, elle est hors normes. Notre société a un prob­lème quand elle estime qu’être fémi­nine est déval­orisant. Pour moi, les cagoles et les femmes à la féminité exac­er­bée sont en avance : elles ont dépassé cette idée qu’il faudrait se mas­culinis­er pour être une « bonne » femme. S’habiller comme on l’entend, c’est libéra­teur. C’est vrai quand on est une cagole et qu’on décide d’embrasser sa cagoli­tude, ça l’est égale­ment quand on est butch et que l’on décide de s’habiller au ray­on hommes ou de se couper les cheveux.

Est-ce qu’il y a une dimen­sion queer dans la fig­ure de la cagole ?

Bien enten­du, même si certain·es n’en ont pas for­cé­ment con­science. Être une femme ou une per­son­ne queer, et choisir de ressem­bler à qui l’on souhaite être, à qui l’on est réelle­ment : voilà le véri­ta­ble empou­voire­ment.
La cagole fait bouger les normes de genre. Il y a quelque chose de très mas­culin dans sa façon de se com­porter – le fait de picol­er, de traîn­er dans les bars, de par­ler fort.

Pourquoi vous êtes-vous présen­tée au con­cours Miss Cagole ?

C’était une évi­dence. J’ai gran­di au cours Ju’-La Plaine (3), pas loin du bar qui organ­ise ce con­cours [lire l’encadré ci-dessous]. J’habite à Paris, mais j’étais à Mar­seille au moment du con­cours, donc je me suis présen­tée, et j’ai gag­né ! Je me con­sid­ère comme une cagole et une bonne représen­tante de ma ville. Je con­nais les habitant·es du quarti­er, donc c’est aus­si un truc sen­ti­men­tal. L’élection de Miss Cagole est un événe­ment à la bonne fran­quette, sans enjeu, si ce n’est celui de vouloir résis­ter à la gen­tri­fi­ca­tion. Le Mar­seille pop­u­laire est très prisé des bourgeois·es et des Parisien·nes. Il y a une exo­ti­sa­tion et une roman­ti­sa­tion de sa cul­ture, de ses pop­u­la­tions paupérisées. Des per­son­nes qui ne vivent absol­u­ment pas ces réal­ités-là se réap­pro­prient cer­tains codes, surtout ves­ti­men­taires. Il y a donc quelque chose de jubi­la­toire à affirmer : vous nous kif­fez mais vous serez tou­jours des fakes – des fakes Marseillais·es, des fakes cagoles, des fakes kékés (4).

Être cagole, c’est donc une iden­tité ?

Pour être une bonne Miss Cagole, il faut être une cagole au quo­ti­di­en. Sinon, c’est du déguise­ment. Cette iden­tité, tu l’as ou tu ne l’as pas. La cagole, c’est une femme de car­ac­tère, avec une iden­tité com­plexe : elle est mar­seil­laise ou orig­i­naire de la Côte d’Azur, elle a de la répar­tie mais aus­si des qual­ités humaines. Une cagole, ça récon­forte, ça fait rire, ça utilise des noms doux. C’est l’un des seuls arché­types de femmes sexys à être plus qu’un corps. Les autres sont déshu­man­isés. La femme fatale, par exem­ple, c’est un per­son­nage de film, une sculp­ture, pas une femme qui pour­rait exis­ter. Les bim­bos ou les vamps n’ont ni his­toire ni vie réelle. Les cagoles ont une per­son­nal­ité, de l’humour, et donc elles sont intel­li­gentes… Prêter des capac­ités intel­lectuelles à une femme sexy, vul­gaire et pop­u­laire, ça n’arrive jamais. La société n’a pas l’habitude d’humaniser les gens d’origine pop­u­laire. La cagole, elle, remet l’église au cen­tre du vil­lage. •

Concours Miss Cagole : potache et politique

Antithèse du con­cours Miss France, l’élection de la Miss Cagole du quarti­er de La Plaine à Mar­seille a sa pro­pre gram­maire : défilé, karaoké et con­cours de tchatche… Son his­toire a autant de trous qu’un bas résille : la pre­mière édi­tion du con­cours aurait eu lieu vers 1995, prob­a­ble­ment jusqu’en 1998, quand le bar du quarti­er où se tenait la com­péti­tion s’appelait encore L’Avenir, avant de devenir Le Traque­nard. Anaelle Loze, sa nou­velle pro­prié­taire et gérante, a relancé la tra­di­tion une pre­mière fois en 2017, puis en 2022. Face à une gen­tri­fi­ca­tion accélérée par la crise san­i­taire du Covid, elle ravive une occa­sion d’affirmer un cer­tain esprit du quarti­er, en célébrant un Mar­seille « vivant, pop­u­laire, engagé, inclusif… et antiraciste aus­si, c’est impor­tant en ce moment ».
On com­prend qu’il s’agit égale­ment de com­bat­tre la réap­pro­pri­a­tion de la cagole à des fins com­mer­ciales. Depuis 2021, un autre con­cours – Miss Cagole Nomade – est organ­isé par une entre­prise d’événementiel éponyme. Tous ces con­cours ne par­ticiperaient-ils pas para­doxale­ment à la boboï­sa­tion de la ville et de ses sym­bol­es ? C’est tout ce que réfute Anaelle Loze : « Ah non ! C’est pour ça qu’on le fait hors sai­son touris­tique. Pour nous, c’est surtout une teuf. Et le prix, c’est un pot de moutarde, c’est dire si c’est une grosse blague. »

Entre­tien réal­isé par Alix Bayle, en juin 2024, par télé­phone. Cet arti­cle a été édité par Camille Drou­et Chades.


(1) Autre orig­ine éty­mologique admise : le mot « cagole » viendrait du mot provençal « cagoulo », un long tabli­er porté par les femmes employées naguère dans les usines d’empaquetage de dattes. Mal payées, cer­taines devaient se pros­tituer pour sub­sis­ter.

(2) Dépré­ci­a­tion ou hos­til­ité à l’égard des per­son­nes qui se présen­tent comme féminines. En anglais, « femme » (pronon­cé « fèm ») désigne les les­bi­ennes dont l’apparence est jugée fémi­nine, en oppo­si­tion au terme « butch » qui qual­i­fie les les­bi­ennes dont l’apparence est jugée mas­cu­line.

(3) Le cours Julien et La Plaine sont deux places du cen­tre de Mar­seille.

(4) En anglais, « fake » désigne un faux, une con­tre­façon ou une imi­ta­tion. Le « kéké », aus­si appelé « cake », est un homme qui prend soin de sa plas­tique et se met en scène dans l’espace pub­lic pour attir­er l’attention.

Alix Bayle

Ancienne correspondante à Londres pour France 24, elle travaille comme pigiste, notamment dans le documentaire audiovisuel. Militante féministe, elle a cofondé le PA.F (collectif pour une PArentalité Féministe) et Toutes Apôtres !, qui agit pour l’égalité de tous·tes les baptisé·es au sein de l’Église catholique. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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