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La mode est-elle toujours raciste ?

Stéréo­types racistes et sex­istes, appro­pri­a­tion cul­turelle, relents ori­en­tal­istes… la mode française est mar­quée par l’histoire colo­niale et l’ethnocentrisme. Au-delà des ajuste­ments mar­ket­ing, com­ment cette indus­trie pour­rait-elle chang­er ses pra­tiques et ses représen­ta­tions ?
Publié le 21/10/2024

Modifié le 16/01/2025

Crédit photo : Alinari / Roger-Viollet
En 1913, pho­to de groupe dans les cos­tumes créés par le cou­turi­er français Paul Poiret. Quelques années plus tôt, ce dernier a lancé une col­lec­tion « ori­en­tal­iste », qui s’inscrit dans un mou­ve­ment artis­tique plus large, résumé par l’écrivain pales­tinien Edward Saïd comme « le style occi­den­tal de dom­i­na­tion, de restruc­tura­tion et d’autorité sur l’Orient ». Crédit pho­to : Ali­nari / Roger-Vio­l­let

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

En 1910, le cou­turi­er Paul Poiret – célèbre pour avoir « libéré la femme du corset » – lance une col­lec­tion ori­en­tal­iste lors d’une soirée mémorable inti­t­ulée « La mille et deux­ième nuit », en référence aux célèbres con­tes qui vien­nent d’être traduits en français. Le texte de l’invitation est édi­fi­ant.

Revis­i­tant un imag­i­naire per­san bour­ré de stéréo­types, il promet pour cet événe­ment : une danseuse « mince & flex­i­ble comme le rameau de l’Arbre Tan », un « vieux poti­er myope », un « marc­hand d’esclaves dont la moins belle vaut mille dinars d’or », un « saveti­er pouilleux » et un « tailleur cacochyme »…

L’orientalisme : tout com­mence au milieu du XVIIIe siè­cle avec ce mou­ve­ment artis­tique et lit­téraire qui a con­tribué à ancr­er l’industrie nais­sante de la mode dans un « ailleurs » fan­tas­mé, expres­sion de la dom­i­na­tion de l’Occident sur l’Orient. Pour l’écrivain pales­tinien Edward Saïd, qui décriv­it la pen­sée ori­en­tal­iste dès 1978, ce « style occi­den­tal de dom­i­na­tion, de restruc­tura­tion et d’autorité sur l’Orient » est pen­sé autour d’une esthé­tique occi­den­tale, et plus pré­cisé­ment française.

Les expo­si­tions uni­verselles et les nom­breux zoos humains, met­tant en scène des corps non blancs exo­tisés devant un pub­lic européen, ont été, dès la fin des années 1800, une source inépuis­able d’inspiration pour les indus­tries créa­tives. Jusqu’à la fin du XXe siè­cle, ils nour­ris­sent notam­ment l’imagination des cou­turi­ers comme Jeanne Lan­vin ou plus tard Yves Saint Lau­rent, qui se plaisent à « décou­vrir » et col­lec­tion­ner les objets, tis­sus, drapés issus de cul­tures « ori­en­tales ».

Pour l’historien d’art Khé­maïs Ben Lakhdar, auteur de L’Appropriation cul­turelle. His­toire, dom­i­na­tion et créa­tion : aux orig­ines d’un pil­lage occi­den­tal (Stock 2024), les liens entre l’expansion des empires colo­ni­aux européens et l’orientalisme de la cou­ture parisi­enne à la fin du XIXe et au début du XXe siè­cle pour­raient se résumer à une expres­sion : « l’appropriation cul­turelle ». Ce mécan­isme d’oppression, par le biais duquel une per­son­ne ou un groupe en sit­u­a­tion de dom­i­na­tion pille les ressources d’un groupe minorisé en décon­tex­tu­al­isant l’objet pil­lé à des fins cap­i­tal­istes, per­pétue des stéréo­types colo­nial­istes et raci­aux. Par­mi les exem­ples récents les plus mar­quants, on peut évo­quer Dolce & Gab­bana et sa pub­lic­ité pour pro­mou­voir son arrivée sur le marché chi­nois, met­tant en scène une man­nequin asi­a­tique ten­tant de manger une piz­za et des spaghet­tis avec des baguettes. De son côté, Pra­da a été cri­tiqué pour avoir créé un pull orné d’une bouche rouge évo­quant un black­face (1).

Sous la pres­sion des réseaux soci­aux, ces polémiques ont entraîné des excus­es publiques, sans rien chang­er en pro­fondeur. La jour­nal­iste et cri­tique de mode Mélody Thomas par­le d’une « économie de la vis­i­bil­ité », qui pousserait les mar­ques à policer pro­vi­soire­ment leur com­mu­ni­ca­tion, avant de revenir à leur cible et à leurs valeurs orig­inelles. Dans La mode est poli­tique (Les Inso­lentes, 2022), elle décrit cette indus­trie comme un miroir grossis­sant de sujets de société impli­quant des per­son­nes minorisées, qui sont encore quo­ti­di­en­nement invis­i­bil­isées, manip­ulées, volées et silen­ciées.

Continuum colonial

Même quand elles sont racisées, les per­son­nes qui tra­vail­lent dans la mode sont pris­es dans un sys­tème de représen­ta­tion qui relève de l’appropriation cul­turelle. En 2023, l’artiste, musi­cien, pro­duc­teur et styl­iste états-unien Phar­rell Williams est nom­mé directeur artis­tique de la col­lec­tion Homme chez Louis Vuit­ton. Inspirée du Far West, sa troisième col­lec­tion, présen­tée en jan­vi­er 2024, est cen­sée, selon la com­mu­ni­ca­tion de la mai­son de cou­ture, « réin­ven­ter le ves­ti­aire du west­ern améri­cain », et par là ren­dre hom­mage à aux cul­tures natives nord-améri­caines. Le défilé spec­ta­cle a sus­cité de nom­breuses réac­tions pos­i­tives et a été plébisc­ité pour son « inclu­siv­ité ».

Pour­tant, Khé­maïs Ben Lakhdar l’utilise dans ses cours comme un cas d’école qui dit l’inverse : « Le con­tin­u­um colo­nial est fasci­nant. Le défilé s’est déroulé au jardin d’acclimatation, qui, ironique­ment, est aus­si le lieu de la mon­stra­tion des sauvages à Paris, où les zoos humains ont été instal­lés au début du XXe siè­cle. Tan­dis que Buf­fa­lo Bill fai­sait sen­sa­tion avec un spec­ta­cle sur “les Indi­ens et les cow­boys” (2). Ni les pro­duc­teurs du défilé, ni Phar­rell Williams, ni la mar­que… per­son­ne n’a fait le rap­proche­ment ! Ils sont telle­ment igno­rants de cette his­toire colo­niale qu’ils repro­duisent la même chose. » Le com­mu­niqué de presse de la col­lec­tion – pas plus que le site de Louis Vuit­ton – ne men­tionne les qua­tre cou­turi­ers et cou­turières natives améri­caines qui ont col­laboré à cette col­lec­tion : Lau­ren Good Day, Trae Lit­tlesky, Jocy Lit­tlesky et Kendra Red House.


« Décolonis­er la mode, c’est aus­si cou­vrir d’autres fash­ion weeks que celles de Paris, Milan, New York et Lon­dres, afin de mon­tr­er que la mode se con­stru­it et s’organise en dehors de l’Occident. »

Khé­maïs Ben Lakhdar, his­to­rien


Les mannequins, clés d’une réelle évolution

Pour l’essayiste Chris­telle Baki­ma Poundza, autrice de Corps noirs. Réflex­ions sur la mode et les femmes noires (Les Inso­lentes, 2023), « plusieurs pro­jets con­crétisés au début des années 2020 doivent beau­coup au mou­ve­ment antiraciste né en 2013 aux États-Unis Black Lives Mat­ter, le prob­lème est que le sujet est resté sur la morale, or il est ailleurs ». Comme elle, Khé­maïs Ben Lakhdar pense que ce sont les moyens de pro­duc­tion et l’utilisation de cer­tains matéri­aux qu’il faut remet­tre en ques­tion : « Décolonis­er la mode, c’est aus­si deman­der à des jour­nal­istes de cou­vrir d’autres fash­ion weeks que les qua­tre plus impor­tantes que sont Paris, Milan, New York et Lon­dres, afin de mon­tr­er que la mode se con­stru­it et s’organise en dehors de l’Occident. C’est un réseau qui doit être glob­al, en repen­sant la chaîne en entier. »

L’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza en 2013, qui a fait plus de 1 130 mort·es à Dac­ca au Bangladesh, a son­né l’alerte sur les con­di­tions cat­a­strophiques dans lesquelles les mar­ques occi­den­tales font fab­ri­quer leurs pro­duits à l’autre bout du monde (lire notre reportage en Turquie et l’entretien avec Audrey Mil­let). Pour Mélody Thomas, c’est un enjeu de for­ma­tion : « La mode en France est lim­itée par les notions de méri­to­cratie et d’universalisme et tend à recruter les étudiant·es sur des critères très sélec­tifs avec des coûts d’admission élevés. L’idéologie française reste passéiste sur l’histoire du cos­tume, sans jamais évo­quer l’histoire des colonies ni les rap­ports Nord-Sud, ce qui per­me­t­trait pour­tant aux étudiant·es d’en savoir plus sur l’industrie qu’ils vont inté­gr­er. »

Au-delà de l’enseignement de l’histoire, il importe, pour décon­stru­ire les logiques d’oppression, de pren­dre en compte les réal­ités de genre, de cor­pu­lences et de cul­tures, en plus des ques­tions raciales. Les man­nequins sont « les clés pour une réelle évo­lu­tion, car ce sont celles qui voient tous les ressorts de cette indus­trie, des couliss­es aux médias, elles sont en con­tact avec tout le monde », estime Chris­telle Baki­ma Poundza, qui les replace au cen­tre de sa réflex­ion. Dans son essai Corps noirs. Réflex­ions sur la mode et les femmes noires, elle affirme : « L’industrie s’en sert comme faire-val­oir […] et n’hésite pas à enfer­mer ces femmes dans le nar­ratif uni­di­men­sion­nel de la jeune fille noire africaine sor­tie de la pau­vreté grâce au man­nequinat. » Une référence aux proces­sus de fétichi­sa­tion, d’animalisation et de misog­y­noir (lire l’encadré dans l’ar­ti­cle “L’aube d’un #MeToo pour les femmes racisées”) dont elles restent vic­times, à plus forte rai­son quand elles sont orig­i­naires d’Afrique, et plus pré­cisé­ment du Soudan du Sud, comme c’est très sou­vent le cas sur les podi­ums ces dernières années.


« L’idéologie française reste passéiste sur l’histoire du cos­tume, sans jamais évo­quer l’histoire des colonies ni des rap­ports Nord-Sud »

Mélody Thomas


Cer­taines ini­tia­tives, comme celle de la mai­son Chanel qui présente, depuis deux décen­nies, une col­lec­tion « métiers d’art » autour du savoir-faire des brodeuses, plumas­sières ou encore des modistes, vont dans la bonne direc­tion, souligne Khé­maïs Ben Lakhdar. Pour son vingtième anniver­saire, l’équipe de la direc­trice artis­tique Vir­ginie Viard (qui a annon­cé son départ en juin 2024) a choisi Dakar, au Séné­gal, pour présen­ter sa col­lec­tion. « Ils sont allés appren­dre auprès des arti­sans locaux, en décou­vrant que d’autres étaient sans doute mieux for­més, avec un réel savoir-faire », note l’historien.

Des emprunts culturels recontextualisés

Certain·es créateur·ices sem­blent être pour le moment les plus aptes à faire chang­er la vision d’un ancien monde. Mélody Thomas cite le créa­teur Raul Lopez, fon­da­teur de la mar­que Luar, « qui repense les ques­tions queer », tan­dis que Khé­maïs Ben Lakhdar salue l’approche « réflex­ive et arti­sanale » de Grace Wales Bon­ner : « Elle intè­gre la notion d’hybridité qui est une des notions clés de la pen­sée post­colo­niale, entre la Grande-Bre­tagne et la Jamaïque notam­ment. » Cette créa­trice, qui était pressen­tie pour repren­dre la mai­son Louis Vuit­ton, pro­pose après cha­cun de ses défilés une bib­li­ogra­phie et des infor­ma­tions appro­fondies afin de recon­tex­tu­alis­er les emprunts et inspi­ra­tions cul­turelles de ses créa­tions.

Pour Chris­telle Baki­ma Poundza, la per­son­ne qui pour­rait être véri­ta­ble­ment l’incarnation d’une mode décolo­niale, voire décolonisée est Mar­vin M’toumo. Cet artiste design­er, scéno­graphe, per­formeur, poète guade­loupéen, pro­pose une mode de haute cou­ture pluridis­ci­plinaire : « Il racon­te quelque chose dans ses col­lec­tions, qui sont des per­for­mances. C’est un acteur qui repense la mode avec des choses qui se voient. Son cast­ing, les espaces dans lesquels il présente ses col­lec­tions changent totale­ment le rap­port de qui regarde quoi », avance l’autrice.

Un rap­pel que la haute cou­ture hexag­o­nale n’est pas seule­ment une indus­trie, mais une insti­tu­tion qui se pense comme un héritage de tra­di­tions. « Il serait peut-être temps d’intégrer des chercheurs et penseurs aux stu­dios, sug­gère Khé­maïs Ben Lakhdar. Pour faire les bons liens et don­ner le bon con­texte. Alors, on pour­ra éventuelle­ment décolonis­er la mode. »


(1) La pra­tique du black­face (lit­térale­ment, « vis­age noir ») con­siste, pour une per­son­ne blanche, à se grimer en per­son­ne noire, soit pour se moquer, soit pour tir­er avan­tage de la cul­ture noire, comme le fai­saient aux États-Unis les jazzmen blancs.

(2) Dans ce spec­ta­cle qui a tourné en France en 1889 puis en 1905, des Nat­ifs et Natives américain·es étaient sommé·es de jouer leur pro­pre rôle de vaincu·es. Cette esthé­tique de west­ern a, par la suite, puis­sam­ment imprégné l’imaginaire occi­den­tal.

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Jennifer Padjemi

Journaliste culture et autrice de Féminismes et Pop Culture, paru en mars 2021 aux éditions Stock, elle s’intéresse à tous les phénomènes culturels qui façonnent notre époque et en particulier aux productions télévisées des années 1990 et 2000. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

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