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Nos mères, racines de mon féminisme

La mil­i­tante antiraciste Goun­do Diawara rend hom­mage aux femmes qui l’ont élevée. En marge de la société et des mou­ve­ments fémin­istes, elles ont inven­té des formes de sol­i­dar­ité qui nour­ris­sent aujourd’hui son engage­ment.
Publié le 21/10/2024

Modifié le 16/01/2025

Double-page dans La Déferlante #16
La chronique de Goun­do Diawara dans La Défer­lante #16

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Si je devais un jour écrire « mon » livre, une large par­tie de celui-ci porterait sur la vie de nos par­ents – celle de nos mères en par­ti­c­uli­er – et sur leur place dans cette société. Comme les écrivain·es Aya Cis­soko (N’ba, Cal­mann-Lévy, 2016) et Bal­la Fofana (La Prophétie de Dali, Gras­set, 2023) ou comme la doc­u­men­tariste Maïram Guis­sé (La Vie de ma mère, 2022), j’écrirais leur vie, leurs aven­tures, leurs regrets, leurs rêves et leurs vic­toires, afin que leurs voix réson­nent à l’infini dans la grande his­toire du monde.

J’écrirais, aus­si, com­ment cette société et ce sys­tème ont abîmé leurs corps, leurs mémoires, leurs hori­zons, sans jamais par­venir, heureuse­ment, à bris­er leur dig­nité.

Je dis « nos par­ents », car, bien que cha­cune de leur vie soit sin­gulière, ils et elles por­tent une his­toire com­mune, une his­toire qui témoigne de la manière dont l’humain habite cette terre et, ain­si, racon­te le monde. L’universel, pour moi, com­mence avec elles et eux.

Je dis aus­si « nos par­ents », « nos mères », car je viens d’une de ces cités-vil­lages où l’éducation était l’affaire de tous·tes, où l’immense majorité des adultes se sen­tait respon­s­able des enfants des autres autant que des leurs et où il n’y avait rien de plus pré­cieux et sécurisant. J’ai ain­si le priv­ilège d’avoir à la fois une seule et unique mère, qui m’a mise au monde, et tant d’autres, qui m’ont, avec elle, élevée.

Raconter l’amour et la tendresse

J’aimerais avoir le pou­voir de racon­ter toutes ces femmes pour faire explos­er le silence que cette société a voulu leur impos­er comme seule modal­ité pour qu’elles soient tolérées. Je les admire, les respecte et les aime, non pas pour leur trop grande capac­ité à « tout endur­er » et à se sac­ri­fi­er afin que le monde tourne, mais pour leur bravoure, pour tout ce qu’elles ont bâti ici comme sur leurs ter­res d’origine, pour la part de lumière qu’elles ont su trans­met­tre mal­gré des con­di­tions matérielles d’existence sou­vent dif­fi­ciles, et pour la ten­dresse de leurs cœurs, dans lesquels nous sommes nombreux·ses à tou­jours avoir trou­vé refuge.

Jeune adulte, je me demandais ce que le fémin­isme pou­vait faire pour et avec elles, où les situer dans ces com­bats et de quelle manière elles avaient, elles aus­si, con­tribué à amélior­er la con­di­tion de toutes les femmes. Dans cette société raciste et patri­ar­cale, ces femmes, nos mères, sont encore plus à la marge que nous, femmes français­es descen­dantes de l’immigration post­colo­niale, déjà mis­es de côté… Le fait que nos con­di­tions de femmes racisées aient longtemps con­sti­tué un angle mort dans les mou­ve­ments fémin­istes français – essen­tielle­ment portés par des femmes qui, au mieux, igno­raient notre réal­ité spé­ci­fique ou, au pire, adop­taient des pos­tures pater­nal­istes et racistes à notre égard – a sou­vent été (et demeure) un frein pour que nous nous en sen­tions proches.

Nos mères sont restées des « autres »

Car nous savons que c’est en par­tie l’exploitation des corps et de la force de tra­vail de nos mères qui a per­mis à d’autres femmes, priv­ilégiées et pour cer­taines se revendi­quant fémin­istes, de se libér­er de leur assig­na­tion au rôle domes­tique dans leur foy­er*. Et cela n’a été pos­si­ble que parce que la société tout entière voy­ait nos mères avant tout comme des immi­grées, non blanch­es, pau­vres, dont la valeur dépendait exclu­sive­ment de leur util­ité à la société cap­i­tal­iste. Le fait qu’elles soient aus­si des femmes n’a pas comp­té, même pour celles qui étaient en lutte pour l’égalité des droits. Leur « soror­ité » n’a jamais suf­fi à effac­er la race et la classe, nos mères sont restées des « Autres ».

Il a été dif­fi­cile de grandir en étant témoin des immenses con­tra­dic­tions de ce pays aux idéaux nobles et à la réal­ité si mis­érable, mais cela a finale­ment con­sti­tué une école des luttes assez effi­cace. Nos mères ont appris à ne compter que sur elles-mêmes, tout en dévelop­pant leurs pro­pres sys­tèmes d’entraide grâce aux­quels elles sont par­v­enues – non sans mal – à sub­venir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants ; à inve­stir leur argent si dure­ment gag­né et à assur­er une petite sécu­rité finan­cière grâce à des ton­tines ; ou encore à sur­vivre aux défis de la mater­nité en prenant soin les unes des autres (dès que l’une d’entre elles accouchait, les autres appor­taient à manger à tour de rôle, se chargeaient d’accompagner et de récupér­er les aîné·es à l’école, etc.). Rester fortes, ensem­ble, voilà ce dont il s’agissait. C’est dans ce mod­èle de soror­ité, ici et nulle part ailleurs, que se trou­vent les racines de mon fémin­isme.

Nos mères ont aus­si mené des luttes qui sont dev­enues poli­tiques, en per­pé­tu­ant un cer­tain nom­bre de leurs rites pour ne pas diluer leur iden­tité et ain­si nous enseign­er la fierté d’être nous-mêmes, en s’assurant de la trans­mis­sion de leurs savoirs et savoir-faire, en défen­dant les droits de leurs enfants à vivre libre­ment dans un pays qui avait fini par devenir aus­si le leur. Je pense à leur volon­té de con­tin­uer à par­ler leurs langues – même quand celles-ci étaient jugées respon­s­ables de l’échec sco­laire ­– à leur choix de ne pas fran­cis­er nos prénoms ; de main­tenir les bap­têmes per­me­t­tant d’inscrire chaque nou­velle nais­sance dans une lignée, les mariages, etc., comme autant de moments de résis­tance aux injonc­tions à « l’intégration ».

Prob­a­ble­ment mal­gré elles, elles nous ont égale­ment appris, à nous leurs filles, à ne jamais laiss­er per­son­ne entraver nos choix et notre quête d’indépendance… pas même elles. Je dis « prob­a­ble­ment mal­gré elles », car nous avons évolué dans des sys­tèmes de valeurs dif­férents, qui ont aus­si (évidem­ment) fait naître des incom­préhen­sions mutuelles. Si nos mères se sont battues pour que nous puis­sions avoir le choix, elles n’ont pas néces­saire­ment com­pris ceux que l’on fai­sait et avons con­tin­ué à faire, les ont ques­tion­nés sou­vent, réprou­vés par­fois, sans jamais per­dre de vue que nous étions une ver­sion d’elles-mêmes qu’elles avaient fab­riquée, quelque part entre leurs espoirs et leurs craintes.

En fin de compte, j’ai réal­isé que la ques­tion n’était pas de savoir si nos mères étaient « fémin­istes » ni ce qu’elles avaient apporté à la lutte, mais bien ce que les mou­ve­ments fémin­istes avaient fait pour et avec elles. Si la réponse est cer­taine­ment déce­vante, il fau­dra désor­mais faire mieux afin qu’aucune femme ne soit lais­sée sur le bord du chemin vers l’égalité. Être fortes, ensem­ble, ou rien. •

 

Goun­do Diawara est cose­cré­taire de l’association Front de mères, coautrice de l’ouvrage Nos enfants nous-mêmes. Manuel de parental­ité fémin­iste (Hors d’atteinte, 2024). Cette chronique est la troisième d’une série de qua­tre.

 


* Car­o­line Ibos, Qui gardera nos enfants ? Les nounous et les mères, Flam­mar­i­on, 2012.

Goundo Diawara

Cosecrétaire nationale de l’association Front de mères, militante des quartiers populaires, elle est également coautrice de l’ouvrage Nos enfants nous-mêmes, Manuel de parentalité féministe (Hors d’Atteinte, 2024). Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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