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Imane Khelif face à un cyberharcèlement mondialisé

Pen­dant les Jeux olympiques de Paris, la boxeuse algéri­enne a subi une vague mas­sive de haine en ligne sur fond de trans­pho­bie et de racisme. Des cyber­at­taques en par­tie déclenchées par des déc­la­ra­tions de per­son­nal­ités d’extrême droite des pays occi­den­taux.
Publié le 18/10/2024

Modifié le 14/02/2025

Collage de Nadia Diz Grana réalisé à partir de PHOTOS DE Photo12 / Alamy / Abaca Press, Kathy Hutchins /Shutterstock, Photo12 / Alamy / Steve Vas, Frederic Legrand-COMEO / Shutterstock, paparazzza / Shutterstock, X corp
Illus­tra­tion de Nadia Diz Grana pour La Défer­lante (image recadrée : le col­lage orig­i­nal a été réal­isé à par­tir de pho­tos de PHOTO12 / ALAMY / ABACA PRESS, KATHY HUTCHINS / SHUTTERSTOCK, PHOTO12 / ALAMY / STEVE VAS, FREDERIC LEGRAND-COMEO / SHUTTERSTOCK, PAPARAZZZA / SHUTTERSTOCK, X CORP

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

« Vous me haïssez, mais vous ne me con­nais­sez même pas », lâche la jeune boxeuse algéri­enne. Dans l’émission « Clique », sur Canal+, le 9 sep­tem­bre 2024, Imane Khe­lif revient pour la pre­mière fois sur le cyber­har­cèle­ment mas­sif dont elle a été vic­time quelques semaines aupar­a­vant. Hum­ble, elle racon­te son par­cours, de son enfance dans un petit vil­lage d’Algérie jusqu’aux Jeux olympiques de Paris, où elle décroche le 9 août 2024 la médaille d’or chez les moins de 66 kilos.

Au-delà de son titre, c’est aus­si pour le défer­lement de haine qu’elle a subi qu’elle est con­nue dans le monde entier. Tout com­mence le 1er août 2024 : la boxeuse ital­i­enne Angela Cari­ni aban­donne en huitième de finale au bout de 46 sec­on­des, après un direct d’Imane Khe­lif qui lui a « fait trop mal ». Elle quitte le ring sans saluer son adver­saire, et souf­fle : « Ce n’est pas juste. » L’image devient virale, et les réseaux soci­aux s’emballent.

Il n’en fal­lait pas plus pour que la dés­in­for­ma­tion s’installe : Imane Khe­lif ne serait pas vrai­ment une femme. « Les ath­lètes présen­tant des car­ac­téris­tiques mas­cu­lines ne devraient pas être autorisés à par­ticiper aux com­péti­tions féminines », argue Gior­gia Mel­oni, prési­dente du Con­seil ital­ien, fig­ure de l’extrême droite européenne (lire La Défer­lante n°15, août 2024). À sa suite, des per­son­nal­ités de la sphère con­ser­va­trice suiv­ies par des cen­taines de mil­liers d’abonné·es sur les réseaux soci­aux s’en mêlent : « Je garderai les hommes hors du sport féminin ! » s’empresse de promet­tre l’ancien prési­dent améri­cain Don­ald Trump sur son réseau Truth Social. Elon Musk, patron de X, com­mente d’un « absol­u­ment » le post de la nageuse états-uni­enne Riley Gaines affir­mant que « les hommes n’ont rien à faire dans le sport féminin ». Sur X tou­jours, l’autrice bri­tan­nique J. K. Rowl­ing, con­nue pour ses posi­tions trans­pho­bes, écrit : « Une image pour­rait-elle mieux résumer notre nou­veau mou­ve­ment pour les droits des hommes ? » sur une pho­to mon­trant Angela Cari­ni en pleurs. Imane Khe­lif est mas­sive­ment moquée, cri­tiquée et dén­i­grée. « C’est la pre­mière fig­ure de femme nord-africaine qui subit un cyber­har­cèle­ment de cette ampleur, dans un défer­lement de trans­pho­bie, de racisme, de sex­isme et de clas­sisme », observe la jour­nal­iste, réal­isatrice et autrice Nes­rine Slaoui. Si dès le 1er août, le Comité inter­na­tion­al olympique (CIO) répète qu’Imane Khe­lif est « née femme, enreg­istrée comme femme, vit sa vie en tant que femme, boxe en tant que femme », la vio­lence ne dimin­ue pas, au con­traire.

C’est qu’Imane Khe­lif ne répond pas aux injonc­tions qui pèsent sur elle. « C’est une femme, algéri­enne, musul­mane, excel­lant à l’échelle inter­na­tionale, dans une dis­ci­pline perçue comme mas­cu­line », résume Johan­na-Soraya Cayre Benam­rouche, mil­i­tante fémin­iste et cofon­da­trice de Fémin­istes con­tre le cyber­har­cèle­ment. Un mélange de racisme et de sex­isme typ­ique de l’arabomisogynie (1), selon le con­cept théorisé par Nes­rine Slaoui. Pour la doc­teure en sci­ences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion Nat­acha Lapey­roux, qui s’intéresse à la médi­ati­sa­tion des ath­lètes féminines, le cas d’Imane Khe­lif est emblé­ma­tique de ce qui est opposé aux sportives non blanch­es : « On accepte qu’elles box­ent, mais elles doivent mon­tr­er des gages de féminité, dans leur manière de vivre ou leur apparence physique. Les stéréo­types sont fondés sur des normes hétéros occi­den­tales qui imprèg­nent encore nos imag­i­naires. » Le corps d’Imane Khe­lif est passé au crible, de sa mus­cu­la­ture à sa coupe de cheveux. On lui demande de « prou­ver » sa féminité, de fournir tests ADN et cer­ti­fi­cats médi­caux, on spécule sur sa géné­tique et ses taux d’hormones. « Ce qui est arrivé à Imane Khe­lif est l’expression de la post­colo­nial­ité, des LGBT+phobies et du patri­ar­cat à une échelle glob­ale », ajoute Johan­na-Soraya Cayre Benam­rouche.

Dans le viseur : Les LGBT+, les racisé·es et les jeunes femmes

 

Ain­si, quelques jours après qu’Imane Khe­lif a rem­porté la médaille d’or, Aimée-Noël Mbiy­ozo, chercheuse de l’Institute for Secu­ri­ty Stud­ies (ISS) Africa, notait que « tous les cas con­nus de femmes ath­lètes dis­qual­i­fiées con­cer­naient des femmes du Sud glob­al, la plu­part […] d’Afrique (2) ». Elle cite les cas des ath­lètes africaines Cast­er Semenya, Mar­garet Wambui ou Max­im­i­la Imali, entravées dans leur car­rière depuis que la Fédéra­tion inter­na­tionale d’athlétisme a com­mencé, en 2019, à exclure les femmes ayant un taux de testostérone supérieur à 5 nanomoles par litre de sang. Pour pou­voir con­courir, elles doivent suiv­re un traite­ment invasif inhib­i­teur de testostérone. « Ces tests “de féminité” ont été une pra­tique racial­isée qui a impacté les femmes du Sud glob­al. Le CIO les a ban­nis, car ils sont non sci­en­tifiques et dégradants », com­mente Andrea Flo­rence, avo­cate et direc­trice de Sport & Rights Alliance, une coali­tion d’organisations qui lutte pour le respect des droits humains dans le sport.

À cette vio­lence insti­tu­tion­nelle s’ajoute la vio­lence en ligne que peu­vent subir non seule­ment les ath­lètes racisées, mais toute per­son­ne racisée présente en ligne. Dans une étude de Fémin­istes con­tre le cyber­har­cèle­ment et Ipsos réal­isée en 2022, 4 per­son­nes sur 10 déclar­ent avoir déjà été vic­times de cybervi­o­lences en France. Ces vio­lences visent en par­ti­c­uli­er les per­son­nes LGBT+ (85 %), les per­son­nes racisées (71 %) et les femmes de moins de 35 ans (65 %). Si cette haine est général­isée, la vio­lence est par­ti­c­ulière­ment forte sur cer­tains réseaux soci­aux : dans une étude d’Amnesty Inter­na­tion­al de 2018, on appre­nait que sur le réseau social X (encore appelé Twit­ter à ce moment-là), les femmes noires étaient 84 % plus sus­cep­ti­bles que les femmes blanch­es d’être men­tion­nées dans des tweets abusifs ou prob­lé­ma­tiques. « Les moyens numériques per­me­t­tent à des groupes soci­aux ayant un dénom­i­na­teur com­mun de se coor­don­ner et d’agir ensem­ble. La dématéri­al­i­sa­tion n’est pas à l’origine de cette haine, mais par­ticipe à objec­tiv­er les femmes et à les déshu­man­is­er », analyse Johan­na-Soraya Cayre Benam­rouche.

Ingérence internationale

 

Dans le cas d’Imane Khe­lif, les cyber­at­taques sont d’abord venues des États-Unis, de Grande-Bre­tagne, d’Italie, et plus générale­ment des pays occi­den­taux. Elles s’ancrent dans un cli­mat de trans­pho­bie ambiante, ali­men­té par des courants con­ser­va­teurs et réac­tion­naires vent debout con­tre les droits des per­son­nes trans. Ces courants se ser­vent des réseaux soci­aux pour propager dés­in­for­ma­tion et vio­lence. Cela se cristallise autour de la ques­tion du sport, alors que de nom­breuses délé­ga­tions sportives inter­dis­ent aux femmes trans de par­ticiper à des com­péti­tions, comme la fédéra­tion inter­na­tionale d’athlétisme ou celle d’échecs.


Le tweet de J. K. Rowl­ing dénonçant « le sourire nar­quois d’un homme qui se sait pro­tégé par un étab­lisse­ment sportif misog­y­ne », accom­pa­g­né d’une pho­to de la boxeuse, a dépassé les 122 mil­lions de vues.


 

Ce cyber­har­cèle­ment, explique la chercheuse Nat­acha Lapey­roux, s’intègre ain­si à « des straté­gies poli­tiques plus fortes : con­va­in­cus que l’Algérie aurait envoyé une femme trans aux Jeux olympiques, des cyber­harceleurs ont attaqué Imane Khe­lif sur ce mythe du “lob­by LGBT” ». Les JO, plus grand événe­ment sportif mon­di­al, font fig­ure d’aubaine. « Cela tombe sous le sens que les extrêmes droites utilisent cette affaire pour mon­tr­er leurs insécu­rités et leur racisme », com­mente ain­si Andrea Flo­rence. Cer­taines pub­li­ca­tions haineuses sur X atteignent des som­mets d’audience : par exem­ple, le tweet de J. K. Rowl­ing dénonçant « le sourire nar­quois d’un homme qui se sait pro­tégé par un étab­lisse­ment sportif misog­y­ne », accom­pa­g­né d’une pho­to de la boxeuse, a dépassé les 122 mil­lions de vues.

Cette polémique a rapi­de­ment pris une tour­nure géopoli­tique. Par­mi les argu­ments des détracteurs et détrac­tri­ces de la boxeuse algéri­enne : le fait qu’elle ait été exclue des Mon­di­aux de 2023 à New Del­hi par la Fédéra­tion inter­na­tionale de boxe (IBA) après un « test d’éligibilité » – une déci­sion con­testée par le CIO, au motif qu’elle a été « prise sans aucune procé­dure appro­priée ». L’IBA est une instance privée, non recon­nue par le CIO, notam­ment à cause de scan­dales d’arbitrages, de dettes et de traf­ic d’héroïne. Umar Krem­lev, son directeur général, est par ailleurs un proche de Vladimir Pou­tine. Après la vic­toire de Khe­lif, Krem­lev s’est dépêché de don­ner une con­férence de presse : il a reproché au prési­dent du CIO, Thomas Bach, de tuer le sport féminin et l’a traité de « sodomite en chef ». Sur la scène poli­tique et médi­a­tique russe, jusqu’aux plus hauts som­mets de l’État, les réac­tions ne se sont pas fait atten­dre : au début de sep­tem­bre 2024, Vladimir Pou­tine, sans nom­mer Imane Khe­lif, a qual­i­fié sa vic­toire d’« injuste » et a indiqué que « n’importe quel homme peut sim­ple­ment se déclar­er femme et par­ticiper à n’importe quelle com­péti­tion sans don­ner aux femmes la moin­dre chance de rem­porter des médailles, encore moins de pre­mières places ». Une manière d’alimenter le soft pow­er sur les ques­tions de genre qu’il exerce depuis des années : à tra­vers de nom­breuses lois anti-LGBT+, Pou­tine veut mon­tr­er son oppo­si­tion à un Occi­dent qu’il perçoit comme « sataniste » et déca­dent, opposé aux « valeurs tra­di­tion­nelles » qu’il défend. « On a fait d’Imane Khe­lif le sym­bole d’une idéolo­gie à com­bat­tre pour mieux impos­er le statu quo qui prône une vision essen­tial­iste du genre », résume Johan­na-Soraya Cayre Benam­rouche.

Selon Alice Apos­toly, spé­cial­iste de la diplo­matie fémin­iste et des ques­tions de genre à l’international, cofon­da­trice de l’Institut du genre en géopoli­tique, « on se retrou­ve avec deux blocs qui s’éloignent de plus en plus : l’un avec des pays qui sou­ti­en­nent les notions d’égalité de genre, et l’autre avec des pays qui s’y opposent ». Dans ce sec­ond bloc, on trou­ve des dirigeant·es d’extrême droite, qui lut­tent con­tre « l’idéologie du genre », des États-Unis de Trump au Brésil de Bol­sonaro, en pas­sant par la Russie de Pou­tine ou la Hon­grie d’Orbán et l’Italie de Gior­gia Mel­oni. « On assiste à une dia­boli­sa­tion du fémin­isme inter­sec­tion­nel qui facilite les attaques trans­pho­bes. Le genre est dans le viseur de ces puis­sances », insiste Alice Apos­toly.

 

Peu de cyberharceleurs sur le banc des prévenus

Les plaintes pour cybervi­o­lences sont peu nom­breuses à débouch­er sur un procès et don­nent sou­vent lieu à de longs et coû­teuses démarch­es pour les plaignant·es. Fréquem­ment vic­time de cam­pagnes de cyber­har­cèle­ment, la jour­nal­iste et essay­iste Rokhaya Dial­lo en sait quelque chose. À ce jour, un seul des procès qu’elle a inten­tés a abouti à une con­damna­tion : en 2014, le tri­bunal cor­rec­tion­nel de Paris a con­damné à 2 000 euros d’amende et 1 000 euros de dom­mages et intérêts un homme qui avait appelé à la vio­l­er sur le réseau Twit­ter.

Dernière­ment, deux autres cas médi­a­tiques en France ont toute­fois mon­tré que ces ques­tions sont davan­tage pris­es au sérieux. La jour­nal­iste Nadia Daam a été vic­time d’un cyber­har­cèle­ment mas­sif en 2017, à la suite d’une chronique qu’elle avait faite pour Europe 1 sur le forum jeuxvideo.com : des infor­ma­tions per­son­nelles ont été révélées, elle a reçu des cen­taines de men­aces de mort et de viol. Des attaques qui l’avaient for­cée à démé­nag­er. En 2019, un homme a été con­damné à cinq mois de prison avec sur­sis et 2 500 euros pour préju­dice moral. En 2022, la cour d’appel de Rennes a ajouté un sur­sis pro­ba­toire de trois ans, 4 000 euros de dom­mages et intérêts et l’obligation de se soumet­tre à des soins psy­chi­a­triques, pour men­ace de crime envers Nadia Daam et sa famille.

Durant l’hiver 2023–2024, c’est l’agente d’influenceur·euses Mag­a­li Berdah qui est vic­time de cyber­har­cèle­ment mas­sif, sex­iste et anti­sémite, à la suite des dénon­ci­a­tions du rappeur Boo­ba sur des arnaques com­mis­es par des influenceur·euses. Dans cette affaire, en mars 2024, 28 per­son­nes ont été jugées pour cyber­har­cèle­ment aggravé, men­aces de mort ou encore men­aces de crime, éco­pant de peines de prison allant jusqu’à un an ferme.

Cela se traduit notam­ment par l’émergence d’alliances transna­tionales pré­ten­dant pro­téger les « valeurs de la famille », une famille for­cé­ment hétéro­sex­uelle, cis­genre et si pos­si­ble catholique. Par exem­ple, en octo­bre 2020, une trentaine d’États ont signé la Déc­la­ra­tion de con­sen­sus de Genève, un texte d’alliance sans valeur juridique, qui vise à con­damn­er l’avortement. Par­mi ses sig­nataires, les États-Unis, la Pologne ou la Hon­grie, mais aus­si de nom­breux États africains, des pays du Golfe, le Brésil, le Paraguay, la Biélorussie, ou encore l’Indonésie (3). Les mou­ve­ments antifémin­istes et mas­culin­istes devi­en­nent globaux, organ­isés, hors ligne comme en ligne, en témoignent les attaques con­tre les fémin­istes en Corée du Sud (4), con­tre le droit à l’avortement ou con­tre les droits des familles homo­parentales et des per­son­nes trans dans de nom­breux pays.

La difficulté d’obtenir justice

 

Le 10 août 2024, Nabil Bou­di, avo­cat au bar­reau de Paris, annonce sur X qu’Imane Khe­lif a saisi son cab­i­net et a déposé plainte « pour des faits de cyber­har­cèle­ment aggravé auprès du pôle de lutte con­tre la haine en ligne du par­quet de Paris ». Ce dernier a ouvert une enquête prélim­i­naire pour har­cèle­ment aggravé et injure publique en rai­son du genre et de l’origine et provo­ca­tion publique à la dis­crim­i­na­tion. Car si le cyber­har­cèle­ment a été inter­na­tion­al et s’est, par déf­i­ni­tion, pro­duit en ligne, c’est en France qu’Imane Khe­lif a porté plainte : c’est là où elle se trou­vait au moment où les abus ont été per­pétrés. Il se trou­ve que « la France est l’un des pays au monde dont le dis­posi­tif légal est le plus avancé autour des cybervi­o­lences. Cer­tains dis­cours sont juridique­ment recon­nus comme vio­lents et pou­vant causer des dom­mages et des préju­dices », indique Ket­sia Mutombo, de Fémin­istes con­tre le cyber­har­cèle­ment.

Reste à savoir si Imane Khe­lif obtien­dra répa­ra­tion. Rien n’est moins sûr. En effet, les cybervi­o­lences, quand elles sont rap­portées, sont peu con­damnées. « Notre étude de 2022 mon­tre qu’une vic­time sur trois s’est vu refuser le dépôt de plainte, et que seule­ment 30 % des plaintes ont abouti à l’ouverture de pour­suites », indique Ket­sia Mutombo. En cause, le manque de for­ma­tion des forces de l’ordre et de la jus­tice sur les cybervi­o­lences, sou­vent con­sid­érées comme moins graves que les autres, et donc moins pri­or­i­taires. Pour les cas dont les auteur·ices et les vic­times provi­en­nent de pays dif­férents, l’affaire est encore plus com­plexe : les juri­dic­tions nationales se ren­voient la balle, ne s’estimant par­fois pas com­pé­tentes, tan­dis que cer­taines lois nationales sont encore en retard par rap­port à la réal­ité d’Internet. De plus, les instances de pro­tec­tion des vic­times con­tre la haine en ligne man­quent sou­vent de moyens, à l’instar de la plate­forme Pharos (5), qui ne compte qu’une cinquan­taine d’enquêteur·ices pour des mil­liers de sig­nale­ments chaque mois.

Pour les vic­times français­es de cybervi­o­lences, cer­taines asso­ci­a­tions, comme France Vic­times, e‑Enfance ou la Fon­da­tion des femmes, pro­posent des aides juridiques, mais sou­vent les procé­dures sont longues, mal­gré l’existence de preuves. Si cer­taines affaires médi­a­tiques, comme celles de la jour­nal­iste Nadia Daam ou de l’agente d’influenceur·euses Mag­a­li Berdah (lire l’encadré ci-con­tre), ont pu mon­tr­er que la jus­tice prend de plus en plus en compte les cas de cybervi­o­lences, la route reste longue. « Les voies judi­ci­aires peu­vent être coû­teuses, épuisantes, trau­ma­ti­santes, soupire Andrea Flo­rence. Si Imane Khe­lif choisit la voie légale et que ça lui per­met de guérir, je l’encourage. Mais pour beau­coup de vic­times, la jus­tice n’est pas tou­jours signe d’apaisement. » •

Cet arti­cle a été édité par Mathilde Blézat.


(1) Nes­rine Slaoui, Notre dig­nité. Un fémin­isme pour les Maghrébines en milieux hos­tiles (Stock, 2024). Inspirée de la notion de « misog­y­noir » [lire l’encadré page 39], l’arabomisogynie désigne l’intersection du racisme et du sex­isme que subis­sent les femmes arabes ou perçues comme telles.

(2) Aimée-Noël Mbiy­ozo, « Quand les ath­lètes africaines seront-elles assez féminines ? », ISS Today, 13 août 2024.

(3) Les États-Unis et le Brésil ont, depuis, retiré leur sig­na­ture.

(4) En Corée du Sud, les mou­ve­ments mas­culin­istes se ren­for­cent depuis plusieurs années. Voir aus­si la carte page 10, et le port­fo­lio d’Agnès Dher­beys dans notre numéro 15, « Résis­ter en fémin­istes », août 2024.

 

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Pauline Ferrari

Journaliste freelance, spécialiste des questions de genre et des cultures web, elle signe dans ces pages  une enquête sur les influenceurs masculinistes. Elle est l’autrice de  Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux (JC Lattès, 2023). Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

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