Warning: Undefined variable $article in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/divi-child/functions.php on line 400

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

« La question du genre joue un rôle clé dans le discours raciste »

Spé­cial­istes des par­tis d’extrême droite, les soci­o­logues Non­na May­er et Francesca Scrinzi inter­ro­gent les exem­ples français et ital­ien pour com­pren­dre la place des femmes (élec­tri­ces ou élues) dans la stratégie de nor­mal­i­sa­tion de ces for­ma­tions. Elles appel­lent égale­ment à la vig­i­lance quant aux mots util­isés pour les désign­er.
Publié le 26/07/2024

Modifié le 16/01/2025

France, paris, 12-06-2021. Manifestation pour les libertés et contre les idées d'extrême droite, en particulier contre le racisme, le sexisme, l'insécurité sociale et pour une égalité des droits. Crédit : Fiora Garenzi / Hans Lucas.
France, paris, 12-06-2021. Man­i­fes­ta­tion pour les lib­ertés et con­tre les idées d’ex­trême droite, en par­ti­c­uli­er con­tre le racisme, le sex­isme, l’in­sécu­rité sociale et pour une égal­ité des droits. Crédit : Fio­ra Garen­zi / Hans Lucas.

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Il y a une pro­fu­sion de ter­mes pour désign­er l’extrême droite : « iden­ti­taires », « pop­ulistes », « fas­cistes », « post-fas­ciste », « néo-con­ser­va­teurs », « droite rad­i­cale »… Existe-t-il une telle diver­sité au sein de ce courant poli­tique ?

NONNA MAYER C’est un très vieux débat. En 1996, le poli­to­logue néer­landais Cas Mud­de recen­sait 58 manières dif­férentes de définir les extrêmes droites ! Ces dernières ont tou­jours con­testé la qual­i­fi­ca­tion d’« extrême droite » pour chercher à se démar­quer des droites col­lab­o­ra­tionnistes, nazies ou fas­cistes.

Elles se rassem­blent sur l’autoritarisme – elles sont par­ti­sanes de la manière forte – et le « nativisme », un mélange de nation­al­isme et de xéno­pho­bie. Si l’on veut faire une dis­tinc­tion, il y a celles qui se pla­cent hors du jeu insti­tu­tion­nel, comme les iden­ti­taires, et celles en rup­ture avec les valeurs démoc­ra­tiques mais qui jouent le jeu par­lemen­taire, comme le Rassem­ble­ment nation­al (RN). Cette option-là est, désor­mais, sou­vent qual­i­fiée d’« illibérale ».

L’expression « droite rad­i­cale pop­uliste » s’est imposée pour décrire ces par­tis dans le champ académique. Cela résume leur posi­tion­nement dans les insti­tu­tions : plus à droite que tous les autres par­tis.

FRANCESCA SCRINZI L’usage de toutes ces caté­gories pose prob­lème s’il n’est pas con­tex­tu­al­isé de manière cri­tique. Quand la caté­gorie « pop­uliste » est util­isée pour qual­i­fi­er l’extrême droite, les class­es pop­u­laires sont, dans un même mou­ve­ment, désignées. Ce n’est pas anodin, alors que l’électorat de l’extrême droite ne s’y can­tonne pas.

Désign­er ces for­ma­tions par le terme « extrême droite » dans l’espace médi­a­tique est-il impor­tant ?

FRANCESCA SCRINZI Les caté­gories changent selon les aires géo­graphiques, poli­tiques ou cul­turelles : droite et gauche ne sont pas exacte­ment la même chose selon l’endroit du monde où on se place. Les par­tis d’extrême droite mobilisent des thèmes de la gauche comme la ques­tion de l’égalité entre les sex­es mais réaf­fir­ment l’essentialisme de genre (1). La vision iné­gal­i­taire se main­tient. Il y a donc un enjeu à grat­ter leur dis­cours pour désign­er les for­ma­tions d’extrême droite.

Par son par­cours, son absence à La Manif pour tous et son pro­fil de mère céli­bataire dirigeante d’un par­ti, Marine Le Pen incar­ne une rup­ture avec la vision tra­di­tion­al­iste de la famille. L’assignation des femmes au soin de la famille et aux tâch­es domes­tiques ne fait-elle plus par­tie des valeurs du Rassem­ble­ment nation­al ?

NONNA MAYER Marine Le Pen n’incarne pas la défense de la morale tra­di­tion­nelle, mais les droits des femmes restent mar­gin­aux dans son pro­gramme, abor­dés unique­ment au prisme de la famille ou du dan­ger que représen­teraient les étrangers.

Ce qui soude et déter­mine le vote pour le Rassem­ble­ment nation­al, c’est l’idée qu’il y aurait trop d’immigré·es en France. Ce qui écrase tout, c’est les sujets de l’immigration et d’un islam dia­bolisé, qui vien­nent répon­dre à la peur du déclasse­ment : la classe affleure dans ce vote, mais retraduite au prisme de l’identité et de la préférence nationale.

Sur le sujet de l’homosexualité, Marine Le Pen a mis fin aux hor­reurs que proférait son père. Sébastien Chenu [porte-parole du RN] et Flo­ri­an Philip­pot [ancien vice-prési­dent du FN, il a quit­té le par­ti en 2017], qui sont gays, incar­nent eux aus­si cette rup­ture. Pour­tant, l’électorat du RN reste intolérant – à peine un peu moins que celui des Répub­li­cains (LR) – aux ques­tions de genre, aux droits des femmes ou des per­son­nes LGBT+.

Marine Le Pen doit tenir ensem­ble des catholiques tra­di­tion­al­istes et des athées : elle sait qu’elle ne peut pas les soud­er autour des ques­tions de genre. Le RN s’est accordé pour ne pas cliv­er sur ce sujet : toutes les posi­tions cohab­itent, adossées à un pro­gramme qui reste tra­di­tion­al­iste, antifemme et anti-LGBT+. Au Par­lement européen, les députés RN ne votent jamais sur les mesures qui sont cen­sées ren­forcer les droits des femmes.

Sur les ques­tions fémin­istes, Marine Le Pen main­tient un pro­gramme min­i­mal­iste. Son pro­fil fait le tra­vail d’incarnation suff­isant pour que les électeur·ices y pro­jet­tent ce qu’elles ou ils veu­lent. Elle a gag­né cette bataille de l’image.

Le 11 avril 2024, lors d’une session du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, des élus du Rassemblement national brandissent une pancarte « Violeurs étrangers dehors ». Ils affichent ainsi leur soutien aux militantes identitaires du collectif Némésis, contre qui la maire de Besançon a porté plainte après qu’elles ont mené une action similaire un mois plus tôt.TARDIVON JC / MAXPPP

Le 11 avril 2024, lors d’une ses­sion du con­seil région­al de Bour­gogne-Franche-Comté, des élus du Rassem­ble­ment nation­al bran­dis­sent une pan­car­te « Vio­leurs étrangers dehors ». Ils affichent ain­si leur sou­tien aux mil­i­tantes iden­ti­taires du col­lec­tif Némé­sis, con­tre qui la maire de Besançon a porté plainte après qu’elles ont mené une action sim­i­laire un mois plus tôt. TARDIVON JC / MAXPPP

FRANCESCA SCRINZI Les par­tis d’extrême droite européens met­tent en avant les femmes pour motiv­er les électeurs et les élec­tri­ces. Par exem­ple, en Ital­ie, la Ligue du Nord a pro­posé des mesures comme la cas­tra­tion chim­ique des vio­leurs, mon­trant qu’ils et elles n’ignorent pas le sujet. Ces mesures visent à crim­i­nalis­er, indi­vid­u­alis­er et racialis­er les vio­lences, sans les voir comme un prob­lème struc­turel lié aux iné­gal­ités de genre. La racial­i­sa­tion du sex­isme n’est pas qu’un dis­cours, ce sont aus­si des
poli­tiques publiques.

Qu’est-ce que la « racial­i­sa­tion du sex­isme » ?

FRANCESCA SCRINZI Une affiche de l’AfD [le par­ti de l’extrême droite par­lemen­taire alle­mande] mon­tre deux femmes en mail­lot de bain accom­pa­g­nées du slo­gan : « Bur­ka ? Nous préférons le biki­ni ! ». Cela résume tout à fait ce con­cept. Les migrant·es et leurs descendant·es sont présenté·es comme issu·es d’une cul­ture qui serait inférieure, pré­mod­erne et patri­ar­cale alors que les sociétés d’accueil sont décrites comme ayant obtenu l’émancipation des femmes et l’égalité entre les sex­es. Cette racial­i­sa­tion du sex­isme con­stitue une ressource pour nor­malis­er les idées et l’agenda anti­-immi­gra­tion.

Le genre joue un rôle clé dans le dis­cours raciste con­tem­po­rain fondé sur le cul­tur­al­isme (2).
Cette racial­i­sa­tion du sex­isme passe aus­si par l’hypervisibilisation des vio­lences dans l’espace pub­lic, alors que la majorité des vio­lences de genre se déroulent dans l’espace domes­tique. Ce dis­cours raciste masque le fait que les vio­lences faites aux femmes exis­tent large­ment dans la société d’accueil, indépen­dam­ment de l’immigration. Ce mécan­isme de dis­cours survis­i­bilise cer­tains hommes sup­posés être intrin­sèque­ment vio­leurs ou vio­lents et pro­tège les hommes appar­tenant au groupe majori­taire en invis­i­bil­isant les vio­lences qu’ils per­pétuent.

Dans ce dis­cours, les femmes en tant que groupe, exis­tent unique­ment comme vic­times de vio­lences, pas­sives, dépen­dantes des hommes pour les défendre. Finale­ment, ce mécan­isme de dis­cours raciste repro­duit l’idéologie sex­iste, comme cette affiche de l’AfD, qui procède d’une objec­ti­fi­ca­tion sex­u­al­isante des femmes, tout en pré­ten­dant défendre leurs intérêts.

NONNA MAYER J’ajouterais que « racial­i­sa­tion » est ici enten­du dans un sens large. Les musul­mans, en tant que tels, en sont les cibles prin­ci­pales en Europe, où l’islam est con­stru­it comme enne­mi spé­ci­fique dans la pré­ten­due « guerre des civil­i­sa­tions ».

Les extrêmes droites sont loin d’être les uniques pour­voyeuses de ce type d’analyse, mais, de tous les par­tis, ils sont ceux qui utilisent cette lec­ture de la manière la plus sys­té­ma­tique. Tous leurs con­tenus pro­gram­ma­tiques – droit des femmes, écolo­gie, droits soci­aux – sont passés au prisme de la préférence nationale, qui est aus­si « cul­turelle ».

Cer­tains groupes mil­i­tants tels que Némé­sis ou Les Antigones et des fig­ures médi­a­tiques comme Eugénie Bastié revendiquent un « fémin­isme de droite » qui s’articule pré­cisé­ment autour du con­cept de racial­i­sa­tion du sex­isme. S’agit-il en réal­ité d’un fémin­isme d’extrême droite ?

NONNA MAYER Ces groupes ou ces fig­ures ont émergé lors des mobil­i­sa­tions con­tre le mariage pour tous·tes : c’est vrai­ment un contre­mouvement lié au suc­cès même des thès­es fémin­istes, notam­ment dans la jeunesse. Ces femmes ne veu­lent pas laiss­er le fémin­isme à la gauche et à l’extrême gauche.

Hors des par­tis, Némé­sis ou Les Antigones pro­posent une ligne de com­bat cul­turel : elles préfèrent organ­is­er des actions médi­atisées, et investis­sent une autre manière de faire de la poli­tique. Cer­taines ont un fort mépris pour un par­ti comme le Rassem­ble­ment nation­al : de ce point de vue-là, on peut voir qu’il existe des ten­sions au sein des extrêmes droites sur la manière de con­sid­ér­er le sujet du genre, les femmes et les droits des femmes.

Ces ten­sions se déploient aus­si au sein du RN. Il y a eu un vote au Par­lement réu­ni en con­grès [le 4 mars 2024] pour inscrire la lib­erté d’avorter dans la Con­sti­tu­tion : 46 député·es RN ont voté pour, 11 ont voté con­tre, et 20 se sont abstenu·es. Il est toléré qu’il y ait des désac­cords sur le sujet. Le sujet du genre n’est pas fon­da­men­tal à l’extrême droite : Marine Le Pen laisse toute lib­erté, alors qu’il y a une dis­ci­pline assez stricte sur d’autres sujets, comme l’immigration, la préférence nationale ou l’Europe.

Entre Éric Zem­mour et Marine Le Pen, la ques­tion du genre est appréhendée de manière très dif­férente. Qu’est-ce que cela racon­te ?

NONNA MAYER Éric Zem­mour est ouverte­ment sex­iste et mas­culin­iste, comme l’était Jean-Marie Le Pen, tan­dis que Marine Le Pen se dit qua­si fémin­iste. Cepen­dant, la vision du genre n’est pas le seul sujet qui dis­tingue Recon­quête ! du Rassem­ble­ment nation­al.

S’ils sont nation­al­istes, autori­taires et xéno­phobes tous les deux, leur niveau de rad­i­cal­ité les dif­féren­cie. Ain­si sur l’immigration, Éric Zem­mour défend l’idée qu’il existe un risque de « grand rem­place­ment » et qu’une « rem­i­gra­tion (3) » est néces­saire alors que Marine Le Pen y est claire­ment hos­tile. Et les cam­pagnes d’Éric Zem­mour sont émail­lées
de vio­lences.

Regarder vers l’Italie per­met de voir que le genre n’est pas l’angle le plus effi­cace pour dis­tinguer les for­ma­tions d’extrême droite entre elles. Restreignant les droits des mères les­bi­ennes ou l’accès à l’avortement, Gior­gia Mel­oni se situe presque sur la même ligne qu’Éric Zem­mour [lire l’article de Rozenn Le Car­boulec]. Pour­tant, son par­ti, Fratel­li d’Italia [Frères d’Italie], n’est pas con­sid­éré comme « plus extrémiste » que d’autres for­ma­tions d’extrême droite européennes. Il a fourni une Pre­mière min­istre plutôt atlantiste et inté­grée dans l’Union européenne. C’est même Gior­gia Mel­oni qui refuse de fray­er avec Marine Le Pen, qu’elle juge trop extrême.

FRANCESCA SCRINZI Je suis d’accord. En 2019, Mat­teo Salvi­ni et Gior­gia Mel­oni, leadeur·euses de par­tis d’extrême droite, se sont allié·es au « mou­ve­ment anti­genre » lors du Con­grès mon­di­al des familles, à Vérone. Sur l’immigration, leurs dis­cours sont sim­i­laires. C’est leur rap­port aux insti­tu­tions qui les dis­tingue : Fratel­li d’Italia, héri­ti­er du par­ti Allean­za Nazionale (Alliance nationale), affiche un respect pour l’État, alors que la Lega Nord (Ligue du Nord) s’est con­stru­ite sur une base eth­noré­gion­al­iste et d’opposition séces­sion­niste à l’État cen­tral. Aujourd’hui, la Ligue du Nord est un par­ti anti­sys­tème alors que le par­ti de Mel­oni est un par­ti de gou­verne­ment.

Jusqu’en 1999 avaient lieu au château de Neuvy-sur-Barangeon, dans le Cher, des camps d’été pour des jeunes de 8 à 14 ans organisés par Roger Holeindre, membre fondateur du Front national. Au programme de ces colonies très politiques : lever du drapeau au garde-à-vous et apprentissage de chants folkloriques et militaires. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU

Jusqu’en 1999 avaient lieu au château de Neu­vy-sur-Barangeon, dans le Cher, des camps d’été pour des jeunes de 8 à 14 ans organ­isés par Roger Holein­dre, mem­bre fon­da­teur du Front nation­al. Au pro­gramme de ces colonies très poli­tiques : lever du dra­peau au garde-à-vous et appren­tis­sage de chants folk­loriques et mil­i­taires. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU

 

Avec le développe­ment du cap­i­tal­isme indus­triel, les posi­tions de ces par­tis sur le tra­vail féminin ont évolué. Vous détaillez cette tran­si­tion dans votre livre, Francesca Scrinzi. Pou­vez-vous nous l’expliquer ?

FRANCESCA SCRINZI Longtemps, de nom­breux mou­ve­ments d’extrême droite en Europe ont soutenu le retour des femmes à la mai­son. Mais au cours du XIXe siè­cle, cer­tains de ces mou­ve­ments ont dû mod­i­fi­er leurs posi­tions en accep­tant le salari­at féminin et la pro­gres­sion de la par­tic­i­pa­tion fémi­nine à la sphère publique en général.

Aujourd’hui, selon le con­texte, l’extrême droite s’adapte à ce nou­veau « régime de genre néolibéral ». Prin­ci­pales pour­voyeuses de tra­vail domes­tique, les femmes se trou­vent au cœur d’une ten­sion. L’extrême droite est tou­jours opposée à l’égalité et main­tient une vision essen­tial­iste des rap­ports entre les sex­es, mais son dis­cours s’est recon­fig­uré en inté­grant le salari­at des femmes – sans pour autant renon­cer à la pro­mo­tion du « retour au foy­er » comme devant être une pos­si­bil­ité pour les femmes qui le souhait­ent. Dans ce nou­veau dis­cours, les étranger·es sont désigné·es comme cibles incar­nant la con­cur­rence vis-à-vis des femmes pour l’accès aux allo­ca­tions et aux ser­vices publics.

L’idéologie famil­ial­iste per­dure. L’extrême droite célèbre encore les mères. Cela peut ren­con­tr­er une réso­nance chez les femmes des class­es pop­u­laires, pré­carisées sur le marché de l’emploi. Militer à l’extrême droite peut, aus­si, être envis­agé par cer­taines femmes comme de l’empouvoirement. Cela leur per­met d’accéder à une respectabil­ité et à une social­i­sa­tion en dehors de l’espace domes­tique, sans rompre avec les mod­èles de féminité tra­di­tion­nels mais en y ajoutant l’autonomie indi­vidu­elle.

L’individualisme con­stitue un autre pili­er – néolibéral – de l’approche pro­posée par ces par­tis en matière de genre : leurs dis­cours reposent sur un réper­toire néolibéral dans lequel les iné­gal­ités entre les sex­es sont con­sid­érées comme des prob­lèmes cul­turels qu’il revient aux femmes de résoudre dans la sphère privée, au sein de leur cou­ple.


« L’extrême droite célèbre encore les mères. Cela peut ren­con­tr­er une réso­nance chez les femmes des class­es pop­u­laires, pré­carisées sur le marché de l’emploi. »

Francesca Scrinzi


 

Gior­gia Mel­oni en Ital­ie, Marine Le Pen en France, Alice Wei­del en Alle­magne, Pia Kjærs­gaard au Dane­mark… Nom­bre de représentant·es de l’extrême droite sont des femmes. Com­ment l’expliquez-vous ?

NONNA MAYER Ces par­tis ont com­pris qu’ils ne pou­vaient pas rester entière­ment mas­culins, mais les trans­for­ma­tions restent de façade. Aux fonc­tions de respon­s­abil­ité, les hommes sont tou­jours majori­taires.
À l’échelle des organ­i­sa­tions, il y a un dou­ble mou­ve­ment. Depuis trente ans, des mil­i­tantes veu­lent sor­tir de la cui­sine pour tracter, coller des affich­es. Les direc­tions cherchent à gag­n­er des élec­tri­ces en met­tant des femmes en avant. Le vieux stéréo­type sur la sup­posée douceur des femmes est tou­jours vivace : les ren­dre plus vis­i­bles, c’est ras­sur­er quant au rap­port de ces par­tis à la vio­lence.

Cette dévir­il­i­sa­tion sert-elle de levi­er à la dédi­a­boli­sa­tion de l’extrême droite ?

NONNA MAYER Je n’utiliserais pas le terme « dédi­a­boli­sa­tion », forgé par Marine Le Pen elle-même. Je préfère « nor­mal­i­sa­tion ». Au cœur de cette stratégie, il y a deux élé­ments. En pre­mier lieu, la prise de dis­tance avec l’antisémitisme, pour les raisons que j’évoquais au début : se dis­tinguer des extrêmes droites d’avant-guerre. L’antisémitisme est devenu une ligne rouge. Cela a mené à l’exclusion de Jean-Marie Le Pen lui-même, pour avoir réitéré ses pro­pos qual­i­fi­ant les cham­bres à gaz de « détail de l’histoire de la Sec­onde Guerre mon­di­ale » dans un entre­tien à Rivarol en 2015. C’est par cette prise de dis­tance que le Front nation­al a décidé d’entrer dans le club des par­tis respecta­bles.

Le deux­ième élé­ment de cette stratégie con­siste à gom­mer l’image vio­lente du par­ti. Ici, la fémin­i­sa­tion joue un rôle. Depuis 2012, Marine Le Pen s’adresse très claire­ment à l’électorat féminin. Elle se présente comme une femme, une Française, une mère qui a élevé ses enfants seule, ayant eu plusieurs com­pagnons, tra­vail­lant et aspi­rant à devenir une « femme d’État ». Elle sug­gère ain­si qu’elle veut don­ner du pou­voir aux femmes sans avoir besoin de le for­muler explicite­ment. Elle joue énor­mé­ment là-dessus : dans son auto­bi­ogra­phie [À con­tre flots, édi­tions Granch­er, 2011] elle se définis­sait déjà comme « qua­si fémin­iste ». Elle retourne les argu­ments qui l’accusent d’être raciste ou réac­tion­naire en se présen­tant comme une défenseuse des femmes con­tre la men­ace islamiste et celle des étrangers, décrits comme des vio­leurs en puis­sance.

FRANCESCA SCRINZI L’avantage des dirigeantes d’extrême droite, c’est qu’elles peu­vent jouer non seule­ment sur les stéréo­types sex­istes de la domes­tic­ité en même temps que sur la mas­culin­i­sa­tion de leur image. Gior­gia Mel­oni se présente comme mère, mais aus­si comme une pro­fes­sion­nelle, qui s’est faite par elle-même. Elle racon­te que, lorsqu’elle était enceinte, on a ten­té de la dis­suad­er d’être can­di­date à la mairie de Rome. Elle se présente comme une femme forte, qui tra­vaille dur, qui a réus­si parce qu’elle « en veut ». En Ital­ie, beau­coup dis­ent qu’elle a « des couilles ».

NONNA MAYER La soci­o­logue Dorit Geva mon­tre bien com­ment les femmes pop­ulistes jouent sur tous les tableaux : fille, mère, cap­i­taine. Plutôt que la dévir­il­i­sa­tion, c’est la mise à dis­tance de la vio­lence qui compte. Marine Le Pen était très hos­tile aux entraîne­ments sportifs, qua­si mil­i­taires, organ­isés par Roger Holein­dre jusqu’à la fin des années 1990 pour les jeunes du par­ti, dans son château de Neu­vy-sur-Barangeon (Cher). Cette oppo­si­tion a fait des remous à l’intérieur du par­ti.

 


« Les par­tis d’extrême droite ont com­pris qu’ils ne pou­vaient pas rester entière­ment mas­culins, mais aux fonc­tions de respon­s­abil­ité, les hommes sont tou­jours majori­taires. »

Non­na May­er


 

L’installation de fig­ures féminines d’extrême droite dans le paysage élec­toral a‑t-elle poussé les femmes à davan­tage vot­er pour ces par­tis ?

NONNA MAYER Longtemps, les femmes qui votaient pour ou s’engageaient au Front nation­al étaient des « femmes de » ou des « filles de ». On com­mence à en voir qui vien­nent de leur pro­pre ini­tia­tive, même si le par­ti accueille encore peu de mil­i­tantes. Met­tre des fig­ures féminines en avant pour réduire l’écart entre la pro­por­tion d’hommes et de femmes qui votent pour ces par­tis n’est pas la for­mule mag­ique. Le con­texte poli­tique et cul­turel joue un rôle bien plus fon­da­men­tal.

Les pays les plus égal­i­taires en matière de genre sont les pays scan­di­naves : c’est là que ce rad­i­cal right gen­der gap [RRGP, le fos­sé de genre dans le vote d’extrême droite] est le plus impor­tant. Un con­texte égal­i­taire fait que les femmes sont moins enclines à vot­er pour ces par­tis, alors que les hommes se sen­tent davan­tage men­acés par l’émancipation des femmes et ont ten­dance à être plus nom­breux à vot­er pour l’extrême droite. Là où l’émancipation a été plus lente, comme en Ital­ie ou en France, ce fos­sé est plus mince. Cette don­née est bien plus impor­tante pour com­pren­dre le gen­der gap.

Le gen­der gap dépend aus­si de l’histoire religieuse des sociétés. La reli­gion est générale­ment asso­ciée à une vision con­ser­va­trice du rôle des femmes. En France, pays de tra­di­tion catholique, mais laïc, ce sont les catholiques non pra­ti­quantes qui votent le plus pour Marine Le Pen – les plus pra­ti­quantes votent pour la droite tra­di­tion­nelle et les athées pour la gauche. Je ne pense pas que ce soit comme ça en Ital­ie.

FRANCESCA SCRINZI La reli­gion est une dimen­sion impor­tante en effet. Sur la ques­tion des vio­lences con­tre les femmes, par exem­ple, Gior­gia Mel­oni a pris des mesures. Répres­sives, mais des mesures. Par con­tre, sur le sujet des droits repro­duc­tifs, c’est l’inverse : les asso­ci­a­tions anti­a­vorte­ment reçoivent même des sub­ven­tions pour inter­venir dans les plan­nings famil­i­aux ou les ser­vices publics.
Les dis­cours de l’extrême droite en Ital­ie et en France reposent sur les mêmes leviers, mais se car­ac­térisent par des réper­toires spé­ci­fique­ment nationaux. •

Entre­tien réal­isé le 22 mai 2024 en visio­con­férence.


1. La pen­sée essen­tial­iste affirme que, en rai­son de leurs car­ac­tères biologiques pro­pres, femmes et hommes présen­tent des qual­ités et des com­pé­tences dif­férentes.

2. Le terme désigne la ten­dance des think tanks d’extrême droite, depuis la fin des années 1970, à sub­stituer des caté­gories « cul­turelles » ou « eth­niques » aux caté­gories raciales fondées sur la biolo­gie, pour créer, désign­er, essen­tialis­er et hiérar­chis­er les groupes humains.

3. La notion de « grand rem­place­ment » est définie dans notre glos­saire. La notion de « rem­i­gra­tion » lui fait écho : des groupes d’extrême droite plaident pour que les États organ­isent la dépor­ta­tion des immigré·es non blanc·hes et de leurs descendant·es hors du ter­ri­toire européen.

Les mots importants

« Radical right gender gap »

Cette expres­sion a été employée pour la pre­mière...

Lire plus

Sarah Benichou

Historienne et politiste de formation, Sarah Benichou se passionne pour l’enquête historique. En tant que journaliste indépendante, elle s’intéresse en particulier à l’extrême droite, au colonialisme, aux expériences juives et aux liens qu’entretiennent les femmes avec les instances de pouvoir. Elle est membre du collectif Youpress. Voir tous ses articles

Emmanuelle Josse

Ancienne consultante dans l’édition et la communication et cofondatrice du P.A.F – Collectif pour une parentalité féministe. Cofondatrice, corédactrice en chef, elle est en charge, depuis Paris, des relations libraires et de la maison d’édition. Voir tous ses articles

Résister en féministes

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107