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Parce qu’elles étaient femmes

Le 6 décem­bre 1989, un homme armé d’une cara­bine semi-automa­tique entre dans les locaux de l’École poly­tech­nique de Mon­tréal et tue qua­torze étu­di­antes. « J’haïs les fémin­istes », crie-t-il avant de vider son chargeur. Con­sid­éré comme le pre­mier meurtre antifémin­iste de masse, « Poly » a boulever­sé les Québécois·es et mar­qué un tour­nant dans l’histoire du pays. Trente-deux ans après ce ter­ri­ble atten­tat, les mil­i­tantes se sou­vi­en­nent de l’onde de choc provo­quée et de la manière dont il a ébran­lé le mou­ve­ment d’émancipation des femmes.
Publié le 12/11/2021

Modifié le 14/02/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°4 S’aimer (décem­bre 2021).

C’é­tait la dernière journée du semes­tre à Poly. « Ça com­mençait à goûter la fin de mes études », se sou­vient Nathalie Provost dans le doc­u­men­taire Ce qu’il reste de Poly­tech­nique, dif­fusé lors du tren­tième anniver­saire de la tuerie.

L’après-midi se ter­mine lorsque Marc Lépine fait irrup­tion dans une classe d’ingénierie mécanique au deux­ième étage, armé d’une cara­bine. Il ordonne à l’assistance de cess­er toute activ­ité et il tire un coup de feu en l’air. Il sépare les hommes et les femmes, et enjoint aux pre­miers de sor­tir. Puis, il explique aux étu­di­antes regroupées dans un coin qu’il est là parce qu’elles sont de futures ingénieures ; parce qu’elles sont des fémin­istes. «J’haïs les fémin­istes», déclare-t-il.

Dans l’espoir de raison­ner le tireur, Nathalie Provost proteste : «On n’est pas des fémin­istes», avant d’être inter­rompue par une pre­mière salve meur­trière. Lépine vide son chargeur sur les neuf étu­di­antes rassem­blées devant lui. «C’est très rapi­de. J’ai tourné la tête. J’ai vu les yeux d’une de mes con­sœurs mourir», relate Provost. Trois balles l’atteignent : deux à la jambe, une au front. Six femmes sont tuées sur le coup. Hélène Col­gan, Nathalie Croteau, Bar­bara Daigneault, Anne-Marie Lemay, Sonia Pel­leti­er et Annie St-Arneault.

Après l’assaut, Lépine déam­bule dans l’école en tirant sur les femmes qu’il croise sur son chemin – et seule­ment sur les femmes. Il abat d’abord Maryse Laganière alors qu’elle tente de se réfugi­er dans son bureau, puis Bar­bara-Maria Klucznik-Wida­jew­icz, Geneviève Berg­eron et Anne-Marie Edward dans la cafétéria, entre dans une autre salle de classe, où il vise et tue Maud Havier­nick, Michèle Richard, Annie Tur­cotte et Maryse Leclair, avant de se sui­cider 1. C’était le 6 décem­bre 1989.

En dix-neuf min­utes, il a fait 14 vic­times. Qua­torze jeunes femmes qui se des­ti­naient à être ingénieures. Qua­torze jeunes femmes qui, à l’aube des années 1990, incar­naient la promesse d’un Québec mod­erne et égal­i­taire. L’onde de choc sera immense dans la société québé­coise, société qu’on se plaît alors à dire « tri­cotée ser­rée ». Au Québec, rien ne sem­blait pou­voir frein­er l’émancipation des femmes, sou­vent mon­trée en exem­ple.

Un manifeste misogyne que la police refuse de diffuser

Dans les heures qui suiv­ent la tuerie, on peine à affirmer que ces femmes ont été visées par le « tireur fou » de l’École poly­tech­nique parce qu’elles étaient des femmes. Le lende­main, le pre­mier min­istre du Québec, Robert Bouras­sa, ain­si que les représen­tants de l’opposition déplorent à l’Assemblée nationale la mort trag­ique des vic­times, sans men­tion­ner leur genre.

Pour­tant, les moti­va­tions du tueur n’auraient pas pu être plus claires. Non seule­ment Lépine a exprimé, ce jour-là, sa haine des fémin­istes avant d’ouvrir le feu, mais la police révèle qu’il a lais­sé une let­tre en forme de man­i­feste misog­y­ne, accom­pa­g­née d’une liste de 19 femmes con­sid­érées comme fémin­istes, par­mi lesquelles des per­son­nal­ités poli­tiques ou médi­a­tiques, qu’il comp­tait par ailleurs abat­tre. Les autorités poli­cières refusent de la dif­fuser mais dévoilent le nom des per­son­nal­ités visées par Lépine.

Par­mi elles se trou­ve la jour­nal­iste Francine Pel­leti­er, qui tente sans suc­cès d’en obtenir une copie. Ce n’est qu’en novem­bre 1990 qu’elle recevra chez elle une enveloppe anonyme, dans laque­lle se trou­ve une pho­to­copie de la let­tre, que le quo­ti­di­en La Presse pub­lie. Lépine y pré­cise que ce n’est pas le dés­espoir économique qui a motivé son geste, mais bien des raisons poli­tiques : «J’ai décidé d’envoyer ad patres les fémin­istes qui m’ont tou­jours gâché la vie.» Le texte est empreint d’une vio­lence antifémin­iste inouïe. En assas­si­nant les étu­di­antes de Poly­tech­nique, Lépine voulait rap­pel­er à l’ordre toutes les femmes qui emprun­taient la voie de l’émancipation.

Dans le mou­ve­ment des femmes, c’était l’état de choc, se sou­vient Manon Massé, députée de Québec sol­idaire (gauche), qui à l’époque mil­i­tait dans les milieux fémin­istes. «Rapi­de­ment, on s’est fait bâil­lon­ner, comme si la let­tre dans la poche de Marc Lépine n’énumérait pas toutes les fig­ures fémin­istes de l’époque, et on nous a même accusées de récupér­er l’événement.» Elle rap­pelle aus­si le con­texte : quelques mois aupar­a­vant, la Cour suprême du Cana­da avait recon­nu aux femmes le droit d’interrompre une grossesse même si le géni­teur s’y oppo­sait […]. Ce dossier avait généré des débats houleux, révélant une ani­mosité envers les fémin­istes.

L’émancipation des femmes remise en cause

Ain­si, dans les médias comme dans la classe poli­tique, on s’acharne à gom­mer la dimen­sion poli­tique de la tuerie. Mélis­sa Blais, pro­fesseure au départe­ment des sci­ences sociales de l’université du Québec en Outaouais, a analysé l’empressement à effac­er les mobil­i­sa­tions et les dis­cours fémin­istes entourant la tuerie de Poly­tech­nique. Ses recherch­es démon­trent qu’au lende­main de l’attentat, on observe «un décalage entre l’ampleur et la diver­sité des mobil­i­sa­tions fémin­istes et le peu de cou­ver­ture médi­a­tique qui leur est accordée».

Aux fémin­istes qui définis­sent cette tuerie comme un fémini­cide de masse, on oppose le respect pour la mémoire des vic­times, et c’est la thèse apoli­tique du « tireur fou » qui s’impose. On donne par ailleurs très peu la parole aux groupes de femmes œuvrant auprès des sur­vivantes de vio­lences mas­cu­lines. Le champ est lais­sé libre à l’expression d’un ressen­ti­ment vir­u­lent : si la société québé­coise refuse d’écouter les fémin­istes, les forces mas­culin­istes, elles, ont bien enten­du le cri de ral­liement lancé par Marc Lépine. Soudain, il deve­nait accept­able de se deman­der haut et fort si, au fond, l’émancipation des femmes n’était pas allée trop loin.

Quelques mois après la tuerie, le Par­lement du Cana­da vote en faveur d’une autre loi restreignant à nou­veau sévère­ment le droit à l’avortement. Elle ne sera finale­ment pas adop­tée, mais l’ambiance est au retour de bâton. Dans le mou­ve­ment des femmes, se sou­vient la députée Manon Massé, même si l’on vient de vivre un fémini­cide de masse, la ques­tion des vio­lences patri­ar­cales n’est pas cen­trale – le trau­ma­tisme était peut-être trop vif. «Il a fal­lu atten­dre la Marche mon­di­ale des femmes de l’an 2000 pour qu’on par­le de lut­ter con­tre la pau­vreté et les vio­lences faites aux femmes. On com­pre­nait com­ment ces enjeux étaient liés, et chaque organ­i­sa­tion fai­sait sa part, dans son coin. Mais ça a été long avant que le mou­ve­ment s’unisse autour des ques­tions de vio­lence.»

Le 6 décem­bre 2014, aux envi­rons de 16 heures, une foule se rassem­ble au som­met du Mont-Roy­al, près de l’École poly­tech­nique, à l’occasion du 25e anniver­saire de la tuerie. Le maire de Mon­tréal, le pre­mier min­istre du Québec, les familles des vic­times, des per­son­nal­ités poli­tiques et médi­a­tiques ren­dent hom­mage aux vic­times, tuées parce qu’elles étaient des femmes. Qua­torze fais­ceaux lumineux illu­mi­nant le ciel sont instal­lés. Ce jour-là, à l’Assemblée nationale, les députées se lèvent tour à tour pour lire un texte dans lequel elles dénon­cent la per­sis­tance des vio­lences faites aux femmes, partout dans la société, et évo­quent les 1 500 femmes tuées par leur con­joint depuis 1989 et les 1 200 femmes autochtones dis­parues ou assas­s­inées. L’émotion est pal­pa­ble. Lorsque le prési­dent de l’Assemblée nationale remer­cie les par­lemen­taires pour leur dis­cours, sa voix trem­ble d’émotion.

Ain­si, en un quart de siè­cle, le déni a lais­sé place à une sorte de con­sen­sus. «Il s’agit d’un des seuls événe­ments dont les com­mé­mora­tions se font annuelle­ment, sans aucune remise en ques­tion, au sein même de l’Assemblée nationale», remar­que Véronique Hivon, députée du Par­ti québé­cois (par­ti indépen­dan­tiste, cen­tre-gauche), active depuis plusieurs années sur la ques­tion des vio­lences sex­uelles et con­ju­gales.

De la « tragédie » à l’attentat « antiféministe »

Lorsque se pro­file le 25e anniver­saire de Poly, en 2014, le Québec vient d’être sec­oué par une vague de témoignages d’agressions sex­uelles, à tra­vers le mot-dièse #Agres­sion­Non­De­non­cée, lancé à la suite d’allégations visant un ex-ani­ma­teur de la chaîne de télévi­sion CBC, Jian Ghome­shi. La colère fémin­iste gronde – et, cette fois, la société tend l’oreille –, tein­tant for­cé­ment les com­mé­mora­tions.

Mais même à ce moment, on ne par­le pas explicite­ment d’un atten­tat antifémin­iste. Il fau­dra atten­dre le 30e anniver­saire de la tuerie, en 2019, pour qu’une telle qual­i­fi­ca­tion soit offi­cielle­ment admise. La plaque com­mé­mora­tive instal­lée à l’entrée de l’École poly­tech­nique est alors changée : elle rap­pelle désor­mais que 14 femmes ont été assas­s­inées le 6 décem­bre 1989 lors d’un «atten­tat antifémin­iste». Un change­ment notam­ment ini­tié par les chercheuses Diane Lam­oureux (uni­ver­sité Laval) et Mélis­sa Blais, du Réseau québé­cois en études fémin­istes. Aupar­a­vant, il n’était ques­tion que d’une «tragédie».

Peut-on ten­dre un fil entre Poly­tech­nique, la fin du déni entourant l’attentat et le mou­ve­ment #MoiAus­si (#MeToo en anglais), en 2017 ? «Peut-être que, avec la mémoire de Poly, nous étions plus préparé·es, ou plus disposé·es, à trans­former cette indig­na­tion en quelque chose de con­struc­tif», remar­que Véronique Hivon, qui demeure cepen­dant réservée. «Par con­tre, cela ne nous a pas empêché·es de vivre très inten­sé­ment #MoiAus­si, ce qui pousse à se deman­der: avions-nous fait le néces­saire, comme société, pour lut­ter con­tre la vio­lence faite aux femmes?» La réponse sem­ble évi­dente.

Il est vrai que #MoiAus­si a per­mis, au Québec, l’ouverture d’un chantier de réflex­ion sur le traite­ment judi­ci­aire des vio­lences sex­uelles et con­ju­gales. En 2020, le comité d’expert·es man­daté par le gou­verne­ment du Québec a for­mulé 190 recom­man­da­tions pour mieux accom­pa­g­n­er les sur­vivantes de vio­lences de genre tout au long du proces­sus judi­ci­aire. Puis, en sep­tem­bre 2021, le min­istre de la Jus­tice, Simon Jolin-Bar­rette, a déposé un pro­jet de loi prévoy­ant la créa­tion d’un tri­bunal spé­cial­isé en matière de vio­lences sex­uelles et con­ju­gales – un pro­jet porté d’abord par Véronique Hivon, qui fut la pre­mière à en faire la propo­si­tion.

Reste que les sta­tis­tiques révè­lent une som­bre réal­ité. Durant les dix pre­mières semaines de 2021, presque autant de femmes ont été assas­s­inées par un con­joint ou ex-con­joint que sur toute l’année 2020. Il s’agit d’un nom­bre record de fémini­cides en si peu de temps. La crise san­i­taire a fait explos­er les deman­des auprès des maisons d’hébergement pour femmes vic­times de vio­lence, lesquelles dénon­cent leur sous-
finance­ment chronique depuis des années. Et bien sûr, il reste à éclair­er les angles morts : de qui par­le-t-on, au juste, lorsqu’on se penche sur les vio­lences faites aux femmes ?

Genre, racisme, colonialisme et pauvreté

Alexan­dra Pierre milite dans le mou­ve­ment des femmes au Cana­da depuis plusieurs années. Elle était enfant au moment de l’attentat de Poly­tech­nique, mais elle en garde un sou­venir clair : «Il y a trois événe­ments poli­tiques qui ont mar­qué mon enfance: la chute du régime Duva­lier en Haïti pour des raisons famil­iales, la chute du mur de Berlin et Poly­tech­nique.» Aujourd’hui, elle con­state la place par­ti­c­ulière qu’occupe Poly dans l’imaginaire fémin­iste, mais aus­si ce que la mémoire de cet événe­ment sem­ble laiss­er de côté. «Lorsqu’on réflé­chit à la vio­lence faite aux femmes, on en par­le comme des vio­lences essen­tielle­ment fondées sur le genre. Si Poly a mon­tré que toutes les femmes pou­vaient être vic­times de vio­lence dans une société patri­ar­cale, on omet encore, dans la réflex­ion sur les solu­tions à apporter, tout un ensem­ble d’expériences de la vio­lence qui ne se fondent pas seule­ment sur le genre.» 

L’exemple des femmes et des filles autochtones est par­ti­c­ulière­ment évo­ca­teur. Elles sont en général plus sus­cep­ti­bles d’être vic­times de vio­lence que l’ensemble de la pop­u­la­tion, et deux fois plus sus­cep­ti­bles d’être agressées sex­uelle­ment au cours de leur vie que les femmes non autochtones – un risque qui s’accroît lorsqu’elles sont en sit­u­a­tion de pau­vreté2.

Or, selon le rap­port de L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones dis­parues et assas­s­inées (2019), 40 % des adultes des Pre­mières Nations au Québec vivent dans la pau­vreté. Ce risque accru par­ticipe à la «chaîne his­torique d’effacement» des femmes autochtones3. Le genre comme seul fac­teur de risque d’exposition à la vio­lence ne per­met pas de cern­er ces dynamiques : il faut y voir aus­si l’effet du racisme, du colo­nial­isme, de la pau­vreté. Ces mul­ti­ples fac­teurs sont un écueil que la société québé­coise sem­ble avoir du mal à sur­mon­ter. «L’analyse et les actions sont encore trop étroites. Il y a de la bonne volon­té, mais ce n’est pas encore inté­gré», con­clut Alexan­dra Pierre.

Peut-on dress­er un par­al­lèle entre Poly et l’attentat islam­o­phobe de la grande mosquée de Québec en 2017 ? Lorsqu’on lui pose la ques­tion, Alexan­dra Pierre relève une évi­dence pour­tant dif­fi­cile à artic­uler dans l’espace pub­lic québé­cois : «Ce sont deux tueries avec une inten­tion poli­tique, per­pétrées par des indi­vidus incar­nant plus qu’eux-mêmes, car ils étaient portés par des lames de fond sociales.» Dans le cas de Poly, un ressen­ti­ment à l’égard de l’émancipation des femmes dans la société. Dans le cas de la mosquée de Québec, un sen­ti­ment islam­o­phobe attisé par une par­tie de la classe poli­tique québé­coise depuis le début des années 2000.

Le soir du 29 jan­vi­er 2017, c’est l’heure de la prière au Cen­tre cul­turel islamique de Québec lorsque Alexan­dre Bis­son­nette, un étu­di­ant âgé de 27 ans, admi­ra­teur de Dylann Roof et Elliot Rodger4, mais aus­si de Marine Le Pen et de Don­ald Trump, fait irrup­tion dans la salle où sont rassem­blés les fidèles. Il ouvre le feu et tue six hommes. Mamadou Tanou Bar­ry, Ibrahi­ma Bar­ry, Khaled Belka­ce­mi, Abdelkrim Has­sane, Azze­dine Soufi­ane et Aboubak­er Thabti. Dix-neuf per­son­nes sont blessées. Bis­son­nette se rend à la police le soir même. Il sera con­damné à la prison à vie sans pos­si­bil­ité de libéra­tion avant 25 ans. Jamais il n’a démen­ti l’intention poli­tique de son geste. Pour­tant, la société québé­coise a été très prompte à en faire fi.

Pour le premier ministre, l’islamophobie n’existe pas

Dania Sule­man, avo­cate et autrice d’un essai con­sacré aux réc­on­cil­i­a­tions pos­si­bles entre la foi religieuse et le fémin­isme (Les Malen­ten­dues. Foi 
et fémin­isme: des droits réc­on­cil­i­ables, édi­tions du Remue-ménage, 2021), se sou­vient de l’immense douleur ressen­tie le 29 jan­vi­er 2017, puis d’un sen­ti­ment de trahi­son : «Jusque-là, la société québé­coise pre­nait à la légère les attaques haineuses subies par les com­mu­nautés musul­manes au fil du temps. Je croy­ais que la tuerie de la mosquée serait le wake-up call [la piqûre de rap­pel], mais on n’a pas su voir que le geste du tueur nais­sait de l’islamophobie ambiante. Très vite, ça a été le retour du “busi­ness as usu­al”.»

Près de deux ans après l’attentat de la mosquée de Québec, le pre­mier min­istre, François Legault (Coali­tion Avenir Québec, cen­tre-droit et droite), refu­sait tou­jours de recon­naître l’existence de l’islamophobie au Québec. «Il n’y a pas de journée nationale con­tre l’islamophobie, parce qu’il n’y a pas d’islamophobie au Québec», a‑t-il déclaré en juin 2019. Quelques mois plus tard, son gou­verne­ment adop­tait sa loi sur la laïc­ité de l’État, une lég­is­la­tion restreignant l’accès à l’emploi dans le secteur pub­lic des femmes por­tant le voile, notam­ment en milieu sco­laire. Une par­tie du mou­ve­ment fémin­iste québé­cois s’est engagée en faveur de la loi sur la laïc­ité alors qu’elle représen­tait un obsta­cle direct à l’emploi des femmes musul­manes.

Selon Dania Sule­man, ce manque de sol­i­dar­ité illus­tre bien l’incapacité de nom­mer les intri­ca­tions des vio­lences patri­ar­cales et islam­o­phobes. Il a fal­lu 30 ans pour que se con­stitue la mémoire de Poly, dans toutes ses nuances, et au-delà des ornières. La blessure ne se refer­mera jamais com­plète­ment. Les fémin­istes savent pour­tant bien que dans le sil­lage de la vio­lence peut naître une intariss­able force. Encore faut-il met­tre cette force au ser­vice de toutes.

***

1. Selon la recon­sti­tu­tion du par­cours de Marc Lépine par la jour­nal­iste Josée Boileau à par­tir du rap­port du coro­ner (offici­er de police judi­ci­aire), d’entretiens et d’archives, dans Ce jour-là. Parce qu’elles étaient des femmes, édi­tions La Presse, 2019.

2. Loan­na Hei­dinger, La vio­lence entre parte­naires intimes. Expéri­ence des femmes des Pre­mières Nations, métiss­es et inu­ites au Cana­da, 2018, Juri­s­tat, Sta­tis­tique Cana­da, no 85–002‑X, 2019.

3. Annie Berg­eron et Alana Boileau, Nanaw­ig Mamawe Nnawind. Debout et sol­idaires. Femmes autochtones dis­parues ou assas­s­inées au Québec, édi­tions Femmes autochtones au Québec, 2015.
 Les autri­ces décrivent le phénomène de « chaîne his­torique d’effacement » comme con­sti­tué de dis­pari­tions « directe­ment liées aux poli­tiques d’assimilation et d’effacement orchestrées par les gou­verne­ments du Cana­da et du Québec ».

4. Dylann Roof est un supré­maciste blanc état­sunien, coupable du meurtre par fusil­lade de neuf paroissiens d’une église de la com­mu­nauté noire de Charleston, en Car­o­line du Sud, en 2015.

Elliot Rodger, mû par sa haine des femmes, tue en 2014 six per­son­nes et en blesse 14 à Isla Vista, en Cal­i­fornie, avant de se sui­cider.

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Masculinisme

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Aurélie Lanctôt

Journaliste et doctorante en droit à l’Université McGill au Québec. Ses recherches portent sur le traitement judiciaire des violences à caractère sexuel dans le contexte post-#MoiAussi. Voir tous ses articles

S’aimer : pour une libération des sentiments

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