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Jusqu’à ce que l’amour nous répare

Mem­bre fon­da­trice du col­lec­tif Front de mères, Goun­do Diawara explique dans cette chronique les orig­ines de son mil­i­tan­tisme. C’est, dit-elle, la mise à mort des enfants non blancs qui la font lut­ter. De Zyed Ben­na et Bouna Tra­oré aux enfants de Gaza aujourd’hui.
Publié le 25/04/2024

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 “Dessin­er”, paru en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Je suis une femme, noire, soninké, descen­dante de l’immigration post­colo­niale, musul­mane et ban­lieusarde du 93. Si on lais­sait les médias main­stream et les per­son­nal­ités poli­tiques qui gou­ver­nent ce pays me définir, ma vie n’aurait pas une très grande valeur. Trop d’ailleurs, pas assez d’ici : comme d’autres qui parta­gent tout ou par­tie des car­ac­téris­tiques qui font mon iden­tité, je suis une Française en sur­sis au pays des Lumières qui ne font plus que s’éteindre.

Je ne vais pas utilis­er l’espace qui m’est offert ici pour racon­ter toutes les manières dont mon iden­tité est remise en cause, voire crim­i­nal­isée, décrire en long en large et en tra­vers tous les sys­tèmes de dom­i­na­tion à la croisée desquels je me situe. D’autres le font déjà très bien (1), et c’est néces­saire, impor­tant, notam­ment pour que celles et ceux qui vivent les mêmes injus­tices se sachent compris·es, pas seul·es.« Tant que les lions n’auront pas leur pro­pre his­toire, l’histoire de la chas­se glo­ri­fiera tou­jours le chas­seur », dit le proverbe africain. Ain­si les lions sont devenus leurs pro­pres his­to­riens, mais les chas­seurs n’ont rien per­du de leur gloire, ou trop peu. Quel que soit le sujet, dans les luttes fémin­istes, antiracistes ou écol­o­gistes, si la prise de con­science con­séc­u­tive à la libéra­tion de la parole ne con­duit pas à des change­ments poli­tiques pro­fonds, qui se matéri­alisent de manière con­crète, alors ce n’est que de la con­ver­sa­tion.

Je ne veux plus que l’on me demande ce que cela fait d’être celle que je suis dans CETTE société. Être « racisée » n’est pas mon iden­tité : c’est ce que fait de moi le racisme. Et, heureuse­ment, je ne me défi­nis pas par les expéri­ences dis­crim­i­na­toires qui en découlent.Mon iden­tité, dont je chéris chaque pan, lie mon des­tin à celui de mil­lions de per­son­nes dans ce pays. Parce que nous expéri­men­tons ce que cela fait d’être qui nous sommes dans un ter­ri­toire sou­vent hos­tile à nous voir exis­ter selon nos pro­pres ter­mes, nous avons en com­mun des douleurs mais aus­si des héritages qui dis­ent la richesse de nos his­toires. Et c’est ce qui nous tient, et ce qui a forgé notre dig­nité.

C’est, par ailleurs, en par­tie ce qui fonde mes engage­ments mil­i­tants : la cer­ti­tude que nos vies ont une valeur, la con­vic­tion que rien ni per­son­ne ne pour­ra nier nos exis­tences, l’assurance que nous ne courberons pas l’échine, tout comme nos par­ents – plus exclus et mar­gin­al­isés que nous – se sont refusés à le faire.À l’heure où l’on voudrait nier les richess­es de nos his­toires, fal­si­fi­er nos mémoires, s’approprier nos héritages et effac­er les traces des luttes que nos aîné·es ont menées, je veux mêler ma voix à celles qui dis­ent nos com­bats mais chantent égale­ment nos vic­toires. Afin que, demain, nos enfants se voient si grand·es que per­son­ne ne leur fera douter de leur pou­voir de faire le monde.

J’ai eu un bébé en novem­bre dernier. Mon deux­ième enfant. Celle qui a fait de moi une mère, ma pre­mière, ma sira comme on dit en soninké pour nom­mer son aînée, a main­tenant 3 ans. Si je n’ai pas atten­du d’être mère pour être par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble aux trop nom­breux maux des enfants de ce monde, le fait de l’être dev­enue a con­sid­érable­ment ampli­fié cette sen­si­bil­ité. C’est la racine de nom­bre de mes com­bats, et la cause d’une pro­fonde afflic­tion.

Ne plus nous contenter de rêver d’un autre monde

Comme beau­coup de gens de ma généra­tion, mon mil­i­tan­tisme est en grande par­tie né de la douleur d’avoir vu périr tant de per­son­nes partageant ma con­di­tion, sans que cela n’émeuve grand-monde à part les concerné·es. Il m’importe de tou­jours rap­pel­er que ce n’est pas une pas­sion pour l’esthétique des man­i­fs qui a fait de moi et de beau­coup d’entre nous des activistes engagé·es pour la jus­tice et l’égalité, mais bien la mise à mort des nôtres, et en par­ti­c­uli­er, pour ma part, celle d’enfants.

En 2005, c’était Bouna et Zyed à Clichy-sous-Bois (2), mais aus­si les 52 per­son­nes, dont 33 enfants (majori­taire­ment orig­i­naires d’Afrique de l’Ouest), tuées dans les incendies d’immeubles vétustes à Paris en l’espace de quelques mois (3).

Aujourd’hui, c’est Nahel, tué par un polici­er à Nan­terre ; Mayliss vic­time de fémini­cide à 18 ans ; Lily et Myr­i­am retrou­vées mortes alors qu’elles étaient con­fiées à l’Aide sociale à l’enfance ; Rola qui meurt à 7 ans dans le naufrage de son embar­ca­tion alors qu’elle et sa famille ten­tent de tra­vers­er la Manche ; ou encore Hen­ry, Oliv­er et Sedan, qui sont tués lors de rix­es dans nos quartiers. Et tant d’autres encore…

À cet instant, ce sont aus­si les plus de trente mille vic­times – dont au moins douze mille enfants – du mas­sacre qui se déroule en Pales­tine, per­pétré par un régime colo­nial israélien active­ment soutenu par les plus grandes puis­sances occi­den­tales. S’il était déjà dif­fi­cile de se savoir appartenir à une société qui ne donne pas la même valeur à toutes les vies, assis­ter aujourd’hui au sou­tien « incon­di­tion­nel » d’un net­toy­age eth­nique, aus­si doc­u­men­té et médi­atisé, rend l’atmosphère irres­pirable.

Il ne s’agit plus aujourd’hui de se deman­der ce que vaut un monde qui est indif­férent à la souf­france de ses pro­pres enfants. Il s’agit, pour nous qui n’avons pas d’autre choix que la lutte, d’honorer nos mort·es ; de ne plus nous con­tenter de rêver d’un autre monde, mais de nous bat­tre à notre échelle pour le faire naître. Car c’est par amour pour les nôtres, par amour pour nos enfants que nous ne cesserons jamais de dénon­cer les injus­tices qui con­duisent à tous ces drames. Et, en par­al­lèle, nous con­tin­uerons à créer des espaces qui nous ressem­blent, dans lesquels nous nous célébrons, fab­riquons de la pen­sée, con­stru­isons des alliances et des out­ils d’émancipation et cul­tivons notre résis­tance. Des espaces grâce aux­quels nous par­venons à matéri­alis­er le temps de quelques heures ce monde plus juste que l’on veut pour nous-mêmes et pour nos enfants.
Jusqu’à ce que l’amour nous répare.

Cette chronique de Goun­do Diawara est la pre­mière d’une série de qua­tre.


(1) Par exem­ple le doc­u­men­taire d’Amandine Gay, Ouvrir la voix (2017), et l’essai de Fati­ma Ouas­sak, Pour une écolo­gie pirate. Et nous serons libres (La Décou­verte, 2023).
(2) Le 27 octo­bre 2005, Bouna Tra­oré (15 ans) et Zyed Ben­na (17 ans) mouraient élec­tro­cutés dans un trans­for­ma­teur où ils s’étaient réfugiés pour échap­per à la police. Leur mort fut l’élément déclencheur de vingt jours d’émeute qui sec­ouèrent la France.
(3) En avril 2005, l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra, tenu par des marchands de som­meil, fait 24 mort·es dont 11 enfants. En août 2005, les incendies du boule­vard Vin­cent-Auri­ol et de la rue du Roi-Doré tuent respec­tive­ment 17 et 7 per­son­nes.

Goundo Diawara

Cosecrétaire nationale de l’association Front de mères, militante des quartiers populaires, elle est également coautrice de l’ouvrage Nos enfants nous-mêmes, Manuel de parentalité féministe (Hors d’Atteinte, 2024). Voir tous ses articles

Dessiner : esquisses d’une émancipation

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 “Dessin­er”, paru en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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