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En Pologne, une riposte féministe

Depuis quelques années, l’accès à l’avortement en Pologne n’a cessé d’être restreint. Face à l’inaction des autorités médi­cales, les fémin­istes organ­isent elles-mêmes les avorte­ments en dehors des cir­cuits offi­ciels : quelque 100 000 chaque année. Reportage à Cra­covie et Varso­vie.
Publié le 01/02/2024

Modifié le 16/01/2025

Justyna Wydrzyńska, condamnée en mars 2023 à huit mois de service d’intérêt général pour avoir aidé une femme à avorter.
Joan­na Musi­ał pour La Défer­lante. Reportage pho­to réal­isé en sep­tem­bre 2023 à Varso­vie et Cra­covie.

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

D’un air déter­miné, Joan­na, 32 ans, s’empare de tracts en faveur de l’avortement et s’avance dans les rues pavées du cen­tre de Cra­covie. À côté d’elle, qua­tre militant·es dis­tribuent des stick­ers à des passant·es et col­lent des affich­es.

On y lit le numéro à join­dre pour obtenir de l’aide, un appel à légalis­er totale­ment et sans con­di­tion l’avortement et à soutenir les militant·es. Non loin, dans une voiture, des policiers gar­dent un œil sur cette agi­ta­tion soudaine. Lorsqu’elle les voit, le vis­age de Joan­na se crispe.

Une cig­a­rette aux lèvres, elle plonge dans ses sou­venirs : « C’était une soirée d’avril 2023, j’étais seule chez moi et je fai­sais une crise d’angoisse. En pleurs, j’ai appelé ma psy­chi­a­tre pour lui racon­ter mes prob­lèmes. » Deux semaines plus tôt, Joan­na avait avorté seule chez elle grâce à une pilule abortive envoyée depuis l’étranger. Un avorte­ment légal dans ce cadre, sans douleur ni regret. Au bout du fil, sa psy­chi­a­tre l’écoute avant de la met­tre en attente. Peu après, deux policiers se présen­tent chez Joan­na : « Vous devez venir avec nous. Un crime a été com­mis. »

D’une voix calme, Joan­na décrit l’effroi qu’elle a ressen­ti en les voy­ant entr­er chez elle. « Quand j’ai enten­du cette phrase, j’ai com­pris que ma psy­chi­a­tre m’avait dénon­cée à la police. Mais j’ignorais ce qu’elle leur avait dit exacte­ment. » C’est seule­ment plusieurs mois plus tard, en juil­let 2023, lorsque l’affaire est ren­due publique dans la presse polon­aise et que l’enregistrement audio de l’appel de sa psy­chi­a­tre à la police est dif­fusé que Joan­na mesure les pro­pos tenus par sa médecin. « Elle avait dit aux flics que je venais de faire un avorte­ment et que j’étais sui­cidaire. Ce qui était faux. Mon avorte­ment, c’était quinze jours plus tôt et je n’avais aucune pen­sée sui­cidaire. » Joan­na se sou­vient avoir été con­duite à l’hôpital, escortée par une voiture de police. « J’ai eu très peur, je ne savais pas où j’allais, ils m’ont inter­dit d’utiliser mon télé­phone. J’étais en pleine crise d’angoisse, et per­son­ne ne m’a aidée. »

Une destruction progressive du droit à l’avortement

Cette vio­lence dont a été vic­time Joan­na n’est pas isolée. Ces dernières décen­nies, la lég­is­la­tion polon­aise con­cer­nant l’accès à l’IVG s’est con­sid­érable­ment dur­cie. En 1956, la Pologne avait pour­tant été l’un des pre­miers pays européens à alléger les con­di­tions d’accès à l’avortement. Mais à la chute du régime com­mu­niste, en 1993, seuls trois motifs autori­saient encore la pra­tique de l’IVG : la mise en dan­ger de la femme enceinte, une plainte pour viol ou inces­te, et une mal­for­ma­tion du fœtus.

Le retour au pou­voir du par­ti con­ser­va­teur Droit et Jus­tice (Pra­wo i Spraw­iedli­wość, abrégé en PiS) à l’élection prési­den­tielle de 2015 a de nou­veau dur­ci l’accès à l’avortement. Pro­gres­sive­ment, sa crim­i­nal­i­sa­tion s’est imposée dans le débat pub­lic, et de nom­breuses offen­sives con­tre ce droit ont été menées par le Par­lement et les mou­ve­ments anti-avorte­ment. En réac­tion, en 2016, des mil­liers de femmes sont descen­dues dans la rue et se sont organ­isées en col­lec­tifs. C’est à ce moment-là qu’est né le mou­ve­ment de la Grève générale des femmes (Ogólnopol­s­ki Stra­jk Kobi­et, OSK), don­nant lieu à une large mobil­i­sa­tion pour défendre le droit des femmes à dis­pos­er de leur corps. En vain.

Action dans le centre de Cracovie lors de la Journée internationale pour le droit à l’avortement.

Action dans le cen­tre de Cra­covie lors de la Journée inter­na­tionale pour le droit à l’avortement.

En octo­bre 2020, en pleine pandémie de Covid, le tri­bunal con­sti­tu­tion­nel con­trôlé par le PiS déclare illé­gal l’avortement médi­cal­isé en cas de mal­for­ma­tion du fœtus, une sit­u­a­tion qui con­cerne alors 98 % des avorte­ments en Pologne, selon les chiffres du min­istère polon­ais de la San­té.
Dans les faits, les femmes ayant porté plainte pour viol et celles dont la grossesse est à risque restent éli­gi­bles à un avorte­ment pra­tiqué à l’hôpital, pour­tant nom­breuses sont celles qui peinent à obtenir ce droit. Dès lors, la seule façon légale d’avorter en dehors des hôpi­taux polon­ais est de se pro­cur­er une pilule abortive. Seule­ment le médica­ment, délivré unique­ment sur ordon­nance, n’est pre­scrit que par très peu de médecins et doit donc être envoyé depuis l’étranger. À l’heure actuelle, avorter seule chez soi ou être en pos­ses­sion d’une pilule abortive ne relève pas d’une infrac­tion. En revanche, toute aide apportée en dehors des deux seuls motifs prévus par la loi est pas­si­ble de trois ans de prison (1).

Une stigmatisation du personnel médical

C’est pour­tant l’avortement qu’elle a pra­tiqué seule chez elle qui a causé l’interpellation de Joan­na en avril 2023. Une fois arrivée à l’hôpital, elle a été encer­clée par plusieurs policiers. Les médecins présent·es sur place ont rap­porté à la presse polon­aise avoir cher­ché à com­pren­dre et à inter­venir mais en avoir été empêché·es. La police s’est emparée de son ordi­na­teur et lui a demandé son télé­phone – qu’elle a refusé de don­ner – avant d’ordonner à l’équipe médi­cale de lui faire subir un exa­m­en gyné­cologique. « Je n’avais pas besoin d’aide médi­cale, j’avais juste une crise de panique comme jamais ! On m’a for­cé à subir un exa­m­en gyné­cologique, alors que mon avorte­ment avait eu lieu quinze jours plus tôt et que je n’avais aucun prob­lème à ce sujet. » Joan­na racon­te qu’une fois l’examen ter­miné et le médecin sor­ti de la salle, deux policiers y sont entrés. « C’était très humiliant et angois­sant, lâche-t-elle. Ils m’ont demandé de me désha­biller, de m’accroupir et de tou­ss­er. C’était juste hors de ques­tion. Je saig­nais encore à cause de l’avortement et je venais de subir un exa­m­en gyné­co. Il n’y avait aucune rai­son médi­cale ou légale qui m’obligeait à enlever ma culotte. Alors, j’ai com­mencé à crier. J’ai eu peur de ce qu’ils allaient me faire. Ils répé­taient qu’ils voulaient mon télé­phone et qu’il fal­lait que je me désha­bille. J’étais déjà presque nue, puisqu’il ne me restait que ma culotte. J’ai fini par leur don­ner mon télé­phone, et ils sont par­tis. »

Une ver­sion cor­roborée par un rap­port de Human Rights Watch (2) pub­lié en sep­tem­bre 2023. L’ONG reprend le témoignage de Joan­na pour démon­tr­er que « les cas doc­u­men­tés prou­vent que les autorités polon­ais­es chargées de l’application des lois ont inten­si­fié leurs pour­suites con­tre les femmes, les filles et les équipes médi­cales ». De fait, peu de per­son­nes osent par­ler d’avortement en pub­lic par peur des repré­sailles. Gizela Jagiel­s­ka, gyné­co­logue obstétrici­enne, est l’une des deux seul·es médecins polonais·es assumant publique­ment de pra­ti­quer des avorte­ments. « Beau­coup de médecins dis­ent aux patientes que l’avortement est illé­gal en Pologne, ce qui est faux. Mais ça les arrange bien. » En rai­son de cet engage­ment qu’elle refuse de qual­i­fi­er de « mil­i­tant », Gizela est régulière­ment dén­i­grée par ses con­frères et con­sœurs, reçoit des men­aces de mort, et l’hôpital où elle tra­vaille est sou­vent la cible de man­i­fes­ta­tions anti-avorte­ment. « On sait que des IVG sont pra­tiquées dans les hôpi­taux, bien au-delà des chiffres annon­cés », explique Miko­laj Czer­win­s­ki, respon­s­able plaidoy­er à Amnesty Pologne sur les droits repro­duc­tifs et les droits LGBT+. « Mais à cause de la stig­ma­ti­sa­tion de l’avortement et de la crainte des médecins d’être affiché·es comme “pro-avorte­ment”, beau­coup choi­sis­sent de ne pas déclar­er offi­cielle­ment ces IVG. »

Mikolaj Czerwinski, responsable plaidoyer à Amnesty Pologne.

Miko­laj Czer­win­s­ki, respon­s­able plaidoy­er à Amnesty Pologne.

À en croire les chiffres du min­istère de la San­té, depuis 2020, seule une cen­taine d’avortements légaux seraient pra­tiqués en Pologne chaque année, con­tre plus de 1 000 avant la déci­sion du tri­bunal con­sti­tu­tion­nel qui en avait con­sid­érable­ment restreint l’accès. Cet arrêt pour­rait être révo­qué dans les prochains mois. En octo­bre 2023, le PiS a per­du la majorité aux élec­tions lég­isla­tives. Lors de la cam­pagne, la ques­tion de l’accès au droit à l’avortement a été omniprésente. Les par­tis de l’opposition, allant de la gauche au cen­tre, sont arrivés en tête. Menés par Don­ald Tusk, ils ont fait savoir que leur coali­tion souhaitait revenir sur cette déci­sion judi­ci­aire de 2020. Deux d’entre eux pro­posent aus­si de dépé­nalis­er l’aide pour avorter et de légalis­er l’avortement jusqu’à 12 semaines, selon un com­mu­niqué de Lewica, la coali­tion de la gauche polon­aise (3).

En atten­dant une éventuelle évo­lu­tion lég­isla­tive, la liste des femmes mortes après qu’on leur a refusé l’accès à un avorte­ment con­tin­ue de s’allonger. Depuis 2021, elles sont au moins six à avoir suc­com­bé faute de soins. Des don­nées là encore sous-estimées, puisque cer­taines familles de vic­times refusent de par­ler par peur d’être stig­ma­tisées. En novem­bre 2021, Izabela, 30 ans, est décédée d’une sep­ticémie. Elle n’avait plus de liq­uide amni­o­tique, mais les médecins ont préféré atten­dre que le cœur du fœtus arrête de bat­tre plutôt que de pra­ti­quer un avorte­ment. Quelques mois plus tard, en jan­vi­er 2022, c’est Agniesz­ka, 37 ans, qui meurt, elle aus­si d’une sep­ticémie. Enceinte de jumeaux, elle a dû garder l’un des deux fœtus mort in utero pen­dant sept jours. Ce qui l’a tuée. En juin 2023, c’est au tour de Doro­ta, 33 ans, de mourir à l’hôpital : les médecins ont refusé de la soign­er alors que son fœtus de vingt semaines était lui aus­si mort in utero.

« C’est sim­ple, les médecins lais­sent mourir les femmes, lâche Joan­na. C’est l’une des raisons qui m’a poussée à avorter. Je savais que si j’avais une grossesse à risque, les médecins ne seraient pas là pour me pren­dre en charge. C’est dur de se dire ça, mais c’est une réal­ité aujourd’hui en Pologne. Je veux un enfant, mais je ne veux pas mourir. » Une crainte partagée par de nom­breuses Polon­ais­es qui hési­tent désor­mais à entamer une grossesse. « Ce qu’il faut bien com­pren­dre, c’est que le PiS n’attaque pas seule­ment le droit à l’avortement, mais tous les droits repro­duc­tifs », explique Moni­ka Płatek, avo­cate en droit pénal et pro­fesseure à l’université de Varso­vie. « En 2019, l’État a fait fer­mer une clin­ique néona­tale, et depuis 2022, une plate­forme cen­tral­isée per­met de fich­er les grossess­es pour lis­ter celles qui ne sont pas allées à terme. »

Monika Płatek, avocate en droit pénal et professeure à l’université de Varsovie.

Moni­ka Płatek, avo­cate en droit pénal et pro­fesseure à l’université de Varso­vie.

Car les femmes qui subis­sent des inter­rup­tions spon­tanées de grossesse sont aus­si con­cernées par cette poli­tique anti-avorte­ment. En sep­tem­bre 2022, une équipe de chercheurs financée par l’État a annon­cé un nou­veau pro­to­cole pour véri­fi­er la présence de miso­pros­tol – la sub­stance médica­menteuse util­isée dans les pilules abortives – dans le sang du fœtus. « Ce test fonc­tionne très bien, mal­heureuse­ment, se désole Miko­laj Czer­win­s­ki, d’Amnesty Inter­na­tion­al. Récem­ment, un juge a demandé à une femme qui avait fait une fausse couche d’examiner son fœtus afin de savoir si ce n’était pas un avorte­ment déguisé. » Ces attaques de plus en plus vir­u­lentes à l’encontre des droits repro­duc­tifs s’inscrivent dans un con­texte plus large, pré­cise Kle­men­ty­na Suchanow, cofon­da­trice du mou­ve­ment OSK : « C’est une guerre con­tre les femmes et les per­son­nes LGBT+ qui est actuelle­ment menée à tra­vers toute l’Europe. Nous ne pour­rons pas gag­n­er si nous ne le recon­nais­sons pas. Ces attaques ne cesseront pas si l’on ne se bat pas con­tre, et au niveau européen. »

Klementyna Suchanow, écrivaine, traductrice et éditrice

Kle­men­ty­na Suchanow, écrivaine, tra­duc­trice et éditrice

Une charge portée par les militantes

Aujourd’hui, la pra­tique de l’avortement repose prin­ci­pale­ment sur les mil­i­tantes fémin­istes. Le col­lec­tif Abor­tion Dream Team (ADT), fondé en 2016, accom­pa­gne et apporte des solu­tions aux per­son­nes qui veu­lent avorter. Dans leur local, des affich­es, des pan­car­tes et des stick­ers rap­pel­lent l’importance et l’urgence de pou­voir dis­pos­er de son corps, d’autant plus que la pilule du lende­main n’est délivrée que sur ordon­nance et au compte-gouttes. « Ce sont des com­bats sim­i­laires, reprend Moni­ka Płatek. Dans ce Code pénal restric­tif, toutes les femmes ne tombent pas enceintes, mais toutes sont traitées de la même manière. Cette poli­tique-là a pour objec­tif d’imposer un cadre con­traig­nant pour empêch­er les femmes de vivre nor­male­ment, de pren­dre des déci­sions pour elles-mêmes et de s’impliquer dans la vie citoyenne. » D’après les chiffres com­mu­niqués par plusieurs asso­ci­a­tions, dont ADT, 100 000 avorte­ments seraient pris en charge par les militant·es chaque année en Pologne, en dehors des cir­cuits offi­ciels.

« Que ce soit pour des pilules abortives ou des avorte­ments médi­caux dans des hôpi­taux parte­naires en Europe, on est là, souligne Natalia Bro­niar­czyk, 39 ans, mem­bre du col­lec­tif ADT. Et on le fait avec le sourire parce qu’un avorte­ment, ce n’est pas hor­ri­ble ou dra­ma­tique. Ce qui l’est en revanche, c’est l’absence de droits qui con­duit à des décès. » ADT s’occupe donc d’informer, de ras­sur­er mais aus­si de don­ner les coor­don­nées des ONG parte­naires qui envoient des pilules abortives depuis l’étranger. « Pour ma part, j’ai con­tac­té une fon­da­tion étrangère, détaille Joan­na. C’était gra­tu­it, mais j’ai choisi de faire un don. » Après plusieurs échanges de mails, deux pilules abortives lui ont été envoyées. « Quand j’en ai pris une, tout s’est bien passé. J’avais pour­tant l’impression de faire quelque chose de mal. Je me sen­tais comme une crim­inelle, alors même que je ne fai­sais rien d’illégal. »


« C’est une guerre con­tre les femmes et les per­son­nes LGBT+ qui est actuelle­ment menée à tra­vers toute l’Europe. Nous ne pour­rons pas gag­n­er si nous ne le recon­nais­sons pas. »

Kle­men­ty­na Suchanow, cofon­da­trice du mou­ve­ment de la Grève générale des femmes (OSK)


 

L’aide criminalisée

À défaut d’avoir réus­si à pénalis­er les femmes qui avor­tent, la loi polon­aise sanc­tionne la per­son­ne qui aide. Telle qu’elle est rédigée, la loi crim­i­nalise aus­si bien l’envoi d’une pilule que le fait d’être présent·e lors de la prise de celle-ci. C’est sur ce motif-là que Justy­na Wydrzyńs­ka, 48 ans, mil­i­tante pro-avorte­ment et cofon­da­trice du col­lec­tif ADT a été con­damnée à huit mois de travaux d’intérêt général, en mars 2023. Une con­damna­tion dont elle a fait appel. « En 2020, ADT est con­tac­té par une mère de famille, Anna*, qui a besoin d’aide pour avorter », se sou­vient la mil­i­tante. Le mari d’Anna, que Justy­na décrit comme vio­lent, men­ace de la dénon­cer à la police si elle décide d’avorter. Sa seule solu­tion est donc de trou­ver une pilule abortive de façon dis­crète. Mais en 2020, dans le con­texte de la pandémie de Covid, Justy­na red­oute que l’envoi d’une pilule depuis l’étranger ne prenne trop de temps. Elle décide de lui faire par­venir celle qu’elle con­ser­vait pour son usage per­son­nel, avec son numéro de télé­phone. « J’ai sen­ti que je devais l’aider. Elle était dans une sit­u­a­tion de vio­lence énorme, comme j’avais pu l’être il y a quelques années en 2006, quand j’ai moi-même avorté. »

Quelques jours plus tard, quand Anna récupère l’enveloppe, les policiers l’attendent chez elle. Son mari l’a dénon­cée. « Ils ont util­isé la force pour l’empêcher d’avorter, pour­suit Justy­na Wydrzyńs­ka. Toute l’idée d’Abortion Dream Team, c’est de dire qu’une per­son­ne qui veut avorter devrait pou­voir le faire gra­tu­ite­ment et comme elle l’entend. Cette femme m’avait dit qu’elle préférait mourir que de men­er à bien cette grossesse. Donc, oui, je l’ai aidée et, non, je ne regrette pas. » Anna n’a pas été pour­suiv­ie, mais Justy­na Wydrzyńs­ka, elle, a été con­damnée. « Je ne vais pas arrêter de me bat­tre à cause d’eux. Au con­traire, je vais redou­bler d’efforts pour que ça n’arrive plus, pré­cise-t-elle d’une voix calme. Si le nou­veau gou­verne­ment décide de légifér­er sur le droit à l’avortement dans les prochains mois, j’espère que ça ira dans le bon sens. À ADT, on ne veut pas qu’il soit con­di­tion­né par un ren­dez-vous psy ou autre. On ne veut pas non plus d’un référen­dum qui déciderait à notre place ce que nous avons le droit de faire. On veut juste des pilules abortives disponibles, gra­tu­ites et acces­si­bles sans con­di­tion. »

 


« Cette femme m’avait dit qu’elle préférait mourir que de men­er à bien cette grossesse. Donc, oui, je l’ai aidée et, non, je ne regrette pas. »

Justy­na Wydrzyńs­ka, cofon­da­trice du col­lec­tif ADT


Des reven­di­ca­tions que partage Joan­na et pour lesquelles elle milite à Cra­covie. « J’ai mis du temps à me remet­tre de ce soir-là, recon­naît-elle. J’ai l’impression d’avoir été vic­time de viol dans cet hôpi­tal. Mais aujourd’hui, j’ai trans­for­mé cette injus­tice en com­bat, et je ne vais pas les laiss­er gag­n­er. Je veux rester ici et me bat­tre pour que ça évolue. » À ce jour, aucune charge n’a été retenue con­tre elle, mais son ordi­na­teur ne lui a tou­jours pas été ren­du. Non loin d’elle, dans les rues de Cra­covie, les militant·es pro­-avorte­ment s’affairent à alpa­guer les passant·es pour leur rap­pel­er qu’il est pos­si­ble d’avorter légale­ment en Pologne. Un sourire aux lèvres, Joan­na prend place à leurs côtés. Der­rière elle, une affiche annonce : « L’avortement sauve des vies, con­traire­ment à la police ». •

* Le prénom a été mod­i­fié.

Ce reportage a été réal­isé à Cra­covie et Varso­vie en sep­tem­bre 2023. Le texte a été édité par Diane Milel­li.


(1) Selon l’article 152 du Code pénal : « Quiconque aide ou incite une femme enceinte à inter­rompre sa grossesse en vio­la­tion de la présente loi est pas­si­ble de la même peine », c’est-à-dire une peine pou­vant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

(2) Rap­port de l’ONG Human Rights Watch, « Poland: Abor­tion witch hunt tar­gets women, doc­tors. Crim­i­nal­iza­tion, pur­suit of alleged offend­ers vio­lates rights », paru en sep­tem­bre 2023.

(3) Com­mu­niqué de Lewica (La Gauche) du 13 novem­bre 2023, qui souhaite légifér­er sur l’avortement. Deux propo­si­tions de loi ont été déposées : l’une sur la libéral­i­sa­tion de l’avortement, la sec­onde sur la décrim­i­nal­i­sa­tion de l’avortement.

Avorter : Une lutte sans fin

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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