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Sanctionner les parents « défaillants » : une mesure dangereuse

Le 10 décem­bre 2023, Aurore Bergé, min­istre des Sol­i­dar­ités et des Familles, con­fir­mait vouloir met­tre en place des « travaux d’intérêt général [TIG] pour les par­ents défail­lants ». Une mesure cen­sée répon­dre à l’inquiétude générée par les révoltes qui ont suivi la mort de Nahel Mer­zouk sous les balles d’un polici­er, le 27 juin dernier. Alors que l’Assemblée nationale a voté mar­di 19 décem­bre une loi sur l’immigration large­ment inspirée des propo­si­tions du Rassem­ble­ment nation­al, cette mesure vient con­firmer le virage à l’extrême droite du gou­verne­ment.
Publié le 22/12/2023

Modifié le 16/01/2025

Cette photo a été prise lors de la marche blanche du 29 juin, deux jours après la mort du jeune homme. Crédit photo : Créative commons.
Le plan annon­cé par la min­istre Aurore Bergé est présen­té comme une réponse aux révoltes des quartiers pop­u­laires de juin et juil­let 2023, après la mort de Nahel Mer­zouk. Cette pho­to a été prise lors de la marche blanche du 29 juin, deux jours après la mort du jeune homme. Crédit pho­to : Créa­tive com­mons.

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Le diag­nos­tic du gou­verne­ment est clair : ces révoltes sont le fruit d’un défaut d’autorité. Le 26 octo­bre déjà, Élis­a­beth Borne annonçait à 250 maires de com­munes touchées par des dom­mages des mesures des­tinées à « réaf­firmer lautorité et lordre répub­li­cain ». Inter­rogé sur le même sujet par TF1 et France 2 le 24 juil­let, Emmanuel Macron déclarait : « La leçon que j’en tire, c’est un : l’ordre, l’ordre, l’ordre. La deux­ième, c’est que notre pays a besoin d’un retour de l’autorité à chaque niveau, et d’abord dans la famille. » 

Cette mise en cause des par­ents des quartiers pop­u­laires ne date pas d’hier. Dans son livre La Puis­sance des mères. Pour un nou­veau sujet révo­lu­tion­naire (La Décou­verte, 2020), Fati­ma Ouas­sak, poli­to­logue et mil­i­tante, relève la récur­rence de ce mécan­isme. En 2005 déjà, « si des voitures ont brûlé après la mort de deux ado­les­cents, Zyed Ben­na et Bouna Tra­oré, c’est la faute de leurs par­ents, et non de la police, pour­tant directe­ment respon­s­able de leur mort ». Elle rap­pelle que les par­ents des quartiers pop­u­laires étaient alors décrits comme « polygames »« dépassés par les événe­ments »« faisant trop d’enfants ». Le qual­i­fi­catif « défail­lants » ne fai­sait pas encore par­tie des élé­ments de lan­gage des respon­s­ables poli­tiques, qui lui préféraient alors celui de « démis­sion­naires », un terme qui a, selon Fati­ma Ouas­sak, le même effet : « [leur] faire porter la respon­s­abil­ité du sort de leurs enfants, alors même que leur marge de manœu­vre pour les extraire de leur milieu social et chang­er de des­tinée est extrême­ment réduite ».

Les familles monoparentales montrées du doigt

Une caté­gorie de par­ents est plus par­ti­c­ulière­ment visée par Aurore Bergé et Emmanuel Macron : les mères céli­bataires. La min­istre souligne en effet qu’« il est frap­pant de con­stater que 30 % des émeu­tiers étaient des mineurs et que 60 % d’entre eux ont gran­di dans des familles dites mono­parentales ». Sachant que dans 84 % des familles mono­parentales c’est la mère qui assume seule la respon­s­abil­ité d’élever les enfants, les « par­ents défail­lants » dont il faudrait « restau­r­er l’autorité » sont donc essen­tielle­ment des mères.

Se voir reprocher son déficit d’autorité est un clas­sique pour ces femmes. En sep­tem­bre 2022, Flo­rence Roux, 56 ans et mère de cinq enfants, racon­tait dans La Défer­lante les dis­cus­sions avec plusieurs con­seillers et con­seil­lères prin­ci­pales d’éducation (CPE) qui avaient émail­lé la sco­lar­ité de ses enfants : « Dès qu’il y avait un souci à l’école, les CPE me dis­aient : “C’est tou­jours pareil avec les femmes seules.” Un père seul, on ne lui dira jamais ça, on l’encouragera. Moi, per­son­ne ne m’encourage. » Les représen­ta­tions de la famille mono­parentale sont « sou­vent néga­tives ; elles oscil­lent entre le blâme, la pitié et l’admiration. La famille mono­parentale est celle à qui, de toute façon, il manque “quelque chose” », con­firme le psy­chi­a­tre Jean-François Le Goff, dans un arti­cle de 2006. Lorsqu’un enfant élevé par une mère seule a un prob­lème, c’est bien trop sou­vent la struc­ture de la famille qui est mise en cause, avec une insis­tance sur l’absence du père, « ou, plus idéologique­ment, sur le manque d’autorité » souligne le psy­chi­a­tre.


LE DISCOURS SUR LES DÉFAILLANCES DES PARENTS À UN EFFET DÉVASTATEUR SUR LES FAMILLES


Le 25 juil­let 2023, le Mou­ve­ment des mères isolées réagis­sait au dis­cours télévisé du prési­dent de la République qui les met­tait en cause, en lui adres­sant une let­tre ouverte. Elles énuméraient les raisons réelles des révoltes : « la mis­ère crois­sante depuis le début de [sa] prési­dence »« [ses] dérives autori­taires », le « mépris de classe »« la xéno­pho­bie et le racisme struc­turel au sein des forces de l’ordre ».

Les mères isolées sont nom­breuses à avoir par­ticipé aux man­i­fes­ta­tions qui ont suivi la mort de Nahel Mer­zouk. Par­mi elles, Bérénice Legendre*, 47 ans, Parisi­enne et mère de deux enfants, qui se dit intime­ment con­va­in­cue que « la vio­lence de la police, la fer­me­ture des ser­vices publics, le désen­gage­ment de l’État, c’est ça qui crée les vio­lences ». Inter­rogée sur l’annonce faite par Aurore Bergé, elle con­voque l’exemple des agentes d’entretien qui tra­vail­lent de nuit, quand les bureaux sont vides, pour pou­voir s’occuper de leurs enfants quand ils sor­tent de l’école : « On va deman­der à ces femmes qui net­toient pour un salaire de mis­ère de faire en plus des travaux d’intérêt général ? Elles passent déjà leur temps à faire du tra­vail d’intérêt général… »

Une mesure contre-productive

Tout aus­si graves, ces dis­cours sur la « défail­lance » des par­ents ont un effet dévas­ta­teur sur les familles visées. Le soci­o­logue Mar­wan Mohammed a étudié le rôle des familles dans la for­ma­tion des ban­des de jeunes. D’après lui, l’autorité éduca­tive repose sur les ressources per­son­nelles des par­ents. C’est seule­ment s’ils sont jugés « légitimes donc crédi­bles » par leurs enfants que les par­ents « pour­ront déploy­er leurs valeurs, leurs normes ». Or, les enfants, « sen­si­bles aux mod­èles dom­i­nants, voire pub­lic­i­taires, d’épanouissement famil­ial, façon­nent une image de la parental­ité souhaitée » et peu­vent avoir un rap­port très dis­tan­cié à des par­ents qui ne cor­re­spon­dent pas aux mod­èles que leur pro­posent l’école ou la télévi­sion. Cette délégiti­ma­tion est encore ren­for­cée par le désaveu des insti­tu­tions, qu’il soit incar­né par un·e représentant·e de l’institution sco­laire qui infan­tilise le par­ent ou… par la min­istre des Sol­i­dar­ités et des Familles qui le crim­i­nalise.

Sanc­tion­ner des par­ents en dif­fi­culté – quel par­ent ne l’a jamais été ? – paraît voué à l’échec. « Ces émeutes sont venues bra­quer les pro­jecteurs sur une forme de mal­trai­tance insti­tu­tion­nelle subie par une par­tie de la pop­u­la­tion, explique au télé­phone Mar­wan Mohammed. Cette colère poli­tique demande une réponse poli­tique à la ques­tion “com­ment dis­ci­plin­er la police ?” Pour­tant, c’est la seule à laque­lle le gou­verne­ment ne donne aucune réponse. Il réduit la sit­u­a­tion à des choix parentaux. Ces jeunes ont exprimé leur révolte de voir l’un d’entre eux tué par un polici­er. Si leurs par­ents sont con­damnés à des TIG pour cette rai­son, ce sera pire. » 

* Il s’agit d’un nom d’emprunt.

→ Retrou­vez les recom­man­da­tions ain­si que l’agenda de la rédac­tion juste ici.

Lucie Tourette

Journaliste, spécialiste des questions sociales, elle contribue notamment au Monde Diplomatique. Elle est co-autrice de Marchands de travail (Seuil, 2014). Membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

Rêver : La révolte des imaginaires

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